Intervention de Antoine Savignat

Séance en hémicycle du lundi 19 novembre 2018 à 16h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Motion de renvoi en commission (projet de loi organique)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Savignat :

Sous le titre trompeur de « Dispositions relatives au statut de la magistrature », vous avez en réalité écrit la nécrologie du tribunal d'instance, ce tribunal qui coûte si cher en moyens humains et matériels, ce tribunal à proximité de tous, tellement accessible et polyvalent qu'il fallait absolument le supprimer. Parce que les choses innommées n'existent pas, vous pourrez toujours promettre de ne jamais fermer un tribunal d'instance : ce texte adopté, ils seront tous un jour condamnés à disparaître. Ce projet de loi organique vise non pas, comme vous voudriez le faire croire, à renforcer l'organisation des juridictions, mais bien à démanteler les tribunaux d'instance.

Ce texte pour laquelle la Constitution impose un examen séparé vient à la suite d'un ensemble législatif non moins inquiétant. Une réforme faite de renoncements, de reculs, d'expérimentations ! Le caractère provisoire et expérimental de nombreuses mesures aurait dû nous conduire à laisser faire, à observer et à attendre les résultats, mais il ne peut en être ainsi, parce qu'il est des sujets qui ne supportent pas l'approximation et l'expérimentation. Les Français attendent de la stabilité, particulièrement en matière de justice.

Imaginez un instant qu'une réforme de la police propose de laisser certaines parties du territoire national sans police, à titre expérimental, comme ça, pour voir ! C'est exactement ce que vous proposez pour la justice et c'est ce que nous ne voulons pas, parce qu'il est des expériences aux conséquences irréversibles, lorsqu'elles sont menées par ceux qui ne veulent pas voir, qui ne veulent pas entendre, animés d'objectifs étrangers au but à atteindre.

L'objectif, vous l'avez indiqué : il s'agit d'une justice plus rapide – mais une justice plus rapide, ce n'est pas une justice rendue dans la précipitation, encore moins une justice expéditive, réglant les différends par plateformes informatiques, sans contrôle, sans pouvoir d'appréciation, sans équité et, plus grave, sans légitimité. La justice plus rapide, telle que la demande magistrats et professionnels du droit, et comme les Français la veulent, ce n'est pas une justice déshumanisée comme vous la proposez. C'est une justice avec les moyens de son fonctionnement, une justice avec des postes pourvus, une justice disposant des derniers outils techniques, modernes, performants, au service du savoir-faire, de la compétence et de l'expertise des magistrats. C'est une justice humaine, qui dispose des moyens de son fonctionnement, et non cette pseudo-justice, automatisée, déshumanisée, aseptisée, que vous nous proposez.

Une justice plus rapide, ce n'est pas non plus une justice sans victime. L'obsession du chiffre, le souci de la rentabilité ne doivent pas conduire à l'éviction de la victime du procès. C'est pourtant ce que vous envisagez en permettant son absence, si le tribunal n'a pas la certitude qu'elle a été touchée par la convocation. Depuis quand la notion de certitude existe-t-elle en matière de convocation judiciaire ? De quel droit priver la victime de son procès pénal, pourtant souvent indispensable à sa reconstruction ? La rapidité telle que vous la concevez n'est pas la justice, c'est le règne du chiffre, c'est la fin du juste au profit du résultat.

Vous voulez aussi une justice plus efficace. Cette efficacité, vous la voyez comme la révolution industrielle de la justice : vous n'inventez rien finalement en remplaçant l'Homme par la machine. Mais une justice plus efficace, ce n'est pas une justice mécanique, une justice sans contact, encore moins une justice qui s'éloigne de nos concitoyens. Une justice efficace, c'est une justice de proximité, une justice accessible, une justice humaine, bonne et équitable : bonne parce que rendue de la même manière, pour tous, sur l'ensemble du territoire ; équitable parce qu'humaine. C'est une justice de territoire, de connaissance de l'environnement économique et social.

L'efficacité que vous proposez n'est pas celle dont la justice a besoin. Toutes les méthodes semblent bonnes pour parvenir à tenir cette impossible programmation budgétaire, mais à ne penser qu'aux moyens, on en oublie les objectifs ! Vous supprimez le tribunal de tous, celui du petit contentieux, qui, pour la majorité des justiciables, est le contentieux de leur vie, l'affaire qui les préoccupe, celle qui envahit leurs pensées jour et nuit : l'expulsion, le conflit avec le voisin, le surendettement. C'est le contentieux de M. et Mme Tout-le-monde, celui des trois cents tribunaux d'instance dont vous venez de signer l'arrêt de mort. Vous leur supprimez leur identité en leur retirant leur nom. Vous ne donnerez pas aux chefs de juridiction les moyens de les maintenir en vie et ils n'auront pas d'autre solution que de fermer petit à petit ces succursales moins rentables.

Une justice efficace, ce n'est pas une justice rentable. On ne gagne pas d'argent en rendant la justice, on gagne la paix ! Or pour gagner la paix, il faut une justice équitable, une justice comprise, une justice garantissant les droits de la défense.

Toujours dans un souci d'efficacité, vous refusez de reconnaître aux juges le rôle fondamental qui est le leur. L'efficacité, c'est atteindre le but poursuivi par tous, c'est juger en expliquant, c'est juger en permettant de s'expliquer, parce qu'une décision comprise est une décision admise – mais ça aussi, au nom de la sacro-sainte efficacité budgétaire, vous semblez ne pas vouloir l'entendre.

Vous voulez aussi une justice moderne. Succomber aux sirènes de la mode, faire du jeunisme avec le pouvoir régalien, qui se doit par définition d'être intemporel et stable pour assurer la paix sociale en France, cela relève de l'inconscience absolue. La modernité dont veulent les professionnels, c'est, encore une fois, les moyens de leur action. La modernité dont veulent les Français, c'est une justice qui fonctionne, qui soit en mesure de traiter leurs demandes : des ordinateurs qui fonctionnent, des connexions à l'internet opérationnelles, du matériel en état de marche qui permette de répondre aux demandes.

La modernité ne réside pas dans la transmission de la résolution des contentieux à des plateformes privées et commerciales.

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