Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

L'augmentation des effectifs actuellement prévue pour la marine par la LPM jusqu'en 2025 représente 1 000 postes dont 71 dès 2019, lesquels me permettront notamment d'armer le nouveau patrouilleur La Combattante, qui part aux Antilles, et d'ouvrir un peloton de sécurité maritime et portuaire de gendarmerie maritime à Calais, pour contribuer à la protection du trafic transmanche.

Je serais ravi que les effectifs tombent sur la marine comme à Gravelotte ! Néanmoins, je dois avant tout réorganiser la marine. Et cette réorganisation me permettra de dégager des marges de manoeuvre. En tout cas, c'est mon ambition. Par exemple, sur les bâtiments à double équipage aujourd'hui, la marine consacre une part très importante de ses ressources à la formation. Nous recrutons des matelots et des jeunes officiers mariniers, que nous devons former en moyenne 23 jours par an et par marin. En fait, toute l'activité de la marine tourne autour de ce moyeu de la formation professionnelle continue. On sort un matelot de son bateau, on l'envoie en école et quand il a fini son école, au bout de six mois, il va sur un autre bateau. On peut imaginer que, quand il y aura deux équipages par bateau, le cycle d'activité des équipages sera le driver de la formation. C'est ce à quoi nous travaillons. Je pense que j'aurai alors des ressources disponibles. Donc, en résumé, nous aurons 1 000 postes supplémentaires jusqu'en 2025 et 71 en 2019, et je considère que j'ai du travail à faire en réorganisant la marine, notamment dans le domaine de la formation.

Vous me demandez si je considère que la prime de lien au service est suffisante. Elle ne l'est pas. Il faut y rajouter le sens du métier, le sens de la mission, la qualité du commandement, l'environnement – notamment familial : il y a quarante ans, quand je suis entré dans la marine, on disait « la famille ne fait pas partie du sac ». Si l'on dit cela à un marin aujourd'hui, il pose la casquette, il pose le « bachi », et il s'en va. C'est cet ensemble qu'il faut prendre en compte, et à propos duquel nous demandons des avis extérieurs pour améliorer notre organisation. Pour ce qui est des primes de fidélisation, je recherche avant tout de la souplesse, car les métiers changent. À une époque, les atomiciens partaient en masse. Puis les fusiliers marins. Peut-être leur mettait-on trop de pression ? Peut-être y avait-il un problème de commandement ? Peut-être que leurs équipements étaient insuffisamment performants ? Nous intervenons ou sommes intervenus dans chacune des spécialités. Je demande de la souplesse d'intervention, notamment dans le domaine de la rémunération. Il faut que je puisse déplacer les moyens en fonction des besoins de la marine, à enveloppe constante bien sûr. Avant la prime de lien au service, il existait une prime que nous avions réussi à appeler, dans notre jargon inimitable, la prime réversible de compétences à fidéliser (PRCF) – j'ignore ce qui était réversible, les compétences, la prime ou les deux ! (Sourires.) Prime en échange de laquelle les marins devaient s'engager à rester dans la marine quatre ans de plus. En général, ils préféraient – en tout cas les plus pointus d'entre eux – garder leur liberté et saisir l'occasion d'autres propositions qui se présenteraient de toute façon. J'avais alors suggéré qu'à enveloppe constante et dans une fourchette que l'on m'aurait imposée, je puisse choisir le niveau de PRCF. Cela m'avait été refusé. Mais regagner de la souplesse, je pense que c'est aussi ce que demandent les entreprises qui disposent de ressources rares et de compétences dans lesquelles elles ont investi durant des années. S'adapter à la concurrence en conservant mes ressources, c'est ce que je recherche.

Les patrouilleurs constituent vraiment le segment de la marine qui part en dentelle. Nous devions en avoir huit outre-mer, en particulier pour surveiller les zones économiques exclusives, et ils devaient être renouvelés dans le cadre du programme BATSIMAR que vous avez évoqué et qui est en retard depuis dix ans. Pour le rendre plus accessible, j'ai commencé par proposer de le scinder en deux en distinguant les patrouilleurs outre-mer (POM), dont six, qui vont être commandés dans le cadre du PLF 2019, arriveront à partir de 2021 et les patrouilleurs métropolitains qui seront un peu plus gros et qui remplaceront les avisos. Inscrits dans la LPM, les deux premiers patrouilleurs métropolitains arriveront avant 2025. Nous connaîtrons donc probablement des ruptures temporaires de capacité, c'est-à-dire des bateaux qui n'existent plus. Nous aurons des bons de commande. Vous aurez besoin d'un patrouilleur pour patrouiller, mais vous aurez un bon de commande pour le faire ! C'est l'héritage de dix ans de procrastination sur ce projet. Mais les choses ont été prises en main et la commande de six POM sera lancée en 2019. Avant cela, la ministre a décidé de commander en avance de phase, sur le même marché que celui des patrouilleurs légers guyanais, dans le cadre de ce que l'on appelle un repeat order, un troisième patrouilleur – La Combattante – qui partira aux Antilles pour combler un trou qui existe depuis 2010. Enfin, le sujet de la Nouvelle-Calédonie a été plusieurs fois évoqué. Je n'aurai pas les POM à courte échéance. Je suis donc en train d'étudier la prolongation des P400 qui sont déjà là-bas. Nous les entourerons des plus grands soins pour maintenir leur disponibilité, notamment face aux grands appétits des marins du Sud-Est asiatique qui viennent pêcher dans les eaux de la Nouvelle-Calédonie. Vous avez évoqué les blue boats vietnamiens qui viennent piller le lagon de Nouvelle-Calédonie.

Les bateaux et les patrouilleurs ne sont pas les seuls éléments pour assurer notre souveraineté sur la ZEE. Nous développons aussi le recours aux images satellitaires, dans le cadre du projet Trimaran qui permet de réorienter des moyens toujours insuffisants et comptés, ainsi que les drones. Je l'ai dit, je veux un drone par bateau. À terme, mon objectif vise par ce biais à multiplier par dix la surface couverte dans les zones françaises.

Pourquoi n'avons-nous pas pensé plus tôt à doubler les équipages ? En fait, ce sont les bateaux qui ont changé. Aujourd'hui, une FREMM fait avec un équipage de 100 hommes ce que faisait le Colbert il y a quarante ans avec un équipage de 500. Or, on ne pouvait pas avoir deux équipages de 500. Mais il se trouve qu'aujourd'hui nos FREMM ressemblent à des SNLE. Ce sont à la fois des équipages réduits à une centaine de personnes, des marins sur lesquels nous avons beaucoup investi en matière de formation, et de la très haute technologie. Puisque nous avons des bateaux qui ressemblent à des sous-marins, nous pouvons adopter le rythme de fonctionnement de ces derniers.

À Toulon, les importants travaux d'infrastructure sur les quais visent à accueillir les Barracuda et les FREMM. À Brest et à Toulon, nos infrastructures datent du plan Marshall et de l'après-guerre. Avec ces nouveaux bateaux, qui demandent des puissances électriques plus importantes, il faut revoir les interfaces et la capacité de production électrique de nos bases navales. Nous avons donc un grand programme de rénovation de l'alimentation électrique. Enfin, le parent pauvre de nos programmes reste l'accueil et l'hébergement de nos marins. Cette thématique relève du plan d'accompagnement des marins et du plan « Famille ». Nous devons pouvoir proposer des capacités décentes aux jeunes qui viennent d'entrer dans la marine ou aux célibataires géographiques – ceux qui ont accepté de venir à Toulon en laissant leur famille à Brest, par exemple. Un important travail de rénovation de nos capacités d'hébergement est donc en cours à Brest, à Toulon et à Lorient.

Une priorité du plan « Famille », outre la garde d'enfants, l'emploi du conjoint et les capacités de logement, est la proximité. Je suis l'avocat de la proximité de la mise en oeuvre du plan « Famille » avec des relais locaux. Il faut investir dans des projets communs avec les municipalités dans lesquelles habitent les marins. Nous avons commencé à recenser les lieux où vivent les marins, leur pouvoir d'achat et le nombre de leurs enfants. Il existe des mesures, de portée générale, comme la prestation de soutien en cas d'absence prolongée du domicile (PSAD), l'aide à l'emploi des conjoints ou la négociation avec le ministère de l'Éducation nationale pour favoriser l'accompagnement des conjoints qui travaillent dans ce secteur de Brest vers Toulon. Parallèlement nous devons investir dans les mesures de proximité.

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