Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 10h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Je citerai ici Jean-Paul II : « N'ayez pas peur ». Cette formule, appliquée à nos réflexions, invite à avoir confiance et à ne pas sous-estimer la capacité d'adaptation de l'humain, et plus encore des enfants, à des circonstances diverses. La confiance n'exclut toutefois pas la prudence. Ne pas avoir peur ne signifie pas être téméraire et se lancer dans l'aventure sans en avoir envisagé les impacts.

Parmi les questions concrètes que vous avez évoquées, figure la possibilité d'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules, pour laquelle on peut considérer qu'il existe des inconvénients – absence de père, environnement pas toujours très tolérant à l'égard des enfants concernés –, mais aussi des avantages, puisque le fait pour ces enfants d'avoir été très désirés est une chance pour leur développement. Êtes-vous d'accord avec la réflexion, formulée par M. Jean-François Delfraissy, président du CCNE, disant que le plus souvent il ne s'agit pas d'arbitrer entre le bien et le mal, mais de choisir, de façon nuancée, entre différentes conceptions du bien ? Cette réflexion vous apparaît-elle pertinente ?

Vous avez évoqué l'intérêt de l'enfant, qui est évidemment notre priorité. Mais, là encore, il en existe plusieurs visions. Sur le plan concret, l'intérêt prioritaire des enfants nés de gestation pour autrui (GPA) à l'étranger et qui viennent ensuite en France est de se voir reconnaître, comme le recommande la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), des conditions de filiation et des droits égaux à ceux des autres enfants. Pourquoi devraient-ils être pénalisés ? Notre société peut, si elle le souhaite, condamner la GPA sur notre sol, mais pourquoi pénaliser les enfants ? Seriez-vous d'accord avec l'idée d'une reconnaissance des droits et d'une transcription de la filiation de ces enfants ?

Concernant l'extension de la PMA à toutes les femmes, l'intérêt prioritaire de l'enfant peut aussi, selon le regard que l'on pose sur ces situations, inciter y à être favorable ou au contraire à se montrer plus restrictif vis-à-vis de cette ouverture.

Pour ce qui est de l'accès aux origines, l'intérêt de l'enfant est de disposer d'informations sur le donneur de gamètes. Beaucoup le réclament.

Seriez-vous d'accord pour que cette notion d'intérêt prioritaire de l'enfant soit déclinée dans ces différentes circonstances ?

Vous avez également abordé la question des probabilités et posé la question de ce que nous pourrions faire des informations génétiques recueillies à l'occasion des tests. Or nous sommes déjà habitués à ce type de situation. Jusqu'à présent, lorsque dans une famille la mère et la grand-mère ont eu un cancer du sein, on sait que la petite-fille a une forte probabilité d'être touchée : elle est donc davantage surveillée, a des mammographies plus fréquentes, peut être dépistée tôt et ainsi guérir. La seule différence est qu'aujourd'hui les choses deviennent plus scientifiques, plus rigoureuses, moins empiriques. Je sais bien que la difficulté sera de tracer une limite, mais imaginons que certains gènes indiquent qu'un individu a trente fois plus de risques de développer un diabète que la population générale : il s'agit là d'une information importante pour un jeune, qui pourra surveiller l'apport en sucre dans sa ration alimentaire et pratiquer régulièrement un exercice physique. Dans ce cas, soit le diabète n'apparaîtra pas, soit il ne se déclarera que beaucoup plus tard dans sa vie, car, ayant eu connaissance de ce risque présent dans son patrimoine génétique, cet individu aura pris les précautions nécessaires.

Je termine en évoquant diverses perspectives, dont la fabrication des gamètes à partir d'autres cellules ou encore l'utérus artificiel. Au cours des prochaines décennies, de nombreuses possibilités vont indubitablement se développer, ici ou ailleurs. Faudra-t-il les accepter, les encadrer ? Cela va assurément susciter de plus en plus de questionnements. Seriez-vous d'accord avec la proposition, que le président de notre mission et moi-même formulons, de créer une délégation parlementaire permanente qui puisse analyser ces évolutions, au lieu d'attendre tous les cinq ou sept ans la révision périodique de la loi relative à la bioéthique ? Il s'agirait d'exercer une vigilance, une veille, nous permettant d'énoncer les problèmes dès leur émergence et de mettre en place les moyens de réflexion adaptés, afin d'éviter de se retrouver face à des évolutions scientifiques sans avoir eu le temps d'y réfléchir sereinement en anticipant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.