Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du mardi 10 octobre 2017 à 15h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat sur l'avenir de l'union européenne

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Monsieur le président, madame la ministre chargée des affaires européennes, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mesdames et messieurs les députés, l'Europe est le cadre primordial et naturel dans lequel nos valeurs et nos intérêts doivent être portés à l'heure de la mondialisation ; elle est le coeur d'un projet majeur pour la France.

Le Président de la République a fait de l'ambition européenne renouvelée une priorité de son mandat pour la France. C'est ce qu'il a exprimé avec force, d'abord à Athènes puis à la Sorbonne le 26 septembre dernier, en affirmant les deux convictions qui ont guidé son action et celle du Gouvernement depuis le premier jour. La première, c'est que, dans un monde en proie aux crises et à des bouleversements sans précédent, seule l'Europe nous permettra d'exercer pleinement notre souveraineté, de conserver la maîtrise de notre destin. La seconde, c'est que le projet européen ne peut réussir que si nous comblons le fossé qui n'a eu de cesse, depuis quelques années, de se creuser entre les peuples et les institutions européennes, au risque de voir le populisme et un nationalisme dévoyé submerger notre démocratie comme celle de nos partenaires.

Oui, l'Europe est le déterminant majeur d'une politique globale. Pour que la France fasse entendre sa voix, il nous faut un cap clair. Le Président l'a fixé et vous avez entendu ses nombreuses propositions pour l'Europe.

Je veux souligner qu'elles s'ordonnent selon deux horizons temporels. D'abord, l'échéance de 2019 où seront organisées les prochaines élections européennes – il nous faut nous y préparer, et cela nous donne le temps de convaincre nos partenaires. Ensuite, 2024 sera l'horizon de la nouvelle Commission résultant de ces élections, et nous devons avoir pour objectif de lui proposer un mandat ambitieux, porté par la volonté de refonder l'Europe. L'ensemble du Gouvernement est mobilisé, derrière le Président de la République, au service de ces objectifs.

Mais pour préparer au mieux ces rendez-vous, il nous faut aussi une conscience lucide de la situation dans laquelle se trouve l'Europe aujourd'hui. En la matière, et alors que la défiance s'est installée dans une partie des peuples européens, rien ne serait pire que le déni de réalité.

Regardons les choses en face : l'Europe est aujourd'hui perçue comme trop lointaine et technocratique. Incapable de rendre intelligibles ses décisions comme ses instruments de légitimité démocratique, elle suscite une forme d'indifférence résignée, dont a encore témoigné le faible taux de participation aux dernières élections européennes.

Pour autant, nos concitoyens n'ignorent pas l'Europe. En vérité, elle est revenue au centre de l'attention mais, trop souvent, de manière négative. Avec les crises qui ont frappé le continent ces dernières années, elle a été tantôt pointée du doigt en cas d'échec, tantôt laissée dans l'ombre lorsqu'elle apportait des solutions. Je ne crois pas que nous ayons assez dit, au cours de ces dernières années, ce que l'Union européenne rendait possible et ce qu'elle apportait concrètement à nos concitoyens.

En outre, depuis quinze ans, des forces centrifuges traversent le continent. Elles ont atteint leur paroxysme voilà un peu plus d'un an, avec la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne. C'est la décision souveraine du peuple britannique et nous la respectons, même si elle représente une mauvaise nouvelle pour l'Europe.

Depuis le 19 juin, la négociation est enclenchée sous la conduite de Michel Barnier – que vos commissions entendront, je crois, le 16 novembre prochain. Il a reçu pour cela un mandat clair des vingt-sept États membres et de la Commission européenne sur la base des orientations arrêtées à l'unanimité par le Conseil européen en mai et juin derniers.

Je vous rappelle les principes impératifs qui fondent la décision des Vingt-Sept : garanties réciproques pour les citoyens directement concernés par le Brexit ; respect par le Royaume-Uni de ses obligations administratives, financières et juridiques souscrites en sa qualité d'État membre ; prise en compte de la spécificité de la frontière irlandaise. S'y ajoute, sur le marché intérieur, le rappel du caractère indivisible des quatre libertés de circulation : les capitaux, les biens, les services et les personnes.

Mesdames et messieurs les députés, aucune négociation, ni sur les conditions du retrait, ni sur les contours de l'accord futur, ne sera menée à titre bilatéral. Dans cette crise, l'Union européenne fait la preuve de son unité et de sa cohésion. Il ne s'agit pas pour autant d'adopter une approche punitive à l'égard du Royaume-Uni, qui restera, après son retrait, un partenaire et un allié essentiel de la France, tout particulièrement dans le domaine de la défense et de la sécurité, en vertu des accords de Lancaster House.

Néanmoins, nous ne devons avoir aucune naïveté dans la négociation en cours : chacun défend ses intérêts. Notre intérêt collectif, c'est de mettre fin dès que possible à l'incertitude que fait planer le Brexit et de le faire en deux temps : d'abord, en négociant les conditions du retrait ; ensuite, en instaurant le cadre juridique de nos futures relations. Pour l'heure, après les premières sessions de négociation, force est de constater que le compte n'y est pas s'agissant des différents principes que je viens de rappeler et qui conditionnent pour nous un retrait acceptable du Royaume-Uni.

Le discours de Theresa May à Florence, il y a quelques jours, a certes donné des signaux d'ouverture et la quatrième session de négociation a permis de réaliser quelques progrès, mais ils restent insuffisants. La cinquième session de négociation est en cours, mais le prochain Conseil européen ne pourra sans doute pas décider d'ouvrir les discussions sur la deuxième phase concernant les relations futures que l'Union européenne entretiendra avec le Royaume-Uni.

Mesdames et messieurs les députés, hier, le vote britannique, ces derniers temps, la défiance d'un nombre important de nos concitoyens, aujourd'hui, la crise qui secoue la Catalogne : tout cela nous commande d'agir. Nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à faire l'Europe comme par le passé. Il faut revoir en profondeur nos priorités politiques, nos pratiques institutionnelles et les moyens qui sont dédiés à chaque objectif. Un sursaut, une véritable refondation, pour reprendre l'expression du Président de la République, sont désormais indispensables.

Je tiens à dire à ceux qui dénoncent aujourd'hui la construction européenne qu'ils entretiennent nos concitoyens dans une représentation chimérique de la souveraineté : la souveraineté de repli qu'ils proposent à nos concitoyens est un leurre et ne peut mener la France qu'à l'isolement, à une exposition plus grande encore de notre pays aux désordres du monde.

C'est une communauté de destin qui nous unit aux peuples d'Europe. Dire cela, ce n'est pas faire l'aveu d'une fatalité : c'est affirmer à la fois une histoire partagée et une vision stratégique et volontariste de la place de la France dans le monde.

Je suis aujourd'hui responsable de la conduite de notre diplomatie et je peux vous le dire – mais vous le sentez vous-mêmes – , jamais, depuis la fin de la guerre froide, les divergences, les tensions, le niveau de conflictualité n'ont été aussi élevés. Dans un monde pourtant plus interdépendant que jamais, la compétition est à son paroxysme, la coopération entre nations faillit, les crises se multiplient dans le voisinage immédiat de l'Europe, des stratégies de puissance s'affirment de façon de plus en plus agressive, la concurrence économique, les tensions commerciales et les inégalités que génère la mondialisation s'accroissent fortement.

Dans ce contexte, la seule réponse qui vaille est à la fois nationale et européenne : les deux dimensions sont aujourd'hui inséparables. Si la France veut garantir sa sécurité, si elle veut défendre ses intérêts et affirmer ses valeurs, bref, si elle veut compter dans le concert des nations et continuer d'écrire elle-même son histoire, alors, sa souveraineté passe par son effort propre et aussi par l'Europe, mais une Europe réformée, capable de s'affirmer elle-même comme une puissance souveraine.

Pour faire entendre sa voix, l'Union doit intégrer ce que j'appelle une culture du rapport de forces qui lui a trop souvent fait défaut. C'est ce projet que le Président de la République a affirmé à Athènes, à la Sorbonne, et qu'il a répété récemment devant ses homologues à Tallin.

Cette Europe souveraine repose elle-même sur trois conditions : l'unité de l'Europe, la protection de ses citoyens et de ses intérêts, et ce que j'appelle la capacité de projection de l'Union européenne, c'est-à-dire sa capacité à agir comme un acteur global, à peser réellement sur les dossiers internationaux et à diffuser son modèle et ses valeurs.

La première condition de l'Europe souveraine, c'est le renforcement de son unité, mais ce travail d'unification est voué à l'échec s'il ne prend pas réellement en compte les aspirations des peuples, dépositaires de la souveraineté européenne. Le peuple français, les peuples d'Europe doivent être de véritables acteurs de cette refondation si nous voulons qu'une authentique démocratie européenne existe.

C'est la raison pour laquelle la France propose l'organisation de « conventions démocratiques » dans tous les États membres qui souhaiteraient participer à cette initiative. Il s'agit de redonner la parole aux citoyens et de débattre sur le fond, au plus près du terrain, des priorités de l'Union pour les années à venir. Au premier semestre 2018, chaque État membre qui le souhaite pourra organiser, selon les modalités qui lui paraîtront les plus adaptées, un débat, des échanges dont les conclusions seront mises en commun pour préparer l'échéance de 2019 et refonder l'Europe en répondant au mieux aux attentes des citoyens qui, cette fois, auront été consultés en amont.

La ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, est mobilisée pour donner corps à ce projet de la façon la plus large possible avec les acteurs politiques, syndicaux, sociétaux, pour qu'il y ait un véritable débat de fond dans notre pays.

Renforcer l'espace démocratique européen, le mettre en mouvement, animé par un projet sachant dépasser les seules formations politiques nationales, c'est aussi le sens de la proposition du Président de la République de créer une circonscription européenne. Les députés y seraient élus sur la base de listes transnationales selon un principe simple : rassembler des candidats de même sensibilité politique mais de nationalités différentes. Cette circonscription transnationale, ce sera l'occasion toute particulière d'une réponse européenne au Brexit.

L'unité de l'Europe est, bien sûr, une réalité politique, une réalité économique – j'y reviendrai dans un instant – , mais la base, le socle sur lequel tous ces projets doivent se construire, c'est le lien sensible, le vivre-ensemble, en un mot, la conscience qu'ont nos concitoyens d'être des Européens. Fortifier cette conscience, tout particulièrement dans notre jeunesse, par l'enseignement, par les échanges universitaires et dans le domaine de l'apprentissage, c'est garantir l'avenir de l'idée européenne, cet universel qui se dit en plusieurs langues, cette civilisation que chacune de nos cultures nationales exprime d'une façon propre, d'une façon singulière. Il y a, là aussi, un enjeu d'égalité : notre jeunesse n'a jamais été aussi mobile, aussi ouverte sur le monde et d'abord sur les pays européens. Assurer une égalité d'accès à l'horizon européen, c'est aussi de cette manière que nous conjuguerons l'unité de l'Europe et l'exigence démocratique.

Les objectifs qu'a affichés le Président de la République sont ambitieux. Ceux qui veulent aller plus loin, plus vite, doivent pouvoir le faire sans en être empêchés.

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