Intervention de Pierre Lévy-Soussan

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 9h55
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Pierre Lévy-Soussan, psychiatre, psychanalyste, chargé de cours à l'université Paris-Diderot :

Je souscris tout à fait aux propos du docteur Bydlowski concernant les études. Il a fallu, dans le champ de l'adoption, attendre près de trente ans avant de pouvoir dire qu'il existait parfois un problème avec les parents adoptifs. Les premières publications sur l'adoption mettaient en lumière les facteurs de risque par rapport à l'enfant, les troubles de l'attachement, mais rien sur les parents. Cela faisait partie des sujets tabous. J'ai écrit un livre sur les échecs d'adoption, dans lequel je pointais les risques parentaux. Ce champ d'étude commençait à peine à poindre d'un point de vue scientifique. Or il existe aujourd'hui de plus en plus de publications à ce sujet.

Il arrive exactement la même chose avec les couples de même sexe et les femmes seules. Depuis les années 2000, s'est développé un discours extrêmement militant, autour du dogme selon lequel les enfants issus de ces procréations non seulement vont bien, mais vont mieux. Or cette vision a été remise en cause par tous les travaux récents, qui expliquent justement que l'idéologie qui a fondé des études effectuées le plus souvent par des associations militantes, engagées, avait apporté des biais terribles. Je ne peux pas vous laisser dire que ces enfants vont bien ou mieux, car ce n'est pas vrai. Les études ont montré au contraire que les choses étaient plus compliquées pour ces enfants. Vous évoquiez le poids du regard social ; or les études menées dans des pays où le mariage de même sexe est autorisé ont donné les mêmes résultats. Lorsque l'on apparie sur ce paramètre, les différences subsistent.

S'agissant de l'absence de père, il nous est également couramment opposé l'existence d'autres repères familiaux masculins. Ma réponse est simple : rien ne remplace un père. Un parrain, un grand-père, un éducateur, un professeur, s'ils peuvent être des références masculines, ne sauraient en aucun cas remplacer un père, dans la mesure où ils ne sont qu'occasionnellement présents dans la vie de l'enfant. Lorsque ces femmes doivent affronter les difficultés quotidiennes auprès de l'enfant, personne n'est là pour les épauler. Un référent masculin peut être utile à l'enfant dans sa construction, mais il n'est pas l'équivalent d'un père.

Concernant l'évolution de l'Académie de médecine, il est clair qu'aucune des auditions auxquelles j'ai pu assister avant n'avait évoqué l'ouverture de l'AMP aux femmes seules. Seule était envisagée la possibilité d'un accès de l'AMP pour les couples de femmes. C'est également vrai des rapports de l'Agence de la biomédecine.

Là encore, il me semble important de distinguer le facteur filiatif du facteur éducatif. Ces différents travaux montrent que la pratique de la sexualité n'a rien à voir avec l'éducation de l'enfant. Le point de vue que je souligne est qu'il peut exister des différences par rapport à la complémentarité homme-femme ou à la solitude de la femme. Mais je souhaite insister surtout sur les complexités au plan filiatif, autour du fait pour l'enfant de ne pouvoir s'originer. Cela se retrouve dans tous les travaux du professeur Guyotat sur la filiation.

Le fait de travailler dans le champ de la protection de l'enfance et en tant qu'expert auprès des tribunaux m'a montré par ailleurs à quel point tous les humains étaient faillibles. Même dans les situations dites « classiques », mettant en scène un couple hétérosexuel, les choses sont complexes et il existe des échecs filiatifs. Certains parents ne parviennent pas à être père ou mère. C'est vrai a fortiori dans des situations moins classiques, dans lesquelles on sait que les risques augmentent et se démultiplient. Je me souviens de l'exemple d'un couple de femmes qui avait eu recours à un don d'ovocytes ; celle qui avait porté l'enfant ne parvenait pas, malgré l'accouchement, à se sentir mère et avait demandé à son enfant de l'appeler « tata ». Pourtant, généralement, l'accouchement fait la mère, sur un plan psychologique. L'impact de la technologie sur le psychisme peut être énorme et empêcher les personnes d'occuper pleinement cette position de parents, avec toutes les conséquences cataclysmiques que cela peut avoir au niveau de l'enfant. Une fois de plus, la question n'est pas de savoir si tout le monde peut surmonter cette situation. Tout dépend de qui l'on décide de privilégier. Mon fil rouge est, vous l'aurez compris, de donner la priorité au point de vue de l'enfant, qui n'a pas à supporter des risques scientifiques. L'utilisation de la science pour fragiliser cette position ne me semblerait, éthiquement, pas raisonnable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.