Intervention de Anne Cambon-Thomsen

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 16h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Anne Cambon-Thomsen, immunogénéticienne, directrice de recherche au CNRS et membre du Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne :

Je parlerai de l'éthique concernant les tests génétiques dans le domaine médical et m'exprimerai aussi en ma qualité de co-pilote du groupe de travail sur les aspects éthiques, réglementaires et sociétaux du plan « France Médecine génomique 2025 ».

Un mot, pour commencer, du rapprochement, ou en tout cas de la porosité entre recherche et clinique en ce qui concerne la génétique. Cela tient à l'utilisation, depuis assez longtemps, d'études larges du génome : les chercheurs s'interrogent sur les buts de la recherche et sur le fait de savoir si les données produites apportent des informations utiles au plan clinique aux personnes qui participent à ces recherches. La question s'est toujours posée dans la recherche mais elle devient ici cruciale parce que l'on sait qu'en étudiant tout un génome on obtiendra une masse d'informations potentiellement utiles. Les chercheurs se posent donc des questions de cliniciens ; quant aux cliniciens, ils génèrent par les examens génétiques qu'ils prescrivent des données qui peuvent être utiles à la recherche, car on a encore une connaissance très partielle de l'interprétation de données de séquence sur un ensemble de génomes.

Il existe en France une réglementation de la recherche et une réglementation de la clinique, la seconde dépendant de la loi de bioéthique. En l'état, la réglementation de la recherche établit que si une recherche révèle un élément permettant de diagnostiquer une pathologie grave pour laquelle il existe une conduite à tenir, l'équipe de chercheurs doit communiquer cette information au patient, à condition qu'il ait consenti à cette éventuelle communication. En revanche, la pratique clinique est ainsi réglée que l'on doit seulement donner au patient le résultat concernant ce qui a motivé l'examen génétique. Ainsi, alors que clinique et recherche s'interpénètrent, on se trouve pour les tests génétiques avec un ensemble législatif qui n'est plus cohérent sur le plan éthique. Il faudra en tenir compte lors de la révision de la loi de bioéthique.

Le CCNE, dans son avis n° 129, mentionne le fait que lorsque des analyses génétiques sont prescrites en clinique pour éclairer le diagnostic, on se doit d'informer le patient que les données collectées peuvent être utiles en recherche. Le consentement doit comprendre ce volet. La question doit être posée systématiquement, puisque les banques de données, en génétique, sont la source de l'information nouvelle qui permet d'en apprendre davantage sur le rôle des variants génétiques dépistés. Il faut prendre acte de cette interpénétration et respecter systématiquement la liberté des personnes de participer ou non à la recherche.

Cela influence le consentement, qui a toujours été un pilier de la génétique et qui doit le rester, mais qui doit avoir une signification réelle. Avec ces examens à large échelle, comment expliquer l'ensemble des données que l'on va générer ? Que va-t-on aller regarder ? Á qui incombe la responsabilité de définir ce qui sera regardé et ce qui ne le sera pas ? Comment cela doit-il se faire dans le temps, sachant que les urgences sont rares en génétique ? Il faut rendre service sur le plan médical à un patient préoccupé par une symptomatologie particulière, mais lui donner brutalement, en une fois, toutes les informations sur ce que représentent ces données génétiques, est presque inhumain. Par ailleurs, la préoccupation suscitée par un diagnostic donné peut obérer la capacité du patient à se poser d'autres questions. Il est donc important de parler de « consentement élargi » en prenant le temps – et le temps des médecins coûtant cher, cela demande de l'argent ; or ce qui est dit dans la loi doit trouver à s'appliquer. Le consentement doit désormais être un processus au long cours, sur lequel on peut revenir, et non plus un acte unique. Ainsi permettra-t-on aux personnes de se saisir d'un ensemble de données qu'il est très difficile d'appréhender en une seule fois.

D'autres questions se posent : à qui revient la responsabilité de conserver, protéger, mettre à jour et annoter les données ? Pour l'instant, une recherche se fait dans le cadre d'un projet déterminé et nul ne se sent vraiment responsable des données autres que celles dont il se sert. Á l'hôpital, les médecins ne sont pas payés pour « curer » des banques de données, mais pour assurer un service ponctuel aux patients. Ce n'est donc le travail de personne. Or, la génétique future sera fondée sur la valeur des données collectées, annotées et enrichies. Il serait donc important de mentionner, au nombre des missions de l'hôpital, celle de prendre soin des banques de données constituées à l'occasion des tests génétiques et de les faire servir, par le biais du consentement, à des fins de recherche. En génétique, le transfert des connaissances nouvelles vers l'utilisation clinique est très rapide : elle se fait par l'exploration de la banque de données et elle est applicable immédiatement à d'autres patients sans passer par les protocoles de recherche classiques.

J'en viens pour finir aux découvertes incidentes et secondaires. L'exploration d'un génome ayant été prescrite pour une indication clinique précise, lorsque d'autres données potentiellement utiles au patient seront générées, on voudra explorer les facteurs découverts incidemment ou secondairement. Actuellement, on ne peut faire cela dans le cadre clinique. Il faut revoir cette interdiction. Entre dire : « On ne peut donner pour informations que ce pour quoi l'analyse génétique a été prescrite ; pour le reste, on n'a pas le droit » et dire : « On va tout explorer », il est possible de trouver un juste milieu. L'information génétique étant générée de toute façon, on peut prendre le temps d'en discuter avec le patient, pas nécessairement le premier jour mais une fois le diagnostic posé. Alors une deuxième version du consentement pourra être donnée, ou non, par un patient mieux informé et plus en état de décider. Il serait important d'harmoniser le cadre et de donner aux gens la possibilité de s'exprimer. Cela aura des conséquences sur l'organisation des analyses génétiques, car cela demande des compétences spécifiques. C'est pourquoi le CCNE souhaite la création d'un statut des conseillers en génétique, auxquels il suggère de donner la possibilité de prescrire des examens génétiques, et dont il suggère d'augmenter le nombre puisque la possibilité d'obtenir des informations sur le génome fera se développer une activité que l'on pourrait ainsi, sans danger pour le patient, ne pas restreindre aux médecins.

Enfin, la génétique pénétrant bien des pans de la médecine, les pouvoirs publics, par le biais des agences concernées, ont un grand rôle à jouer dans la diffusion de ces connaissances, tant dans la formation des médecins que dans l'information sur la génétique à l'école et dans le public, qui doit être encouragée.

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