Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

Je tire trois retours d'expérience de l'opération Hamilton. D'abord des éléments techniques, sur lesquels nous avons demandé aux industriels d'investiguer. Les points précis ont été identifiés et les mesures d'amélioration du système sont prises – et le seront pour l'ensemble des bateaux. Ensuite, quand les trois frégates ont été dépêchées en Méditerranée orientale, deux d'entre elles s'entraînaient au sud de Toulon dans le cadre d'exercices tout à fait ordinaires. La leçon que j'en tire est que l'état de préparation de nos bateaux doit permettre, dès lors qu'ils sont déclarés aptes pour le service opérationnel, de basculer en très peu de temps d'une activité assez routinière à une activité extrêmement intense et complexe, avec des interactions interarmées et internationales. Enfin, vous vous souvenez de toutes les déclarations qui ont précédé l'opération Hamilton, notamment sur les réactions qu'elle pourrait déclencher, l'interception des missiles voire l'engagement des tireurs de missiles. Nous nous sommes retrouvés dans la situation que je décrivais tout à l'heure. Même à 1 000 kilomètres des côtes, on n'est plus, en mer, à l'abri de toute réaction. Il faut prévoir des contre-attaques et une possible réaction d'adversaires. Dans le plan Mercator, c'est la marine de combat. Il faut être capable de tirer des missiles de croisière et, dans le même moment, d'employer une panoplie anti-missiles.

J'en viens à la question sur la guerre des mines. Il existe de nombreuses mines en France, dans nos eaux. Elles datent des deux guerres mondiales. Chaque jour, nous désamorçons environ dix munitions trouvées dans l'eau, dans les filets des pêcheurs ou sur la plage – soit 3 000 par an. Ce ne sont pas toujours de grosses mines ou de grosses bombes, mais cela arrive tous les jours. Il existe aussi des mines plus récentes, comme celles qui ont été posées dans le golfe Arabo-persique il y a quelques années ou celles qui l'ont été en mer Rouge plus récemment – qu'il convient de déminer. Jusque-là, pour déminer, on envoyait un bateau et son équipage dans le champ de mines. Pour qu'il n'explose pas, il fallait qu'il n'ait pas de signature magnétique. Il était donc en fibre de verre. Nous souhaitons désormais utiliser des drones sous-marins ou de surface remorquant un sonar pour détecter les mines. C'est notamment le but du démonstrateur MMCM sur lequel nous travaillons actuellement avec les Britanniques. L'une des difficultés techniques liées au degré d'automatisation est de ne pas se laisser submerger par de fausses alarmes. Nous passerons en phase de test à compter de 2019, date à laquelle nous recevrons le premier exemplaire de prototype. Dans le même temps, nos camarades belges et néerlandais veulent renouveler leurs moyens de guerre des mines. Il y a quarante ans, ils avaient fait avec nous le programme des chasseurs de mines tripartites qui sont aujourd'hui en service dans la marine. Un appel d'offres a été lancé.

Par ailleurs, ainsi que vous l'avez rappelé, il existe actuellement 12 réacteurs dans la marine, qui est le deuxième exploitant nucléaire européen : deux sur le porte-avions et un sur chacun de nos sous-marins. La formation des équipages à leur utilisation s'inspire étroitement de celle qui est réalisée dans le monde civil. Pour les officiers, par exemple, une formation d'ingénieur en génie atomique est dispensée par les mêmes professeurs et avec le même niveau de validation que pour le nucléaire civil. Mon point de vigilance concerne la fidélisation des marins formés. La formation d'un officier marinier qui interviendra sur un réacteur dure deux ans à l'école atomique de Cherbourg. J'espère donc conserver ces marins dans nos rangs le plus longtemps possible. Aussi travaillons-nous avec EDF, à la fois sur la formation initiale et sur le recrutement. De nombreux apprentis sont formés chez EDF mais n'y restent pas. Ils pourraient être intéressés par une carrière dans la marine. Ainsi nous travaillons sur des carrières qui pourraient commencer chez EDF, se poursuivre dans la marine avant de retourner chez EDF. Il s'agit de la penser sur une vie plutôt que sur un contrat.

Pouvons-nous être attaqués par des drones ? Oui. Nous pouvons être attaqués par des drones maritimes de surface. Cela se produit assez régulièrement au nord du détroit de Bab-el-Mandeb dans le sud de la mer Rouge. C'est le fait de la rébellion houtie, qui communique régulièrement sur le sujet, et qui cible avec une efficacité impressionnante les bateaux des pays contre lesquels elle est engagée au Yémen. Cette menace est donc bien réelle. Aujourd'hui, elle est mise en oeuvre avec des embarcations probablement télécommandées et des charges explosives. Sommes-nous capables de nous défendre contre des attaques chimiques ? Oui. Les bateaux de combat sont faits pour pouvoir prendre ce que l'on appelle le « stade zéro » pour devenir complètement étanches le temps de traverser une zone dans laquelle se trouverait un agent nucléaire, bactériologique ou chimique. Ce n'est pas le cas des POM, mais c'est le cas des bâtiments de combat.

Vous avez évoqué la coopération européenne dans le domaine de la surveillance maritime. Je voudrais citer à ce sujet le travail que nous menons avec la DGA dans le cadre du projet Artemis de traitement du big data. L'une des premières applications qui sera mise en oeuvre concernera la surveillance maritime. Je me suis récemment rendu au centre des opérations de Toulon. Un officier marinier était en train d'établir la liste des contacts d'intérêt – les bateaux au comportement bizarre en Méditerranée. Il avait notamment retenu un pétrolier car il avait noté qu'à chaque fois qu'il passait au sud de Chypre en route à l'est, il coupait son transpondeur, puis le remettait en fonction quelques jours plus tard en repassant au sud de Chypre en route vers l'ouest. Il en a déduit qu'il faisait probablement du trafic de pétrole. Aujourd'hui, nous pouvons compter sur cet officier marinier très impliqué dans son travail et extrêmement observateur. Mais nous devons aussi être capables d'effectuer ce type de veille en nous appuyant sur de l'analyse automatique des données. C'est l'un des objets de ce démonstrateur. Je pourrais également revenir sur le problème majeur de la surpêche au large du golfe de Guinée, qui entraîne un risque potentiel de rupture halieutique. Les bateaux en pêche illicite manipulent leurs transpondeurs de sorte qu'au moment où ils arrivent dans le golfe de Guinée, ils décalent leur position afin d'apparaître brutalement dans le Pacifique. Détecter automatiquement ce maquillage grossier, comparer les positions des transpondeurs avec les images des satellites, ce seront les tâches de cette analyse de données qui améliorera la qualité de notre surveillance maritime.

Toujours concernant le golfe de Guinée, nous continuons à travailler avec les Espagnols et les Portugais. Lundi prochain, pour le premier jour du Salon Euronaval, je réunirai à Paris mes 19 collègues chefs d'état-major des marines du golfe de Guinée pour échanger dans le cadre du processus de Yaoundé visant à lutter contre la piraterie, les trafics, la pollution et la pêche illicite.

Concernant la féminisation de la marine, je ne connais pas encore les modalités d'application de l'article 12 de la LPM, mais je mettrai évidemment en oeuvre le décret d'application dès qu'il sortira. Les candidats à cette disposition qui permet de prendre un congé pour convenance personnelle afin d'éduquer ses enfants tout en faisant de la réserve seront à coup sûr nombreux. Évidemment, il faudra que j'opère une sélection. En effet, les études sociologiques montrent que c'est au moment où l'on construit sa famille – que l'on soit un homme ou une femme – que les contraintes de la vie embarquée et de la navigation sont les plus difficiles. Je ne satisferai donc pas tout le monde. Dans un premier temps, je me concentrerai sur les marins sur lesquels l'investissement a été le plus important. Je pense par exemple aux jeunes femmes que nous avons formées sur les sous-marins. Vous avez tous noté que, pour la première fois, quatre femmes ont effectué une patrouille de SNLE, ce qui suppose deux années de formation sur simulateur à l'école avant de pouvoir naviguer. Je suis extrêmement attentif à ce sujet et je vous rendrai compte, le plus souvent possible, lorsque nous nous rencontrons, de l'avancée de ce dispositif.

Les patrouilleurs auront-ils des drones ? Je veux – et quand je dis cela, c'est vous qui le voudrez ! – un drone par bateau et par sémaphore. Avec la logique suivante : petit bateau, petit drone ; gros bateau, gros drone. Les POM que nous sommes en train de spécifier pourront en embarquer. Nous avons déjà des drones légers, que nous testons. Une société autrichienne, Schiebel, fabrique des drones assez efficaces. Nous essayons aussi ceux qui sont testés par les commandos marine – que nous récupérons dans des filets, ce qui est plus compliqué. Je le répète, nous aurons des drones, y compris sur les petits bateaux. Le fantassin utilise le drone pour aller voir si l'ennemi l'attend derrière la colline. Moi, je veux aller derrière l'horizon, à une dizaine de nautiques, et augmenter la surface couverte par notre surveillance.

Les bateaux paient-ils pour les secours en mer, notamment lorsque nous venons en secours aux biens ? Oui. Auprès des préfets maritimes ou, outre-mer, du délégué pour l'action de l'État en mer, des services juridiques et comptables tiennent le compte de toutes nos implications et de toutes les actions effectuées. Il existe un tarif des actions réalisées par les moyens de la marine au profit d'autres que des armées. Nous disposons des outils juridiques et financiers pour faire payer.

Vous évoquiez les marins ingénieux. L'expérimentation des nouveaux missiles légers par les commandos marine m'a beaucoup plu et m'a donné de nombreuses idées. Je pense que j'utiliserai ce qu'ils ont fait pour nos bateaux.

L'Agence de l'innovation de défense vient de se mettre en place. Nous y placerons des officiers. Je note aussi que son directeur, M. Emmanuel Chiva, est un réserviste citoyen de la marine. Je ne doute donc pas que nous pourrons valoriser les projets, soit qu'ils viennent de la base et des marins, soit qu'ils sont mis en oeuvre par notre centre d'expertise des programmes navals (CEPN) à Toulon, soit qu'ils soient élaborés en partenariat avec des industriels. C'est l'un des axes du plan Mercator : retrouver l'avantage technologique.

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