Intervention de Frédéric Barbier

Réunion du mercredi 14 novembre 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Barbier, rapporteur :

Notre commission est chargée, en application de l'article 1er de la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État, d'examiner le projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement pour la période 2017-2019.

Ce texte vise à permettre aux assemblées d'exercer un contrôle sur les agences contribuant à la politique étrangère de la France. Le contrat d'objectifs et de moyens est une convention passée entre l'État et l'agence concernée qui détaille, comme son nom l'indique, les objectifs assignés à l'agence et les moyens devant être mis à sa disposition.

L'examen du présent projet de COM nous donne cependant l'occasion de nous interroger à la fois sur la politique d'aide au développement de la France, dont l'AFD est l'un des principaux acteurs, et sur la pertinence de cette procédure d'examen.

Le fait que l'examen de ce document intervienne au mois de novembre 2018 peut en effet surprendre. Un premier projet de COM avait été élaboré au mois d'avril 2017, mais il a été jugé peu opportun de faire procéder à son examen par les assemblées très peu de temps avant les élections présidentielles et législatives. Le changement de majorité ayant entraîné une réévaluation de la politique d'aide française et par conséquent des missions de l'Agence, il a encore fallu attendre que certains arbitrages soient rendus pour que nous disposions de ce document.

Cependant, la mise en oeuvre de la politique d'aide décidée par le Président de la République est progressive et impliquera, entre autres choses, l'intégration au sein du groupe AFD de l'agence Expertise France, qui fait elle-même l'objet d'un contrat d'objectifs et de moyens distinct.

Le rapprochement des deux agences au sein d'une entité commune conduira, par conséquent, à l'examen d'un nouveau COM dont la période d'application commencera en 2020. C'est pourquoi le présent projet de COM, qui portait initialement sur la période 2017-2020, ne s'applique plus désormais que jusqu'à la fin de l'année 2019. Le présent projet de COM porte donc, concrètement, sur une seule année, et l'AFD aura fonctionné pendant deux ans sans qu'un tel document ait été approuvé.

Le projet de COM 2017-2019 constitue cependant une occasion d'examiner la politique d'aide française et la place de l'AFD au sein de ce dispositif, préalablement à l'examen de la loi d'orientation et de programmation qui devrait nous être soumise au début 2019.

Créée en 1941 en tant que Caisse centrale de la France libre, l'Agence française de développement est un établissement public de l'État à caractère industriel et commercial (EPIC). Elle a pour mission de « réaliser des opérations de toute nature en vue de contribuer à la mise en oeuvre de la politique d'aide au développement à l'étranger et de contribuer au développement des départements et collectivités d'outre-mer, ainsi que de la Nouvelle-Calédonie.

L'AFD finance des projets de développement dans 90 pays ou territoires. Elle dispose d'un réseau de 70 agences dans le monde, dont onze outre-mer. En 2017, elle employait 2 027 personnes, dont 707 étaient en poste à l'étranger.

L'AFD est avant tout une banque spécialisée dans le financement de projets de développement. Elle emprunte des ressources sur les marchés financiers à des taux favorables. Elle prête ensuite à des conditions qui peuvent être ou non bonifiées par rapport aux taux habituels des marchés. Les montants correspondant aux bonifications sont reçus de l'État.

Bien que l'activité de prêts sans bonification soit aujourd'hui majoritaire dans l'activité de l'agence, son image reste plutôt celle d'une agence de coopération qui octroie des subventions au nom de l'État. Ainsi, l'AFD attribue, au nom du ministère des affaires étrangères, les dons destinés à la réalisation de projets dans les secteurs de l'agriculture et du développement rural, de la santé et de l'éducation de base, de la formation professionnelle, de l'environnement, du soutien au secteur privé, des infrastructures et du développement urbain.

Le projet de COM que nous examinons intervient dans un contexte d'augmentation historique de l'aide publique au développement de la France et par conséquent de l'activité de l'AFD.

Le président Hollande avait annoncé une première trajectoire d'augmentation de l'aide en 2015 avec une hausse prévue de l'activité de l'AFD de 4 milliards d'euros à l'horizon 2020, dont 400 millions d'euros sous forme de dons, soit une activité prévue d'environ 12,7 milliards en 2020.

Le président Macron a annoncé une nouvelle trajectoire budgétaire, confirmée par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018, qui doit porter l'activité de l'AFD à 14 milliards d'euros à la fin de 2019. La part des dons est également augmentée d'environ un milliard d'euros d'autorisations d'engagement dans le projet de loi de finances, actuellement en discussion.

Il s'agit donc au total d'un quasi-doublement de l'activité de l'AFD depuis 2013, qui s'accompagne d'une croissance importante des effectifs de l'agence, ses effectifs étant passés au cours de cette période de 2 027 à 2 651 agents.

Une telle augmentation du niveau de l'aide publique au développement de la France implique un effort d'adaptation important de la part de l'AFD, qui est son principal opérateur, en particulier si l'Agence doit orienter davantage son activité vers les pays ayant le plus besoin d'un soutien financier. Il a ainsi été nécessaire d'augmenter les fonds propres de l'agence en 2016 afin qu'elle puisse faire face aux risques financiers plus importants de ces pays.

Le projet de COM insiste également sur la dimension de plus en plus partenariale que l'AFD entend donner à son activité.

La recherche de partenaires extérieurs doit être systématique, qu'il s'agisse de la société civile, du secteur privé ou de collectivités territoriales, du nord comme du sud. L'AFD entend également diversifier ses partenaires bénéficiaires de l'aide en développement et son activité de prêts non souverains.

Le caractère partenarial de l'activité de l'agence sera enfin renforcé par l'approfondissement du rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) entériné en décembre 2016 et par celui qui est prévu avec Expertise France, formant ainsi un groupe AFD élargi qui fera l'objet donc du prochain COM.

Le projet de COM 2017-2019 énonce donc les grandes lignes de la stratégie de l'AFD, à la fois du point de vue sectoriel et du point de vue géographique.

Reprenant les grandes lignes du plan d'orientation stratégique adopté en août 2018 et intitulé « Pour un monde en commun » et conformément aux priorités énoncées par le CICID de février 2018, le projet de COM met l'accent sur six grandes transitions : démographique et sociale, énergétique, territoriale et écologique, numérique et technologique, politique et citoyenne, économique et financière avec une importance particulière accordée à l'application des Accords de Paris.

Du point de vue géographique, l'augmentation des dons-projets doit faciliter le respect des priorités françaises en matière d'aide puisque les pays pauvres prioritaires et, plus généralement, les pays d'Afrique subsaharienne sont souvent dépourvus de la capacité d'endettement qui permettrait de leur accorder des prêts. L'AFD peut donc réorienter son activité vers l'Afrique subsaharienne et les pays pauvres et contribuer aux objectifs de la politique française dans les régions, tels que la stabilisation à long terme du Sahel.

Le projet de COM prévoit cependant que l'activité de l'AFD s'articulera autour de trois zones géographiques pertinentes : l'Afrique, sans distinguer désormais le nord et le sud ; les trois océans, zone correspondant à la problématique de l'outre-mer français et des régions voisines ; la zone Amérique et Orient correspondant à la problématique des économies émergentes.

Le projet de COM 2017-2019 est donc quelque peu paradoxal. Il s'agit d'un projet ambitieux qui énonce une conception renouvelée de l'aide, inspirée des objectifs du développement durable de 2015 et qui entend même dépasser la notion d'aide publique au développement. Ainsi le COM insiste sur la recherche de ressources tierces, notamment privées, pour amplifier l'impact de son action ; d'un autre côté, le document lui-même est court. Il est tardif et son examen par les assemblées s'apparente plus à un enregistrement formel qu'à une véritable occasion de se prononcer sur le fond du projet. Je recommande néanmoins d'approuver ce projet de COM qui ne pose pas de problèmes particuliers, mais en assortissant ce vote de quelques remarques.

En premier lieu, il serait utile de savoir quand et sous quelle forme les vingt-quatre objectifs énoncés par le projet de COM feront l'objet d'un suivi et d'un bilan.

Une information plus régulière du Parlement sous la forme d'un document suffisamment détaillé, mais tout de même accessible, serait utile.

En second lieu, la situation qui fait que nous examinons à la fin de 2018 un projet de COM qui doit s'appliquer entre 2017 et 2019 renvoie plus généralement à la place qu'occupe l'AFD dans le dispositif français d'aide publique au développement.

Le pilotage politique de l'aide publique au développement est aujourd'hui divisé entre plusieurs ministères et manque de cohérence, comme cela a été relevé dans plusieurs rapports récents, comme celui de notre collègue Hervé Berville et celui de nos collègues Rodrigue Kokouendo et Bérengère Poletti.

Cette situation aboutit notamment à ce que l'AFD se trouve soumise à une triple tutelle, impliquant une coordination complexe entre ministères, ce qui a pu jouer dans le retard initial du projet de COM qui aurait pu être présenté à la fin 2016.

Plus généralement, un pilotage politique divisé peut s'avérer inadéquat face à une agence qui est cohérente, qui détient le savoir, l'expertise et l'expérience de terrain. Ce déséquilibre ne peut qu'être accentué par l'accroissement présent et à venir de l'activité de l'agence.

L'examen de ce COM doit donc nous amener à réfléchir sur le rôle exact de l'AFD, mais aussi et surtout sur la cohérence du pilotage politique de l'aide française, sujet que nous serons amenés à étudier à l'occasion de l'examen de la loi d'orientation et de programmation qui nous sera soumise en 2019. Sous ces réserves, je recommande donc d'approuver ce projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement.

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