Intervention de Didier Guillaume

Réunion du mercredi 14 novembre 2018 à 16h30
Commission des affaires européennes

Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Vous l'avez dit, madame la présidente : la PAC ne saurait être la variable d'ajustement du Brexit. En même temps, nous nous trouvons à un tournant de la construction européenne. Hier, un texte a été validé par les sherpas des États européens, mais la France n'en dispose pas encore et n'en connaît donc pas la teneur. Mme Theresa May doit réunir son cabinet aujourd'hui même pour examiner le texte en question ; nous verrons ce qu'il en sera quand la France en aura pris connaissance.

C'est effectivement l'avenir de l'Europe et de sa construction qui est en jeu, et aussi celui de la PAC. De ce point de vue, la position du Gouvernement est très claire : la PAC demeure une priorité française et ne saurait être, comme vous le craignez, une variable d'ajustement de la future programmation financière pour 2021-2027. Surtout, la France doit aborder ce travail en étant unie. Ma collègue Mme Loiseau organise de nombreuses réunions et je la remercie pour son investissement au sein du Conseil des affaires générales. Le Gouvernement a accueilli très favorablement la proposition de résolution européenne examinée en séance publique le 28 juin dernier, qui répond parfaitement aux priorités de la France dans la négociation.

Un mot sur le calendrier qu'entourent encore de nombreuses incertitudes : les travaux du Conseil européen sur la future PAC avancent rapidement sous la présidence autrichienne, dont je veux saluer le travail et les avancées qu'elle a obtenues grâce à des échanges systématiques. Les travaux du Parlement européen, en revanche, me semblent beaucoup moins avancés : la commission de l'agriculture n'examinera les travaux du rapporteur que le 21 novembre. La France soutient pleinement le souhait de la présidence autrichienne du Conseil de présenter à la session de décembre les premières versions du texte révisé. Il faut aller vite, en effet : certes, les élections européennes approchent mais la France est d'avis que les premières versions du texte doivent être présentées à la réunion du Conseil en décembre. En revanche, il nous faudra beaucoup de temps pour les examiner à notre tour. C'est pourquoi nous répondrons d'autant moins vite que le Conseil ne sera pas saisi rapidement du texte, car il nous faudra y consacrer le temps de négociation et de discussion nécessaire.

Dans la continuité des positions exprimées depuis un an et demi par le chef de l'État et la majorité, permettez-moi de rappeler les grands principes qui guident la position de la France sur la PAC.

Premier principe : nous voulons une PAC forte au service d'une Europe forte et dont le caractère commun soit préservé. Comme d'autres pays, la France a refusé la baisse de 5 % du budget car elle n'est pas acceptable. Nous ne lâcherons rien sur ce point : le budget de la PAC ne peut pas diminuer. D'autres sujets importants feront naturellement partie de la négociation – la solidarité, les migrants, la sécurité, mais la PAC est la première politique commune intégrée et nous voulons la préserver. Pour ce faire, le maintien du budget est indispensable. Je salue à cet égard l'action de mon prédécesseur, Stéphane Travert, dans le cadre du « groupe de Madrid », et je me félicite de la déclaration commune de vingt États européens, dont la France, réclamant une réévaluation du budget, de même que la déclaration des ministres français et allemand. Une majorité de pays européens souhaite que la PAC demeure une politique intégrée reposant sur un cadre financier clair.

Les discussions relatives au cadre financier pluriannuel ont avancé sur le plan technique ; reste maintenant, sur le plan politique, à saisir les chefs d'État et de gouvernement, même si d'autres sujets entrent en ligne de compte, notamment les négociations sur le Brexit. Notre engagement en faveur d'une PAC commune ne repose pas seulement sur des éléments budgétaires. Nous souhaitons limiter au maximum les mécanismes facultatifs et revenir aux fondamentaux d'une politique agricole commune, en obligeant au besoin les États membres à respecter les bornes minimales et maximales de certains dispositifs. En outre, il faut conditionner le paiement de base à un niveau commun d'exigence en matière sanitaire et environnementale, deux piliers qu'il est désormais indispensable de respecter.

Deuxième principe : la France défend une PAC qui accompagne la transformation des filières agricoles et alimentaires afin de renforcer leur organisation, leur structuration et leur compétitivité, notamment par leur montée en gamme. Les états généraux de l'alimentation, il y a un an, se sont prononcés en faveur de cette démarche ; c'est là-dessus que nous devons nous caler. L'agriculture aura un avenir si les produits montent en gamme, y compris à l'échelle européenne. C'est pourquoi je soutiens l'extension des programmes opérationnels à d'autres secteurs, et je me félicite de la volonté de renforcement de la politique environnementale européenne, qui est indispensable ; c'est un véritable choix politique. En outre, la révision proposée des aides couplées permettra d'offrir des possibilités de transformation concrète des filières. On ne saurait déplorer que l'agriculture européenne aille mal, tout en faisant « comme en 14 ». Nous devons faire évoluer la politique agricole. Je souhaite donc l'établissement d'un plafond unique de 15 % pour ces deux dispositifs – et nous nous emploierons à négocier en ce sens.

Dans le même souci de montée en gamme, il faut absolument veiller à ne pas affaiblir, comme on pourrait le craindre, le système européen d'indications géographiques et d'appellations d'origine protégée (AOP), qui garantit l'origine et la traçabilité des produits de qualité ; nous défendrons le maintien de ce système.

Troisième principe : nous voulons une PAC qui incarne une véritable ambition environnementale tout en donnant au secteur agricole les moyens de réaliser sa transition écologique. Tout le monde est favorable au « verdissement » de la PAC – je n'aime pas beaucoup cette expression que je trouve trop vague : je préfère parler de transition agro-écologique, telle qu'elle se pratique en France. C'est une formule concrète et comprise par nos concitoyens. De ce point de vue, la proposition d'architecture environnementale de la Commission nous convient. D'ailleurs, l'ecoscheme ou éco-programme de paiements pour services environnementaux doit permettre d'améliorer les pratiques pour le plus grand nombre. Les négociations que nous menons sur ce dispositif sont très importantes.

Il reste néanmoins des points en discussion concernant la nouvelle architecture environnementale, qui ne sera forte et ambitieuse que si la nouvelle conditionnalité n'entraîne aucune régression par rapport aux exigences actuellement imposées, y compris en matière de verdissement. Or, des risques existent à cet égard et la négociation sera dure. Nous devons affirmer nos intentions pas après pas, marche après marche. Enfin, nous sommes favorables à la fixation d'un objectif minimal de dépense en faveur de l'environnement dans le premier comme dans le deuxième pilier de la PAC. Il ne s'agit pas d'en rester à de simples orientations – un peu d'écologie, un peu d'environnement ; il faut négocier pour arrêter un objectif minimal en deçà duquel toute mesure n'est que cosmétique ; j'y tiens beaucoup. Enfin, nous soutenons fermement la proposition autrichienne, dans son projet de texte révisé, de comptabiliser la part des dépenses environnementales engagées au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) dédiée au soutien aux zones défavorisées, dans la mesure où l'on peut estimer que les deux sujets sont liés.

Quatrième principe : la PAC doit protéger contre les risques sanitaires, climatiques et économiques – l'Assemblée nationale comme le Sénat ont examiné des propositions de résolution sur ce sujet. Cela passe évidemment par des soutiens directs aux revenus des agriculteurs – j'ai encore abordé cette question avec le commissaire Phil Hogan samedi dernier. Il va de soi que les agriculteurs veulent vivre de leur travail plus que de subventions et d'aides directes, mais nous devons réaffirmer que les aides directes consenties au titre du premier pilier sont un filet de sécurité essentiel qui permet de faire face aux aléas. Étant donné l'évolution des crises – climatiques, sanitaires ou économiques –, ces aides deviendront de plus en plus nécessaires. Il faut favoriser les outils de gestion des risques par les agriculteurs pour tenir compte de la fréquence croissante de ces aléas. L'épargne de précaution que nous avons mise en place à l'occasion de l'examen de la mission « agriculture » du projet de loi de finances pour 2019 doit être sécurisée à l'échelle européenne.

Cinquième principe : la PAC doit assurer la vitalité des zones rurales et protéger tout à la fois les plus fragiles et les plus éloignés. Ce point ne fait pas toujours consensus, car tous les pays ne fonctionnent pas de la même manière que le nôtre. C'est pourquoi nous soutenons le ciblage des aides directes. Il faudra déterminer les modalités de mise en oeuvre de ce plafonnement. Il va de soi que nous soutenons également l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), qui reste une aide essentielle au maintien de l'activité agricole dans les territoires les plus fragiles. La France défend avec constance l'idée selon laquelle l'ICHN doit être ciblée en direction des exploitations les plus durables et les mieux adaptées à l'entretien de ces zones.

Un mot sur les territoires ultramarins : la PAC doit tenir compte de leur spécificité, qui justifie le maintien de dispositions particulières. Nous nourrissons tous des craintes légitimes au sujet du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) et devons nous battre pour sa sauvegarde.

Sixième et dernier principe : la PAC doit être plus simple et plus compréhensible pour les agriculteurs et pour les citoyens. C'est un serpent de mer : chaque tentative de simplification s'est soldée par une complexification. Cette fois-ci, j'ai la ferme intention d'avancer. Pour les agriculteurs comme pour tous les observateurs, la PAC a atteint un degré de complexité inacceptable. Je demanderai aux parlementaires français de me soutenir en ce sens. Il peut certes en résulter des conséquences mais, en tout état de cause, nous ne pouvons pas continuer ainsi. Les dossiers à remplir sont volumineux et retoqués à la moindre erreur. Les élections européennes approchent : si nous voulons que nos concitoyens, et notamment les agriculteurs, votent, il faut leur apporter la démonstration que l'Europe n'est ni un mur ni une structure technocratique qui s'oppose à eux et que nous comprenons leurs difficultés. C'est un combat que je mène avec force et constance, parce que je me fais une idée très positive de l'Europe, mais nous devons impérativement simplifier la PAC. Je ne serai pas le ministre qui complexifiera davantage les règles, ni pour les agriculteurs ni pour l'administration du ministère, qui n'en peut plus : nous n'avons pas encore achevé le paiement des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) bio pour 2016 ! Ce drame absolu ne peut plus durer. Et si nous en sommes là, c'est parce qu'il faut une journée entière à un agent du ministère de l'agriculture pour traiter chaque dossier de demande de MAEC ! Il faut pourtant procéder à un examen précis qui est tout sauf bureaucratique, car il s'agit de permettre aux personnes éligibles d'obtenir concrètement ces aides.

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