Intervention de Delphine Ernotte

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation. Je vais en effet vous brosser un tableau de la profonde transformation qui est en cours au sein de France Télévisions.

L'entreprise France Télévisions est prête pour le changement. D'abord, parce que le contexte nous y invite.

Partout en Europe, les citoyens ont une nouvelle attente vis-à-vis de l'audiovisuel public. Ils veulent des garanties sur l'utilité de la contribution à l'audiovisuel public, tout en reconnaissant qu'une l'information indépendante et de qualité est la pierre angulaire du service public. Ils ont la même attente à l'égard des programmes, qui doivent savoir fédérer et être renouvelés en permanence.

Ensuite, c'est une évidence aujourd'hui, nous faisons face à la concurrence des plateformes globales. Dans certains pays – je me suis rendue récemment en Suède et en Norvège –, elles ont d'ores et déjà pris la première place. Tony Hall, le patron de la British Broadcasting Corporation (BBC), a tiré la sonnette d'alarme dès l'année dernière, avec le message suivant : « Si nous ne faisons rien, nous sommes menacés d'effacement. » Je l'avais également évoqué, dès ma nomination à France Télévisions : les concurrents ne sont plus hexagonaux, ils sont mondiaux.

Enfin, face à ces évolutions du marché et des attentes des citoyens, le Gouvernement a engagé une réforme claire, consistant à accélérer la transition numérique de notre entreprise, à investir fortement dans les contenus et à réduire notre poids sur les finances publiques. La loi audiovisuelle, que vous écrirez, permettra de fixer un cadre réglementaire plus agile, comme l'a proposé, par exemple, le rapport Bergé-Bournazel.

France Télévisions met en place les conditions de la réussite. Cette réforme se déroule dans une entreprise qui se porte bien. Depuis le début de l'année, les audiences de nos chaînes ne cessent de progresser. La rentrée a été particulièrement réussie, avec le lancement du nouveau feuilleton quotidien qui fédère plus de 3,5 millions de Français tous les soirs.

Nous avons aussi travaillé à une nouvelle offre en matière de fictions, et à un renforcement de notre offre de savoirs et de connaissance. Je pense notamment à la série documentaire événement Histoires d'une nation ou au cycle que nous dédions à Victor Hugo, qui commencera la semaine prochaine. Ce succès éditorial n'est pas à apprécier uniquement à l'aune des audiences, mais au travers d'une mesure qualitative et d'une évaluation quotidienne de nos missions de service public, grâce au baromètre QualiTV.

À ces performances, s'ajoute une rigueur de gestion. Depuis 2015, notre entreprise est à l'équilibre budgétaire. C'est pour moi la condition sine qua non de la confiance de notre actionnaire dans l'entreprise. Nous avons atteint cet équilibre budgétaire trois années consécutives, nous y parviendrons également en 2018, malgré une réduction du budget de 50 millions d'euros, intervenue en fin d'année dernière. L'effort, cette année, pour tenir cet engagement budgétaire, a porté prioritairement sur la structure. Depuis 2012, France Télévisions a réduit ses effectifs de 8 %.

Ces efforts ont été possibles parce que nous avons mis en place des réformes structurelles. Nous avons fusionné les rédactions de France Télévisions et nous disposons, aujourd'hui, d'une rédaction unique. Nous avons réorganisé l'ensemble du réseau régional de France 3 sur les treize régions. Nous avons réduit le recours à l'intermittence. Nous avons réorganisé nos moyens de fabrication interne.

Nous nous appuyons sur des équipes de salariés mobilisés. Il est frappant de constater à quel point ceux-ci sont pleinement engagés pour le service public. Ils croient à la mission de notre entreprise et y sont dévoués. Ils ont conscience que les efforts demandés sont significatifs, mais ils sont surtout attentifs à ce que toutes ces réformes aient un sens pour l'avenir de France Télévisions.

Nous souhaitons profiter de cette réforme pour repenser notre cadre de travail, à la fois pour basculer d'une entreprise très hiérarchisée vers une organisation plus agile, plus souple et plus transverse, où les décisions seront plus décentralisées, et pour continuer à favoriser la qualité de vie et la santé au travail. Je l'ai toujours dit : on ne se lève pas le matin pour faire des économies. C'est pourquoi j'ai souhaité que les salariés soient associés à la transformation de leur entreprise.

Malgré ces efforts budgétaires, ma stratégie est de renforcer les investissements dans la création. Ils étaient de 390 millions d'euros en 2015, quand je suis arrivée à la tête de cette entreprise ; ils sont aujourd'hui de 420 millions d'euros par an. Dès le début, j'ai indiqué que pour réaliser un tel investissement, un partage plus équitable des droits entre producteurs et diffuseurs était nécessaire. C'est la raison pour laquelle nous avons conclu un accord en ce sens en 2015, et que j'ai ouvert de nouvelles négociations pour l'adapter au nouveau contexte.

Dès les annonces du Gouvernement relatives aux enjeux et à la réforme de l'audiovisuel public, j'ai souhaité que nous mettions en place les mesures pour déployer rapidement la réforme décidée par l'actionnaire.

Nous avons lancé un conseil consultatif de jeunes téléspectateurs, de moins de 35 ans, avec qui nous allons travailler pendant un an. En parallèle, nous lançons, avec Radio France, une consultation citoyenne extrêmement large, à laquelle ont déjà répondu plus de 100 000 personnes, sur l'avenir de la télévision et de la radio. Une matière extrêmement riche que nous allons analyser et mettre à profit pour dessiner les futures lignes éditoriales.

Entre une télévision d'offre, dont nous pensions que le public allait suivre, et ce que proposent les plateformes et les réseaux sociaux – des programmes à la demande –, il y a un juste milieu à construire pour l'audiovisuel public, qui est une « télévision du choix » : choix des citoyens et choix des programmes.

Nous avons également concrétisé les rapprochements de l'audiovisuel public. Franceinfo est une première expérience réussie, depuis le 1er septembre 2016. En deux ans, elle est devenue la première plateforme numérique d'actualité, devant tous les autres médias. La radio a bénéficié de la force du média global et se porte de mieux en mieux. L'audience de la télévision a augmenté de 40 % en un an et touche aujourd'hui plus de 3 millions de téléspectateurs par jour. Son offre est clairement différente des autres chaînes d'information, peut-être plus calme et apaisée tout en étant très professionnelle et en cherchant à approfondir l'analyse des événements. Il s'agit d'une expérience réussie, car elle nous montre que, en innovant sur les formats, nous sommes capables, dans l'audiovisuel public, d'aller chercher des publics beaucoup plus jeunes.

Nous souhaitons élargir le champ des coopérations avec, d'abord, Radio France. C'est ce qui nous a permis de lancer des expérimentations communes entre les réseaux de France 3 et France Bleu, avec deux matinales communes, à Nice et à Toulouse. Nous travaillons aussi avec nos collègues de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), de France Médias Monde (FMM), de TV5 Monde et d'Arte, sur la culture, mais aussi sur des synergies opérationnelles.

Enfin, j'ai lancé une réorganisation des fonctions centrales de France Télévisions. Nous avons commencé par les secteurs des antennes et des programmes, qui ne seront plus organisés par chaîne, mais par unité de programmes, afin de pouvoir mettre le contenu, l'offre éditoriale, au centre de nos préoccupations. Ce changement a déjà été accompli par tous les services publics européens. Nous nous sommes donc inspirés de ce qui a été réalisé en Angleterre, en Suède, et un peu partout en Europe. Mon objectif est simple : notre maison doit être ouverte aux talents et aux créateurs, et notre organisation doit être agile, tournée vers les contenus et ses publics.

Cette révolution de la télévision publique a un sens fort.

France Télévisions a souvent fait l'objet de réformes, mais ce ne sera pas une réforme de plus. Ce qui est à l'ordre du jour n'est pas une réformette, ni un ajustement, c'est une véritable révolution de la télévision publique. Tout doit être remis à plat. C'est un changement de métier. Nous allons continuer à faire de la télévision, mais nous allons radicalement changer notre manière de la faire. C'est un saut technologique, managérial et organisationnel. Mais il n'y a pas de projet de télévision qui ne soit pas avant tout un projet éditorial.

Nous souhaitons, à travers les programmes et l'information, être capables d'éclairer nos concitoyens et les rendre plus libres ; libres de leurs choix, libres dans leur façon de comprendre les débats, libres au travers de l'imaginaire et des oeuvres de création.

Pour réaliser cette transformation, nous devons nous appuyer sur nos points forts. Premièrement, nous sommes une référence reconnue en matière d'information : le « 12-13 » et le « 19-20 » sont puissants sur France 3. L'information régionale a la confiance de 80 % des Français. Les journaux d'information dans les territoires ultramarins sont largement leaders, et peuvent atteindre près de 70 % de parts de marché. Le « 13 heures » de France 2 ne cesse de progresser, tandis que le « 20 heures » a fait sa meilleure saison depuis douze ans. L'information de service public est reconnue comme fiable et indépendante. Nous sommes la seule télévision, en France, à donner une place aussi large à l'investigation et à l'exposition du débat politique à des heures de grande écoute.

Nous avons su également donner une nouvelle place à la fiction française. Il y a encore quelques années, elle était considérée comme sans avenir face à la fiction américaine. Or nous avons réussi à renouveler le genre. Hier soir, Capitaine Marleau a battu des records d'audience.

Nous avons également une mission éducative. Nous mettons la culture et la connaissance au coeur de nos offres, afin de les rendre accessibles au plus grand nombre, que ce soit à travers nos magazines, nos documentaires ou nos émissions dédiées. Le service public est reconnu pour sa capacité à faire connaître et à faire découvrir.

Notre premier enjeu est de reconquérir les jeunes publics. En effet, toute une génération s'éloigne de la télévision, et notamment du service public. Cinq défis doivent être relevés.

Le premier est de réussir la transformation de France 4. Aucune chaîne en Europe n'a encore mis son offre enfants en non linéaire, même si certains commencent à y réfléchir. Aujourd'hui, les acteurs dominants dans ce secteur sont YouTube et Netflix. Nous serons donc les premiers, en France, à relever ce défi d'une offre non linéaire pour les jeunes enfants. Une offre qui doit s'imposer et être repensée complètement, à la fois en maintenant des cases d'animation en linéaire et en bâtissant une offre non linéaire, riche, éducative, pertinente et sécurisante pour les parents. Ce qui nous permettra de maintenir nos engagements dans l'animation et de lancer notre plateforme en septembre 2019, autour d'une marque pour enfants unique.

Le deuxième défi, ce sont les jeunes adultes. Nous avons renforcé Slash, le média social lancé cette année, en proposant des contenus numériques, originaux et innovants. Nous allons donc continuer dans cette veine-là, en renforçant considérablement les investissements dans ces contenus créés spécifiquement pour le numérique. Nous allons également continuer de travailler en partenariat avec les équipes de Mouv' et de Radio France, car nous estimons que les adolescents et les jeunes adultes, même s'ils sont attirés par YouTube et Instagram, ne sont pas une cause perdue pour le service public.

Le troisième défi, c'est le renouveau du divertissement, le genre par excellence qui arrive à réunir la famille. En effet, là où les grands shows des chaînes privées parviennent à fédérer le public familial, la télévision publique manque d'émissions populaires et fédératrices ; à nous de les trouver. C'est un enjeu pour retrouver les jeunes.

Le quatrième défi à relever est de diversifier la fiction. Notre fiction fait de bonnes audiences mais les publics les plus jeunes, et ce ne sont pas les seuls, attendent une offre plus diversifiée, qu'ils ne trouvent aujourd'hui que sur les plateformes. Nous allons nous appuyer sur le vivier d'auteurs et de scénaristes et faire éclore leurs projets. La rapporteure Céline Calvez a rédigé un rapport intéressant sur cette question.

Le cinquième défi est de devenir le lieu d'éducation et de culture pour le plus grand nombre, le lieu où se raconte le roman national, au travers de grands événements sportifs et des commémorations, qui sont importantes pour expliquer aux jeunes publics l'histoire de France ; nous en diffuserons un bel exemple le 11 novembre.

Faire revenir les jeunes sur le service public n'est pas une chimère, c'est possible, mais nous devons nous en donner les moyens et changer radicalement nos habitudes pour y parvenir.

Notre deuxième enjeu est de remettre la périphérie au centre.

Les territoires sont au coeur des enjeux de la réforme de l'audiovisuel public. La télévision a été bâtie sur un modèle jacobin. Nous racontons trop souvent la France depuis Paris, alors que notre force réelle est bien notre ancrage territorial, que ce soit outre-mer ou dans les régions hexagonales. Derrière la question des territoires, c'est une question démocratique qui se pose, celle de la représentation. Nous avons l'obligation de représenter tous les Français, de toutes les géographies, mais aussi de toutes les origines.

Cela passe d'abord par la clarification de la place de France 3. Nous souhaitons en faire une chaîne clairement régionalisée. Cela se fera d'abord autour de l'information, mais aussi par une offre régionale que nous élargirons progressivement. Nous allons passer de deux heures de programmes régionaux à six heures. Cette inversion du modèle ne peut se faire qu'à travers une coopération renforcée avec France Bleu, qui sera notre premier partenaire dans la production de ces nouveaux programmes.

La visibilité des outre-mer est aussi un enjeu fondamental. Nous sommes très puissants dans les territoires ultramarins, avec neuf stations qui regroupent à la fois une télévision, une radio et une offre numérique. Cependant, nous peinons à irriguer l'ensemble de la communauté nationale. Les territoires ultramarins doivent être traités comme tous les territoires de la République. L'arrêt de France Ô doit nous amener à renforcer très fortement notre offre sur toutes les chaînes, dans l'information comme dans les programmes. Au moins une fois par mois, France Télévisions dédiera un prime time aux outre-mer.

Enfin, le traitement de l'actualité européenne est encore trop confidentiel sur nos antennes. Nous ne souhaitons pas y consacrer des programmes de spécialistes, mais davantage vulgariser et faire découvrir l'Europe à l'ensemble de nos concitoyens. Une attention particulière sera consacrée au débat européen qui s'ouvrira pour les prochaines échéances électorales. Nous diffuserons notamment le débat des candidats à la présidence de la Commission européenne. Nous avons également lancé un nouveau magazine, le samedi, intitulé Bons baisers d'Europe, visant à rendre plus proches les habitudes de vie de nos concitoyens européens.

Troisième enjeu : avoir une offre pleinement adaptée au numérique. Cette refonte éditoriale vise à faire passer toute notre offre à l'ère du non linéaire. Notre stratégie pour y parvenir repose sur trois piliers : l'exigence, l'expérience et l'exclusivité.

D'abord, l'exigence. L'offre vidéo sur internet est pléthorique, mais sa qualité est relative. Nous devons amener la même exigence que nous portons sur les antennes linéaires sur le numérique. Cela veut dire créer du contenu natif de qualité, quel que soit le programme. La qualité France Télévisions doit être perçue par le public comme étant une signature audacieuse et originale. Les contenus liés à la culture et à la connaissance doivent pleinement trouver leur place. L'enjeu éducatif est prioritaire, et nous nous inspirons beaucoup de la BBC qui aide tous les ans des centaines de milliers d'élèves à réviser leurs examens ; à nous d'être à la même hauteur.

Ensuite, l'expérience. Les éditeurs français ont trop peu investi la question de la qualité de l'expérience utilisateur, de l'ergonomie, de la « découvrabilité » des contenus. Nous devons investir tous les champs de l'innovation, la réalité virtuelle, l'intelligence artificielle… La question des algorithmes et des données de service public est majeure. Nous devons apporter aux citoyens la garantie du respect de la vie privée, de la non-utilisation commerciale de leurs données. Cependant, nous priver des données, c'est nous condamner à la relégation en matière d'expérience numérique. C'est également nous priver d'un moyen d'échanger avec nos publics, qui sont désireux d'avoir une conversation individuelle avec nous. La recommandation de service public ne doit pas être vécue comme un danger, mais, au contraire, comme la clé d'une relation personnalisée entre le citoyen et l'offre.

Enfin, l'exclusivité. L'argent de la redevance n'est pas là pour financer les marges gargantuesques des « GAFAN ». Je ne veux pas, alors que c'est le cas aujourd'hui, que demain les programmes financés par les impôts des Français se retrouvent sur Netflix et YouTube. Nous l'avons fait jusqu'à il y a deux ans, et nous voyons que cette stratégie ne mène nulle part. Discuter avec nos homologues européens a été très enrichissant, chacun ayant cherché à composer avec ces acteurs très puissants dans leur pays. Notre enjeu principal est de bâtir des plateformes françaises d'envergure. Mon objectif est, qu'en septembre 2019, france.tv soit notre première antenne. C'est sur cette plateforme que doivent se retrouver les contenus innovants du service public.

Mesdames, Messieurs, la télévision publique a un bel avenir devant elle, en France comme en Europe. D'ici à quelques semaines, je prendrai la vice-présidence l'Union européenne de radio-télévision (UER) aux côtés de Tony Hall. Les évolutions engagées par les deux grands pays que sont le Royaume-Uni et la France, indiquent qu'il existe un vrai besoin, à l'heure où les populistes nous attaquent de toute part, de réaffirmer le rôle de l'audiovisuel public, partout en Europe. C'est en donnant toute sa chance au service public que nous pouvons soutenir la démocratie, réaffirmer l'importance de la liberté d'expression et de l'indépendance du service public. C'est aussi une façon, pour Tony Hall, de réaffirmer le rôle, dans la construction européenne, que peuvent jouer les services publics européens, dans la diffusion d'une culture commune européenne, bien différente que la culture américaine, entre autres. Nous avons un rôle important de soutien de nos démocraties à jouer.

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