Intervention de Mounir Mahjoubi

Réunion du mercredi 27 septembre 2017 à 16h25
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Mounir Mahjoubi, secrétaire d'état chargé du numérique :

Tout d'abord, je suis toujours très heureux de m'exprimer devant l'une ou l'autre de vos commissions. J'ai moi-même été élu dans cette assemblée. Certes, je n'ai pas encore eu la chance d'y siéger, mais permettez-moi de m'y sentir tout de même un peu chez moi, même si je comprends qu'une certaine distance doive être maintenue entre le Gouvernement et le Parlement. En tout cas, j'ai conscience de l'importance du rôle joué par les parlementaires. C'est pourquoi j'ai demandé à mon cabinet de tirer tout le bénéfice possible du dialogue que nous pouvons avoir avec l'Assemblée nationale. Vous pouvez donc compter sur nous pour être parfaitement transparents et pour partager avec vous nos travaux et nos initiatives. Il est essentiel que des députés s'intéressent au numérique ; ils n'ont pas toujours été aussi nombreux qu'aujourd'hui. Plus vous le serez, mieux nous pourrons maîtriser cette transformation.

J'en viens à la présentation de la feuille de route du Gouvernement en matière de transformation numérique. Elle repose sur quatre piliers : la transformation de l'économie, la transformation de l'État, l'inclusion par le numérique, enfin, la sécurité et la confiance dans le numérique.

Premier pilier, donc : le numérique en tant que facteur de croissance et d'innovation économique.

Je vous ai dit qu'en tant que secrétaire d'État, je ne m'occupais plus exclusivement de l'économie numérique, mais je m'en occupe encore beaucoup car elle demeure un sujet essentiel. Désignée comme la « nouvelle économie » il y a quelques années, puis comme une « part importante de l'économie » aujourd'hui, elle sera bientôt l'économie tout entière. Ce secteur comprend les entreprises dont l'objet est l'innovation, voire l'hyper innovation. Il y a deux jours, nous avons remis aux quelque 80 entreprises lauréates du Pass French Tech le Coq jaune, qui récompense les start-ups dont la croissance a été supérieure à 100 % l'année précédente. Ces entreprises ont créé des emplois – près de 6 000 – et de la valeur en France. Le secteur de l'économie numérique n'est donc plus anecdotique ; il connaît une hyper croissance et crée des emplois qualifiés mais aussi de nouvelles formes d'emploi inclusives.

Pour 2018, nous avons assigné deux priorités à la politique de la French tech.

La priorité, c'est le développement de la diversité, pour une raison sociale et pour une raison purement économique. En effet, pour donner naissance aux champions de demain, à des « licornes », comme on les appelle, l'écosystème des start-ups doit comprendre une grande diversité de projets, car les mêmes types d'entrepreneurs produiront les mêmes types d'entreprises, et l'on plafonnera. Notre engagement en faveur de la diversité s'est traduit par la création d'un programme, intitulé « French tech Diversité » et financé de façon spécifique par le grand plan d'investissement, qui vise à favoriser la diversité sociale en détectant et en aidant les entrepreneurs issus de territoires où il n'est pas facile pour eux d'émerger. Les premiers bénéficiaires de ce programme sont au nombre de 35, et ils ont des projets axés sur le numérique très innovants. Pourtant, ils n'étaient pas attendus.

L'autre aspect de la diversité, c'est la parité. Aujourd'hui, dans le milieu du numérique, un entrepreneur sur cinq seulement est une femme ; c'est inacceptable. Lors d'un événement auquel j'ai assisté récemment, les dix entrepreneurs qui ont été distingués étaient formidables, mais c'étaient dix garçons ! Quant au jury de huit personnes, il ne comptait qu'une seule femme. J'ai donc modifié mon intervention pour la consacrer au rôle des femmes dans le numérique, et nous avons décidé, avec ma collègue Marlène Schiappa, de mettre en avant de manière systématique et régulière les entrepreneuses de ce secteur.

En ce concerne l'économie numérique, notre objectif est donc de susciter l'apparition des champions de demain et de créer le contexte économique qui permettra de les faire grandir, en misant sur la diversité.

Deuxième élément essentiel du pilier économique : la transformation numérique de très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) de l'économie dite « traditionnelle ». Si l'on retient le critère des entreprises de cette catégorie qui ont utilisé le numérique au moins une fois dans l'année pour vendre un produit, la France se classe à la 17e position en Europe. Alors que nos grands groupes se trouvent dans le « Top 5 » et que nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont engagées dans un processus de transformation de leur outil de production, nos TPE et PME sont en train de prendre un retard potentiellement très grave. L'enjeu est donc de les mobiliser. C'est pourquoi nous avons pris, avec Bercy, plusieurs initiatives, qui vont se traduire dans les prochaines semaines par la création d'un plan gouvernemental pour la transition numérique des TPE-PME. Ce plan a été mis sur pied non seulement avec les représentants de ces entreprises mais aussi avec ceux qui leur fournissent des services et qui sont souvent également des TPE-PME – je pense aux experts-comptables ou aux consultants de proximité –, elles-mêmes en retard dans ce domaine. Notre objectif est que, dans un an, près de 100 000 PME aient fait, grâce à ce plan, un premier pas numérique. Ce premier pas peut être modeste : il peut consister à vendre un produit sur une plateforme ou à mettre son catalogue en ligne. Il s'agit, pour nous, de sauver les commerces de proximité et les PME qui produisent localement mais ne trouvent plus de débouchés dans leur territoire, en leur permettant de vendre en France et à l'étranger.

D'autres éléments concernent le soutien à l'innovation, que nous développons avec Bruno Le Maire et Benjamin Griveaux. Avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous voulons également faire en sorte que le secteur de la recherche et de l'innovation académique, qui est l'un des meilleurs au monde, transfère davantage d'innovations vers l'économie. Actuellement, la politique de transfert ressemble à un patchwork d'initiatives, qui a tout de même produit quelques réussites : certains instituts de recherche sont des spécialistes du transfert et certains territoires sont exemplaires dans ce domaine. Mais, dans de nombreux autres cas hélas, pour des raisons juridiques ou d'organisation administrative, on ne parvient pas à transformer le fruit de la recherche en valeur.

J'en viens au deuxième pilier de la feuille de route : l'État. L'administration et l'action publique doivent en effet être exemplaires. Nous avons défini quatre axes dans ce domaine.

Le premier concerne la relation avec les citoyens et les entreprises. Nous nous sommes engagés à numériser l'ensemble des démarches administratives – une grande partie d'entre elles le sont déjà. Je précise, à ce propos, que nous nous efforçons toujours de respecter l'équilibre entre performance et humanité. Performance, car il s'agit de dépenser moins tout en produisant plus de valeur, grâce au numérique ; humanité, cela signifie que, ce faisant, nous devons nous assurer que le numérique ne crée pas de nouvelles discriminations. Nous n'oublions pas, en effet, que 20 % à 30 % de Français se déclarent en difficulté pour effectuer une démarche numérique et que, pour 5 % d'entre eux, une telle démarche est impossible, pour des raisons liées au langage, à un handicap ou à la précarité. À ces personnes, nous devons pouvoir proposer une solution.

J'en reviens à la numérisation des démarches administratives. Elle concerne notamment la justice, qui est encore très orientée vers le papier, notamment pour les saisines, ou l'école. Je pense également aux Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), dont les procédures sont administrées localement, de sorte que les démarches, qui concernent un public fragile, sont particulièrement lourdes et longues. La numérisation, soutenue par l'État, leur facilitera donc les choses. Une expérimentation est en cours qui nous permettra d'allier, ainsi que je le disais à l'instant, performance – les demandes seront traitées plus rapidement – et humanité, car les personnes qui n'auront pas pu effectuer les démarches en ligne continueront à être accueillies par des agents qui auront du temps à leur consacrer puisqu'ils auront été libérés, par ailleurs, de certaines tâches.

Deuxième axe : le fonctionnement de l'État. Actuellement le fonctionnement interne des administrations, notamment déconcentrées, et le partage d'informations entre les agents ne sont pas parfaitement fluides. De fait, nous n'avons pas encore créé un standard qui permettrait à tout nouveau projet numérique d'une administration d'être immédiatement compatible avec les autres. En remédiant à ce problème, nous dépenserons moins, tout en facilitant les communications entre les agents. De plus, une réflexion a été lancée, la semaine dernière, dont l'objectif est de donner à ces derniers les moyens de faire davantage grâce au numérique. J'ai évoqué tout à l'heure les citoyens et les entreprises, qui sont les bénéficiaires finaux. Il s'agit ici de faire en sorte que l'agent public lui-même bénéficie de cette transformation pour mieux faire son métier en s'épargnant certaines tâches redondantes. Rappelons que la vocation d'un fonctionnaire est d'être utile aux autres ; il tirera donc profit des outils numériques qui lui permettront, en le débarrassant de certaines tâches, de se consacrer davantage au service qu'il rend à ses concitoyens.

Mais il ne s'agit pas seulement d'améliorer ce que l'on faisait auparavant ; il faut également faire des choses que l'on ne faisait pas. C'est pourquoi le troisième axe concerne l'innovation publique. Je pense en particulier aux apports de l'intelligence artificielle, notamment dans l'éducation nationale, la justice ou la sécurité quotidienne. Mais nous devons nous interroger et sur les opportunités qu'elle offre et sur les risques qu'elle présente, sans que les unes prennent le pas sur les autres. Cédric Villani doit aborder ce sujet dans son rapport.

Quatrième axe : la transformation « IT » (Information technology). Elle concerne les réseaux physiques – qui relient, par exemple, les préfectures entre elles et à l'État, les serveurs qui stockent l'information, les ordinateurs eux-mêmes, ainsi que l'architecture d'échange de ces données. L'État dépense actuellement près de 6 milliards d'euros par an pour ses infrastructures numériques. Nous avons donc ouvert, sur ce sujet, un chantier avec les directions des systèmes d'information (DSI) de l'État, qui, alors qu'elles étaient jusqu'alors indépendantes au sein de leurs ministères respectifs, ont accepté, à ma demande, de se réunir plus fréquemment au sein d'une unité d'action commune pour définir une feuille de route de la mutualisation et de la création de ce que nous appelons « la plateforme numérique de l'État », soit l'équivalent du « X-Road » estonien. Il s'agit de déterminer un ensemble de standards communs aux administrations, de créer les infrastructures qui permettent de les porter et de les partager, que ce soit entre administrations ou, à moyen ou long terme, avec les collectivités territoriales. Actuellement, en effet, que ce soit pour s'authentifier en ligne ou pour accéder à certains services publics – caisse des écoles, centre de loisirs, impôts, Pôle emploi… –, un citoyen peut avoir besoin d'une vingtaine d'identifiants différents pour se connecter, et il a du mal à s'y retrouver. Ainsi, 40 % à 50 % d'entre eux renoncent à utiliser les services publics en ligne parce qu'ils ne savent pas comment s'identifier. C'est terrible parce qu'ils vont opter, en définitive, pour une procédure papier alors qu'ils seraient parfaitement capables d'effectuer la même démarche en ligne. Il faut donc, et c'est essentiel, faciliter l'accès à la démarche numérique.

Le troisième pilier est fondamental pour la réussite des deux premiers : il s'agit de l'inclusion numérique. De fait, si le processus de numérisation doit laisser de côté les TPE, les PME et les personnes les plus fragiles, nous aurons tout raté. L'enjeu est donc d'assurer l'égalité des citoyens, des territoires et des entreprises, dans ce domaine. Or, actuellement, 13 millions de Français n'utilisent pas ou ne sont pas à l'aise avec internet et 43 % des Français vivant en zone rurale se disent inquiets à l'idée d'effectuer une démarche en ligne.

Comment traiter le problème de l'inclusion numérique ? Trois éléments sont à prendre en compte.

Le premier, c'est la couverture numérique du territoire. De fait, on ne peut pas utiliser le numérique si l'on n'y a pas accès. C'est pourquoi nous avons pris l'engagement d'assurer une couverture du territoire en bon ou très haut débit en 2020, en très haut débit en 2022 et en fibre optique en 2025, pour parvenir à ce que l'on nomme la « société du gigabit », qui figure dans les objectifs de l'Union européenne. Mais il faut également améliorer la couverture mobile. L'été dernier, lorsque j'étais en vacances, la première chose que les gens m'ont dite, c'est : « Mon téléphone ne “capte” pas », et ils ont raison : c'est inacceptable. Le réseau « voix » fonctionne de mieux en mieux ; la couverture du territoire est satisfaisante, même si elle n'est pas parfaite – mais les opérateurs s'engagent à la compléter. En revanche, il faut améliorer la couverture mobile « data », c'est-à-dire en 4G, car les usages d'internet se sont radicalement transformés au cours des dernières années. On est en effet passé de l'ordinateur familial au téléphone mobile personnel, qui permet d'effectuer une grande partie des démarches numériques.

Le deuxième élément, c'est l'accompagnement des citoyens. Depuis quelque temps, plus aucune politique publique n'est menée dans ce domaine. Au moment de l'avènement de la société numérique, la plupart des communes avaient créé des lieux où les citoyens pouvaient se renseigner et utiliser des ordinateurs, suscitant ainsi l'apparition de tout un secteur associatif spécialisé dans la médiation numérique. Mais lorsqu'internet s'est démocratisé et que les gens se sont équipés, on s'est désintéressé de cette politique de médiation numérique et beaucoup de ces associations ont disparu, ont réduit leurs effectifs ou ne sont plus en mesure de former leurs formateurs.

Or, différentes populations ont besoin de cette médiation. La première est composée des personnes exclues du numérique, les fameux 5 % que j'évoquais tout à l'heure. À ces personnes, nous devons pouvoir offrir, dans leurs démarches sociales ou administratives, une « option humaine ». Si nous atteignons notre objectif de dématérialiser 100 % des démarches, toute personne qui ne souhaite pas ou ne peut pas effectuer la démarche en ligne devra avoir accès à un guichet ou obtenir un rendez-vous. C'est un engagement fort qu'ont pris le Président de la République pendant la campagne, puis le Premier ministre, mais nous ne l'avons peut-être pas assez dit. La transformation numérique des démarches administratives suppose que l'on traite de manière spécifique les 5 % de personnes complètement exclues du numérique.

Le deuxième public est composé des 15 % à 25 % de personnes pour lesquelles il n'est pas facile d'effectuer des démarches en ligne mais qui, si elles étaient accompagnées, pourraient, en quelques mois, devenir numériquement autonomes. Or nous n'avons pas de moyens de les identifier. Concrètement, actuellement, ces personnes peuvent être aidées, le cas échéant, par le médiateur local de la caisse d'allocations familiales ou de Pôle emploi, mais chaque médiateur n'intervient que pour une seule démarche et toutes les administrations n'emploient pas un médiateur. La question du parcours d'identification participe donc de la stratégie d'inclusion numérique. Dans les départements où cela fonctionne bien, notamment ceux qui connaissent une importante exclusion numérique – je pense en particulier à la Seine-Saint-Denis –, des conseils départementaux du numérique ont été créés, qui rassemblent les acteurs travaillant avec ces publics et qui leur permettent d'échanger des informations sur les familles qu'ils ont identifiées et sur le parcours qu'ils leur proposent de suivre avec l'aide d'une association de médiation, et de financer en commun le dispositif.

Le rôle de l'État, aujourd'hui, est de généraliser ce type d'actions et de trouver les financements ; c'est d'ailleurs l'une des questions qu'examinera la Conférence nationale des territoires récemment annoncée. Ce sera l'un de nos principaux chantiers et j'espère que, dès la fin de cette année ou à la fin de l'année prochaine, nous aboutirons, État et collectivités locales, à un schéma commun. En son sein, l'Agence du numérique, qui relève de mon secrétariat d'État, compte un pôle Société numérique, dont le seul et unique rôle est d'animer cette communauté des collectivités territoriales et de travailler avec ces associations pour aboutir à ce fameux schéma qui nous permettra de nous engager dans cette politique.

Et puis il faut préparer les compétences numériques dès le plus jeune âge – je vise là des publics qui n'ont pas eu la chance d'en apprendre l'usage à l'école, ni dans leur emploi, ni avec leur famille. Il faut préparer les générations à venir à une utilisation et une compréhension avancée du numérique. Il serait terrible que nous reproduisions des inégalités en les élevant à la puissance du numérique. Dans certaines écoles, on n'apprendrait pas le numérique parce qu'on l'aurait appris à la maison. Dans d'autres, on ne l'apprendrait ni à la maison ni à l'école, et toute sa vie on resterait assez naïf face à l'écran, alors que c'est au contraire une attitude critique, intelligente et de compréhension du numérique qui permet d'en ressentir les bénéfices potentiels et d'éprouver sa propre capacité de maîtrise.

C'est le message que je veux délivrer : nous n'avons rien à subir. Mon plus grand rêve, c'est que les élèves se demandent ce qui se passe lorsqu'ils se connectent à un réseau social : lorsqu'un texte s'affiche, cela part dans le réseau, cela vole dans les airs, cela arrive à un serveur, c'est stocké quelque part, parfois en France, mais parfois aux États-Unis, cela revient ensuite, c'est parfois chiffré, et parfois cela ne l'est pas, on peut parfois se faire écouter par quelqu'un. Pas de naïveté : ce n'est pas une tablette magique sur laquelle les images apparaissent, ni une cassette enregistrée ; c'est un échange permanent d'informations qui me concernent, avec des technologies qui vont transformer ma façon d'échanger avec les autres toute ma vie. Cette initiation et ce rapport au numérique sont des questions traitées par le ministre de l'Éducation nationale et la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, avec qui nous parlons régulièrement – et je crois que vous envisagez, mesdames et messieurs les députés, la constitution d'une mission d'information sur le sujet.

Le contenu devra-t-il être technique ? Ou purement critique ? L'Éducation nationale a connu quelques succès en matière d'analyse critique des médias, pour que les enfants sachent distinguer une véritable information d'une fausse information, pour qu'ils sachent ce qu'est un journaliste, pour qu'ils connaissent le fonctionnement des médias. Tirons-en les enseignements pour voir comment aborder le numérique. Et, puisque le numérique est une technique, faut-il apprendre à coder ? Certaines expériences sont intéressantes, et je vous invite tous à le faire, rien qu'un peu. En apprenant un peu à coder, on devient moins naïf face à certains concepts, face à la manière dont les données s'enregistrent, se transmettent ou sont modifiées. Ce « déniaisement numérique » ne prend que quelques heures, mais il est possible d'aller encore un peu plus loin en créant des options « numérique ». En tout cas, pas de naïveté : de la maîtrise, du contrôle, de l'analyse ! C'était le troisième pilier de ma mission : la couverture, l'accompagnement des citoyens les plus éloignés et la préparation des jeunes générations.

J'en viens au dernier sujet : la confiance dans l'espace numérique, la sécurité et la souveraineté. La souveraineté numérique de l'État peut se résumer en un concept : l'État ne doit jamais subir son propre numérique. Ce concept a des déclinaisons opérationnelles assez différentes, mais, pour assurer sa souveraineté numérique, il faut comprendre ses réseaux, comprendre qui intervient sur les réseaux, disposer de technologies qui ne viennent pas seulement d'un ou deux pays étrangers en situation de monopole. Il faut aussi une expertise profonde sur la cybersécurité des réseaux publics ; nous l'avons avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'informations (ANSSI), une des agences les plus expertes au monde. Et puis il faut réinventer de nombreux concepts. Auparavant, avec la cyberdéfense, nous anticipions qu'un État pouvait en attaquer un autre ; nous savions nous protéger contre cette éventualité, avec tous les moyens d'action. Ensuite, il y eut la cybersécurité civile, la sécurité des entreprises et des moyens de l'État. Et, depuis quelques années, nous voyons des entreprises attaquer les États, des États attaquer nos entreprises, des États payer des entreprises pour attaquer d'autres entreprises, des entreprises payées par des États – des mercenaires du numérique – pour attaquer d'autres États. Ainsi, aujourd'hui, tous les modèles que nous connaissions, des modèles de cyberdéfense purement militaire et des modèles de cybersécurité purement civils, sont à réinventer. Ce jeu entre de nouveaux acteurs aux rôles interchangeables oblige tous les membres du Gouvernement à travailler davantage les uns avec les autres, alors qu'auparavant chaque ministère construisait ses propres capacités. Face à des ennemis qui s'organisent différemment et des menaces qui s'articulent différemment, il nous faut toujours être dans la maîtrise et nous garder de la naïveté.

C'était un message que je délivrais hier à Turin au G7 numérique. Tous les ministres du G7 chargés du numérique se sont réunis pour discuter de ces questions, de la souveraineté des données et du free flow of information, de l'échange libre d'informations. Celui-ci est un accélérateur économique, nous n'y sommes donc pas opposés. La France a une position très équilibrée sur le sujet. Au sein de l'Union européenne, dans le cadre de la libre circulation des données, nous sommes pour un grand marché numérique unique, mais nous avons posé trois conditions qui sont en train de faire consensus : sécuriser l'échange, garantir le contrôle et avoir un standard commun de sécurité.

La question de la confiance dans l'espace numérique pose le problème des droits et des libertés fondamentales dans l'espace numérique, notamment sous les angles de la protection des données personnelles et des citoyens – des règlements s'annoncent – et de l'éthique. C'est l'un des sujets de la mission que nous avons confiée à Cédric Villani. Que se passe-t-il si nous laissons à l'intelligence artificielle la capacité de prendre des décisions administratives ? Le souhaitons-nous ou pas ? Souhaitons-nous que des machines autonomes puissent intervenir dans un champ de bataille sans contrôle humain ? Souhaitons-nous que l'intelligence artificielle, analysant des données de santé, fasse des diagnostics de risque ? Si nous ne voulons rien subir, il nous faut traiter ces questions et orienter les dynamiques de recherche et d'investissement dans le sens que nous estimons correspondre à nos valeurs.

Quant à la vigilance qui s'impose à propos des contenus de haine sur internet, contre laquelle nous sommes engagés depuis plusieurs années avec le ministère de l'intérieur, j'ai rencontré toutes les associations. La haine sur internet n'est pas qu'une traduction de la haine exprimée dans le monde physique : elle est multipliée et anonymisée, elle est sans limites et frappe parfois des publics très faibles et des personnes très jeunes, qui sont d'autant plus violemment touchés. Sur ce sujet également, nous devons faire en sorte que les grands opérateurs et les grandes plateformes prennent leurs responsabilités.

J'en viens au dernier sujet, que le Président de la République abordera à Tallinn et que nous avons abordé lors des récents Conseils européens : la transparence de nos relations avec les grandes plateformes, qui ont une influence de plus en plus importante sur nos vies. Cela englobe les questions de fiscalité, de concurrence, de régulation des comportements commerciaux vis-à-vis des acteurs économiques les plus faibles, d'utilisation des données personnelles. La France a pris une initiative qui permettrait d'aller plus loin dans la transparence. Et, en ce qui concerne précisément le volet fiscal, nous avons déjà réuni dix pays autour de la proposition défendue par Bruno Le Maire.

Peut-être ai-je été un peu long…

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