Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du lundi 19 novembre 2018 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Ces textes sont très controversés. Ils suscitent de sérieuses inquiétudes, exprimées par les magistrats, qui demandent des moyens humains et matériels, et non de nouvelles lois modifiant les procédures, par les avocats, qui n'avancent pas, contrairement à ce que j'entends beaucoup ici, des arguments corporatistes, par les associations, par les acteurs du monde pénitentiaires, qui ne souhaitent que des moyens et plus d'indépendance dans leur gestion, et par les justiciables. Ces inquiétudes portent sur les trois textes, y compris la loi de programmation budgétaire, jugée mal conçue dans ses priorités et insuffisante, notamment par le Sénat, qui défend une hausse non de 1,3 milliard d'euros, mais de 1,9 milliard. Je considère que le Gouvernement consent un effort important, que je tiens à saluer, nonobstant les observations très pertinentes de notre collègue Masson.

Sur la méthode, les chantiers de la justice, qui ont précédé le texte, comme la conférence de consensus de Christiane Taubira avait devancé la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, font partie de l'incontournable concertation devant précéder tout projet d'ampleur. J'en salue l'organisation, malgré son caractère précipité, dénoncé par quelques référents des chantiers.

Les parlementaires ont, eux aussi, été soumis à rude épreuve, comme nous l'avons déjà dit : procédure accélérée et examen immédiat en séance publique, avec un délai de dépôt des amendements de trois jours pour un long texte, fortement amendé par le Gouvernement et la majorité en commission des lois.

Enfin – et ce n'est pas la première fois que nous pouvons en faire le reproche – , la partie réglementaire très conséquente et les nombreuses habilitations à agir par ordonnance n'aident pas à prendre l'exacte mesure des effets et de la portée du projet de loi.

Nous partageons les principes fondateurs de ce texte. Le travail législatif mené en 2014 et en 2016 a été reconnu dans les chantiers de la justice. Ce texte ne tourne d'ailleurs pas le dos aux orientations que nous avions prises, en replaçant le juge au coeur du litige, en voulant rendre lisible et accessible l'action de la justice, et en donnant toute leur ampleur aux SAUJ, les services d'accueil unique du justiciable des TGI.

La réorganisation des juridictions a été amendée : la sauvegarde du statut du juge d'instance et la formation des tribunaux d'instance en chambres détachées – le terme exact restant à trouver – garantissent l'existence d'une porte de proximité pour le contentieux de la protection. Nous veillerons à ce qu'il en soit toujours ainsi.

Quant au développement du règlement amiable des différends, nous n'en contestons pas le principe – nous l'avons nous-mêmes développé à notre manière au cours du quinquennat précédent. S'agissant de la dématérialisation du règlement des litiges, nous devons en tracer la voie. À terme, elle est une alliée de la proximité et de la rapidité de la décision attendue par le justiciable.

S'agissant enfin du sens et de l'efficacité des peines, il nous semble que sanctionner une infraction – quelle que soit sa gravité – n'est pas une fin en soi. Il faut prévenir la récidive, et pour ce faire mettre un terme aux peines courtes d'emprisonnement et à la détention provisoire massive, lesquelles provoquent un encombrement préoccupant de nos maisons d'arrêt. L'exécution de la réponse pénale doit par ailleurs être rapide.

Si tout cela résonne comme une évidence, tel n'était pas le cas il y a quelque temps encore. Robert Badinter, dans la préface d'un récent ouvrage sur la prison cosigné par notre ancien collègue Dominique Raimbourg, écrivait qu'il « existe désormais en France un consensus national sur les fondements de la justice pénale. » « Les citoyens, ajoute-t-il, ont en majorité conscience que nos prisons devraient être plus humaines, que la surpopulation carcérale devrait être combattue, que le régime des peines devrait favoriser la réinsertion des détenus, que le malheur des victimes doit être une priorité et que la prison pour les mineurs n'est pas une panacée. »

Sur ce sujet, nous pouvons désormais transcender les oppositions de principe et faire progresser un projet intéressant la République tout entière. La contrainte pénale, que nous avons mise en place en 2014, répondait à cette exigence d'intérêt général. Elle a contribué, me semble-t-il, à faire évoluer les mentalités, en dépit de son échec relatif, dû au manque de temps et de moyens dédiés.

Nous sommes d'accord avec vous, madame la garde des sceaux, sur la nécessité de conférer aux peines exécutées hors les murs de la prison le statut attaché à l'incarcération, de fixer une échelle des peines désindexée de l'emprisonnement, d'interdire les courtes peines de prison et de limiter le nombre de détenus provisoires.

S'agissant de la surpopulation carcérale, nous avons toujours considéré qu'il fallait construire davantage de places de prison, non pour emprisonner plus, mais pour atteindre deux objectifs : diversifier les lieux d'emprisonnement et surtout garantir à 80 % des détenus qui le souhaitent un encellulement individuel. L'action conjuguée de peines alternatives à la prison, de la libération sous contrainte et de la construction de nouveaux lieux d'emprisonnement pourrait nous permettre – avec des moyens adaptés – de venir à bout de cette surpopulation carcérale justement condamnée.

Par ailleurs, si nous partageons pour l'essentiel les orientations du texte, leur application – telle qu'elle est prévue dans le texte – appelle des critiques sévères et des appels à la prudence. Nous, députés, devons veiller au maintien, dans les textes que nous votons, de l'égal accès au juge et de l'accès au droit de tout citoyen, où qu'il se trouve sur le territoire national et quelle que soit sa situation sociale.

Nous devons veiller à faire en sorte que la simplification et la dématérialisation des procédures judiciaires ne pèsent pas sur les usagers de la justice. Nous devons prévoir des phases de transition et veiller au « présentiel humain », que vous avez évoqué à juste titre, madame la garde des sceaux. Tirons les enseignements de la dématérialisation ratée des permis de conduire et des cartes grises !

Nous devons aussi organiser, de façon plus lisible et encadrée, les dispositifs de la conciliation, de la médiation et de la procédure participative, qui mettent le justiciable hors les murs du tribunal tant que le litige n'est pas cristallisé. Une fois satisfait ce préalable – qui selon nous ne doit pas être obligatoire – , une garantie d'accès au juge dans un délai raisonnable devrait être fournie par le texte, en contrepartie de ce premier engagement. Enfin, au cours de la phase préalable à l'intervention du juge, quel rôle joue l'avocat, précieux auxiliaire de justice ? Ne doit-il pas y être mieux associé, de façon plus organisée, différenciée et lisible par la loi ?

S'agissant du volet pénal, je conteste la généralisation des techniques spéciales d'enquête et l'abaissement de cinq à trois ans du quantum de la peine encourue à partir duquel une enquête préliminaire peut donner lieu à une perquisition au domicile sans l'assentiment de la personne concernée. Les garanties procédurales prévues par le texte me semblent insuffisantes.

Au demeurant, le rapport des référents du chantier de la justice « Amélioration et simplification de la procédure pénale », Jacques Baume et Franck Natali, ne dit pas autre chose. Sa lecture me conforte dans l'exigence visant à renforcer le débat contradictoire au cours de l'enquête, afin de compenser les pouvoirs du parquet. Au surplus, je considère – comme eux – qu'il faut être prudent en matière de réformes renforçant les pouvoirs du ministère public tant que la Constitution ne garantit pas l'indépendance de la nomination des magistrats du parquet.

S'agissant de l'échelle des peines, je redoute que la fixation du quantum de peine permettant de bénéficier d'un aménagement de peine ab initio à un an et non deux aille à l'encontre de l'objectif salutaire de lutte contre la surpopulation carcérale. Par ailleurs, ne pas faire de la peine de probation une peine à part entière et conserver son adossement à une peine d'emprisonnement est une occasion manquée de lui donner de l'ampleur.

Enfin, très préoccupant est le hiatus entre la politique pénale envisagée – à laquelle je souscris sur bien des points – et les effectifs de greffiers ainsi que de conseillers d'insertion et de probation, dont le nombre, certes majoré de 1 500 d'ici 2022, ne suffira pas à faire des modes alternatifs à l'emprisonnement un recours puissant, effectif et de qualité. Je redoute donc l'échec du développement des mesures alternatives à l'emprisonnement, principalement pour ce motif : quelle réalité donner au dossier de personnalité du prévenu ou du détenu sans agents en nombre suffisant pour le constituer ?

L'État, veilleur de nuit, en charge des fonctions régaliennes, ne doit pas se soustraire à son devoir de régulation de la marchandisation du droit. Il doit protéger le service public de la justice. Il doit lui allouer un budget significatif et laisser travailler les professionnels. La présente réforme ne constitue pas le grand soir de la procédure pénale ni de la procédure civile, comme vous l'avez rappelé, madame la garde des sceaux. Les deux textes comportent des points positifs et d'autres qui le sont moins.

En fin de compte, il manque une réforme d'ampleur du volet pénal, pour laquelle il aurait fallu attendre l'adoption de la révision constitutionnelle. À mes yeux, il manque également un vaste projet en matière de justice réparatrice, démarche qualitative procédant d'une culture judiciaire recherchant le contour de tout auteur d'infraction et inscrivant dans le dur de nos cerveaux la prévention de la récidive.

Ne pas être allé plus loin dans ce registre constitue une occasion manquée. Cette observation, que j'ai fait valoir en commission des lois, n'a rien d'anecdotique. Par-delà les cinq chantiers de la justice que vous avez ouverts, madame la ministre, il en est un dont doit s'emparer la représentation nationale, celui de la confiance que doit avoir le citoyen dans le service public de la justice.

Un sondage réalisé en 2013, corroborant d'autres enquêtes, indiquait que 95 % de nos concitoyens veulent une justice plus rapide, 90 % une justice plus lisible et 60 % une justice plus efficace. Les textes que nous allons examiner répondent-ils à ces aspirations ? C'est à l'aune de ces exigences et de notre volonté de promouvoir un service public de la justice d'une qualité équivalente à celle constatée ailleurs en Europe que nous allons en débattre.

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