Intervention de Anouar Kbibech

Réunion du mardi 30 octobre 2018 à 17h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman :

Je vous remercie pour cette invitation. Cette audition constitue un moment privilégié d'échange objectif et serein sur la question fondamentale de la bioéthique.

Je vais d'abord exposer les raisons pour lesquelles le Conseil français du culte musulman (CFCM) prend position sur ces questions de bioéthique, puis j'indiquerai les principes directeurs qui motivent ses prises de position et je dirai enfin comment ces principes se déclinent pour les thèmes dont M. le président a parlé dans son propos introductif en me limitant, étant donné le temps qui nous est imparti, à trois ou quatre thèmes.

Si le CFCM peut, et même doit, contribuer au débat actuel sur la bioéthique, c'est d'abord parce que le Président de la République a indiqué le 21 décembre 2017, quand il a reçu l'ensemble des représentants des cultes, qu'il souhaitait que les confessions s'expriment sur cette question. Le 9 avril dernier, lors de la réception de la Conférence des évêques de France au Collège des Bernardins, il nous a de nouveau encouragés à prendre position, notamment auprès du CCNE.

La deuxième raison pour laquelle le culte musulman souhaite faire connaître sa position est que, la religion musulmane étant la deuxième religion de notre pays, il fait partie intégrante du paysage cultuel français, ce qui lui donne des droits et des devoirs. La troisième raison est notre volonté de contribuer au « vivre ensemble » et au « faire ensemble » sur ces sujets d'ordre éthique hors de tout contexte tragique post-attentats et loin de tout amalgame entre islam, terrorisme et radicalisme. Ce débat serein engage en effet, pensons-nous, le devenir des générations futures. J'ajouterai que, de même que la voix des protestants s'adresse aux protestants, ainsi que l'a dit le président Clavairoly, la voix du culte musulman est destinée aux musulmans se posant des questions. Elle peut, bien sûr, éclairer les débats comme ceux que nous avons aujourd'hui, mais ses prétentions ne vont pas plus loin.

Concernant la démarche globale du CFCM, la religion musulmane est de façon générale favorable au progrès scientifique. La jurisprudence de la religion musulmane n'a pas forcément pris position sur toutes les questions que posent ces progrès mais les portes de l'ijtihâd, l'effort intellectuel dans la religion musulmane, sont ouvertes : il nous faut réaliser un travail de réflexion pour prendre position sur ces questions. Le principe de base de la religion musulmane est que tout est permis, sauf ce qui est interdit, chaque interdiction étant expliquée par des raisons qui sont les principes directeurs. Ces principes sont une contribution positive et constructive au débat national et à la vie de la nation et ne reflètent en aucun cas une volonté d'hégémonie, de prosélytisme ou d'islamisation des lois et valeurs de la République.

Les principes directeurs de la religion musulmane rejoignent ceux qu'a énoncés le rabbin Michaël Azoulay. Car on cherche souvent à opposer les juifs et les musulmans mais, pour tout ce qui a été dit jusqu'ici dans cette table ronde, nous nous retrouvons. Le premier de ces principes est la sacralité de la vie, qui n'appartient à personne, pas même à l'individu concerné, et qui doit donc être protégée en toute circonstance. Je citerai à cet égard la sourate du Coran dans laquelle Dieu dit : « Ne porte pas atteinte à la vie que Dieu a rendue sacrée. »

Le deuxième principe directeur est la préservation de la filiation légitime, l'une des cinq finalités de la religion musulmane, qui ne se conçoit que dans le cadre du mariage entre un homme et une femme. Le troisième principe, lui aussi fondamental, est la préservation des droits de l'enfant, que nous opposons au droit à l'enfant. Car l'enfant n'est pas un bien qu'on peut posséder comme on achète une voiture ou une maison, il n'est pas une sorte de poupée Barbie avec laquelle les parents pourraient jouer ! Plutôt que de droit à l'enfant, on parle aussi parfois de désir d'enfant, mais le désir ne saurait justifier n'importe quoi. Par contre, nous considérons qu'il faut garantir à l'enfant les meilleures conditions, que ce soit pour sa procréation, sa naissance, son éducation ou son épanouissement. Les enfants qui naissent dans une famille sont en effet, pour la religion musulmane, un don de Dieu et non un dû.

Ces principes directeurs peuvent être appliqués aux questions pratiques qui nous occupent. J'en envisagerai quatre dans cet exposé : la PMA, la GPA, le don d'organes et la fin de vie.

Pour la religion musulmane, la PMA est permise à condition qu'elle n'empêche pas la préservation de la filiation, qui est le deuxième principe directeur dont j'ai parlé. Parmi les possibilités médicales de PMA, seules celles qui ont recours à une fécondation entre ovules et spermatozoïdes provenant d'époux légitimes sont considérées comme licites par la religion musulmane, car recourir à un don de spermatozoïdes ou d'ovules mettrait en péril la filiation. Ainsi, ceux qui cherchent un appui pour ouvrir la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes ne le trouveront pas de la part du CFCM.

De même que pour la PMA, les avis du CFCM sur la GPA se fondent sur la réflexion du conseil théologique que celui-ci a mis en place depuis deux ans et qui réunit une trentaine d'imams et de théologiens de France. Parce que la religion musulmane interdit de faire intervenir un tiers dans la procréation, le recours à une mère porteuse ne saurait être autorisé. Le risque d'une commercialisation de cette prestation constitue également un grave danger, ainsi qu'il a été dit précédemment. Enfin, on peut craindre les effets psychologiques et affectifs subis par celle qui aurait porté l'enfant pendant neuf mois pour être exclue de la vie de l'enfant après sa naissance.

Le don d'organe est pour sa part autorisé par les jurisconsultes musulmans, qui se sont fondés sur le verset coranique selon lequel « celui qui sauve une vie sauve l'humanité entière ». Le don d'organe, qui sauve des vies sans mettre en cause la filiation, est donc conforme à deux des principes directeurs.

Concernant la fin de vie, la religion musulmane considère que ni le médecin, ni la famille, ni le patient lui-même n'ont le droit de faire mourir le malade par suicide assisté ou par suicide, dans la mesure où la vie est sacrée et ne nous appartient pas. En revanche, le médecin a l'obligation d'accompagner le patient en fin de vie en lui procurant un maximum de confort et en s'efforçant de soulager sa douleur. Sur ce point, le CFCM est entièrement d'accord avec la position qu'a exprimée le président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs lorsqu'il a mis en avant les quatre principes que sont le refus de l'acharnement thérapeutique, que rejette aussi la loi Leonetti, la possibilité de limiter les traitements, le respect du refus du traitement par les malades, qui diffère du suicide actif ou assisté, et la mise en place de soins propres à soulager la souffrance jusqu'à la fin de vie.

La position de la religion musulmane sur ces sujets est donc assez proche de celles des autres confessions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.