Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mardi 20 novembre 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Motion de rejet préalable (proposition de loi organique)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Ensuite, nous allons donner le pouvoir aux GAFA d'organiser eux-mêmes la censure. J'entends ce que vous dites, monsieur le ministre, et nous n'allons pas regretter qu'ils aient accepté de dialoguer, et tout ça. Mais vous êtes homme de culture, et de recul ! Vous, le Gouvernement allez donc discuter ? Je note tout d'abord que le Gouvernement, par définition, n'est pas neutre : on sait quelles peuvent être les tentations du pouvoir, dont la première est de durer, comme c'est la tentation essentielle de tout être vivant d'ailleurs. Vous qui voulez durer donc, vous allez discuter avec une entité qui elle aussi veut durer – ça tombe bien – et essayer de trouver des plages d'accord ? Mais avec qui vous battrez-vous ? Pas avec un interlocuteur, avec un algorithme !

Vous suivez ces histoires-là, monsieur le ministre. N'avez-vous pas remarqué que les algorithmes de Facebook changent sans arrêt, et qu'ils suivent une certaine direction ? Figurez-vous qu'aux États-Unis, l'algorithme a été modifié pour tenir compte des fausses nouvelles susceptibles de corrompre l'esprit public. Le résultat principal de cet exercice a été le suivant : tous les articles concernant le socialisme, le refus de la guerre ou l'écologie radicale n'ont plus été consultés, ou l'ont été moins qu'auparavant. Que s'est-il passé ? Une modification de l'opinion nord-américaine ou une manipulation d'algorithme ? Nous connaissons la réponse : une manipulation !

Aujourd'hui, j'observe les modifications de cet algorithme car les formes de sa diffusion sont modifiées, notamment, pour aider et encourager plutôt ceux qui paient que ceux qui disent. Si vous faites quelque chose sur Facebook et que vous payez pour que ce soit diffusé, et si vous rentrez dans le format, vous serez mieux diffusé que si vous ne le faites pas !

La liberté initiale du réseau social est en train de s'évaporer sous nos yeux. Je me demande donc bien quel genre de discussion vous pourrez avoir avec eux : que pourrez-vous leur dire ?

Par exemple, vous allez repérer les informations répétées par une chaîne étrangère. Nous avons compris : c'est des Russes qu'il est question depuis le début – Russia Today, Sputnik, etc. Mais franchement, vous vous donnez beaucoup de mal pour rien : nous savons tous que Russia Today et Sputnik sont sous l'influence du gouvernement russe ! Si vous voulez connaître le point de vue que cette rédaction a défini sans doute, je n'en sais rien, en accord avec le gouvernement russe, il suffit de la regarder ou de l'écouter ! Si vous voulez savoir ce que pense l'extrême droite nord-américaine, regardez Fox News ! Tout le monde le sait ! Si vous voulez connaître le point de vue des émirats et autres, regardez Al Jazeera ! Tout le monde sait qui pense quoi !

Méfiez-vous du jour où quelqu'un dira, en regardant une chaîne française diffusée sur les réseaux internationaux, qu'elle répand le point de vue du gouvernement français. Si vous ne voulez pas de Russia Today en France, il n'y aura plus de France 24 ou que sais-je encore en Russie, ou même plus d'Agence France-Presse – organisme semi-public !

Je vous l'ai déjà dit une fois, pour rien, mais je le répète : nous prenons un risque. Mais comme je parle depuis onze minutes déjà, je vais aller au plus court.

Le système médiatique, selon moi, souffre de trois maladies.

Premièrement, la propriété : 90 % de la presse est dans la main de neuf personnes. Prenez le problème par le bout que vous voulez, mais sûrement pas en écoutant les journalistes : eux disent que jamais personne ne leur a téléphoné pour leur donner une instruction. Bien sûr, ballot, ils n'ont pas besoin de te téléphoner puisqu'ils t'ont recruté pour que ton pied entre exactement dans la pantoufle ! Voilà comment les choses se passent ! Et quand on connaît la paie des premiers de cordée dans un certain nombre de stations de radios, avec des 35 000, 38 000 ou 40 000 euros par mois, on comprend qu'ils ne s'insurgeront jamais contre un système capable de les payer autant pour lire des prompteurs.

Deuxième maladie : la maltraitance sociale de ceux qui font la presse. Je dis bien, la maltraitance sociale. Car il n'y a que quelques stars qui jouent les premiers rôles, qui participent à ces plateaux grotesques où sont réunis des gens d'accord sur tout – on se demande bien de quoi ils peuvent discuter – et qui font office de personnalités centrales, surpayées simplement parce que leur nom a été mis en scène et qu'il est attirant. Je suppose, monsieur le rapporteur, que vous souriez comme moi lorsque vous regardez la publicité d'une chaîne de radio ou de télévision : ce n'est pas basé sur la qualité de ce que la chaîne raconte, mais sur la tête du journaliste-animateur ! Nous voyons bien que nous avons changé de période !

Cette maltraitance, c'est celle de milliers de gens, mal payés, surchargés de travail, hors d'état de faire autre chose que de répondre aux consignes qui leur sont données. Tous ceux qui, sur le terrain, voient le travail des chaînes en continu savent comment les ordres sont donnés : « ramène-moi telle image, ramène-moi l'intervention de tel ou tel ! » Et ces gens n'ont pas les moyens de faire autre chose. D'abord, leur service ne le leur permet pas. Et ensuite, nous autres, parlementaires, avons trois, quatre, cinq, assistants pour nous aider à faire face à quatre, cinq, six thèmes que nous prenons en charge chaque année – sauf quand on est président de groupe. Comment une personne qui a quatre ou cinq dossiers à traiter dans une journée sans disposer d'aucun assistant peut-elle réaliser un travail intellectuellement performant ? Ce n'est pas possible, sauf pour un ou deux génies ! Ces gens se contentent donc de répéter ce qui a déjà été écrit par quelqu'un d'autre.

Voilà ce que j'appelle la maltraitance sociale : ce sont les conditions de travail de ces gens. Regardez-les attentivement, collègues, et vous verrez que ce que je dis est conforme à ce qu'ils vivent, eux qui passent des heures dans le froid ou qui doivent écrire des kilomètres de texte sans avoir les moyens d'aller au fond des questions. Dans le journalisme comme dans la paysannerie, les gros se cachent derrière les petits.

Je vais en terminer puisqu'il le faut et que ma harangue dure depuis quatorze minutes.

Troisième maladie, enfin : le cumul. Notre fonction à nous autres, députés, est incompatible avec certaines activités professionnelles comme le lobbying ou certaines activités de conseil. Nous en sommes tous bien d'accord, nous en avons assez discuté, nous avons même voté une loi !

Expliquez-moi alors pourquoi un fonctionnaire du service public de la radio d'État peut prétendre diriger une « cellule d'investigation » et, en même temps, animer une société de communication, comme c'est le cas de M. Sylvain Tronchet, directeur de la cellule prétendument d'investigation de Radio France depuis 2016 et qui, depuis 2011, dirige une société de communication ? Comment se fait-il qu'aucun d'entre nous ne saura jamais à ce propos ce que d'aucuns connaissent de n'importe quel des députés ici présent, qui eux n'ont pas la parole tous les jours même s'ils la demandent ? Comment se fait-il que nous ne saurons jamais quels sont les autres clients de cet homme, pour qui il travaille, quelles influences ils peuvent avoir sur lui lorsqu'il mène ses investigations ?

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