Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mardi 30 octobre 2018 à 11h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Je vous remercie, monsieur Magnin, pour la richesse de votre réflexion, de votre présentation et de vos écrits, qui sont des éléments très importants pour notre réflexion commune.

Vous avez posé la question philosophique de savoir si l'homme était maître de son destin. L'homme peut-il être le designer de sa propre évolution ? Les réponses sont diverses selon les religions, les croyances, les philosophies. Au-delà, n'avez-vous pas l'impression que, dans la pratique, l'homme s'est déjà approprié, parfois maladroitement, une partie de son évolution ?

C'est ce que l'on appelle l'aventure humaine. Je passe sur les époques les plus anciennes du développement de la culture, de l'élevage, etc. pour en venir aux évolutions récentes. Avec les vaccinations, nous avons fait disparaître cette sélection naturelle qui s'opérait par les infections pendant l'enfance et qui éliminait les personnes les plus fragiles. Depuis que la médecine est efficace, les traitements médicaux permettent à tous ceux qui avaient des maladies génétiques mortelles dans l'enfance d'atteindre l'âge adulte, d'avoir eux-mêmes des enfants et donc d'augmenter la prévalence des gènes de fragilité et de maladie.

L'homme a ainsi interféré avec la nature pour prendre en main son destin, parfois en bien pour l'homme puisqu'il protège les personnes vulnérables en leur donnant une chance de vivre, parfois aussi, en revanche, en augmentant la fréquence des gènes de maladie.

L'homme n'a-t-il pas déjà pris en main une part de son destin ? Face à ce constat, on peut avoir deux attitudes que je n'oppose pas car elles sont complémentaires. L'une est davantage orientée par la croyance religieuse, qui demande à l'homme de laisser son destin être dirigé par une autorité supérieure, et l'autre, celle des pays laïques, qui offre plusieurs options, laissant se frayer la voie moyenne que nous connaissons. Quelle est votre réflexion sur le sujet ?

Vous considérez qu'il est dangereux d'évoquer un droit à l'enfant. Nous vous rejoignons tous sur ce sujet. En revanche, très différent est le désir d'enfant, qui n'est pas préjudiciable, au contraire. La maîtrise de la conception que nous connaissons aujourd'hui accroît encore le lien entre le désir d'enfant et la procréation.

Les études réalisées, notamment aux États-Unis ou à Cambridge en Grande-Bretagne, ont montré que ce désir d'enfant est un élément important de son épanouissement. Le désir d'enfant joue un rôle dans l'intérêt et l'attention que les parents porteront à leur enfant, dans l'amour qu'ils lui prodigueront et dans les chances d'épanouissement à tous égards que celui-ci développera. Selon ces études, le désir d'enfant est plus important que le fait d'avoir des parents hétérosexuels, homosexuels ou autres. Les différentes formes de familles qui existent aujourd'hui ne seraient pas, selon ces études, une menace. Plus essentielles sont les conditions dans lesquelles la procréation est réalisée dans quelque variété de famille que ce soit.

Vous évoquez la procréation médicalement assistée, qu'il est peut-être envisagé d'étendre à toutes les femmes. Sur ce thème, nous relevons une contradiction entre ce que préconisent les autorités religieuses catholiques, qui y semblent défavorables, et ce qu'exprime la majorité des fidèles selon les études statistiques de l'Institut français d'opinion publique (IFOP), par exemple, publiées dans le journal La Croix. Est-ce à dire que la pédagogie effectuée par les autorités religieuses est insuffisante, ou que la vision des parents n'est pas gouvernée par les croyances telles qu'elles sont indiquées, mais davantage par une attitude fondée sur un raisonnement ? Il existe une dualité entre les connaissances qui s'appuient sur un pragmatisme raisonnable et les croyances et valeurs qui revêtent une importance égale, mais les deux ne peuvent se superposer. Dans notre République, nous sommes obligés – et tel est notre rôle – de concilier le respect des croyances de tous, qui sont différentes, et les connaissances fondées sur les études scientifiques les plus rigoureuses. Dans cette dualité que l'on cherche à conjuguer, où placer le curseur pour tenir compte à la fois des études scientifiques et des convictions diverses qui se manifestent dans notre pays ?

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