Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du mardi 10 octobre 2017 à 15h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat sur l'avenir de l'union européenne

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

… par les ouvertures de marchés qu'il autorise, et parce qu'il prévoit un véritable mécanisme juridictionnel de règlement des différends sur les investissements. Mais il doit se voir ajouter un instrument complémentaire, dans le domaine climatique en particulier. Telle est la voie choisie par le Gouvernement. En outre, comme l'a demandé votre commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission, le Parlement sera informé à chaque étape préparatoire de la ratification du CETA.

Une fois négociés, ces accords doivent être pleinement respectés dans toutes leurs dimensions. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a proposé que soit rapidement installé un « procureur commercial » au niveau européen, chargé d'assurer la protection de nos intérêts face aux pratiques commerciales litigieuses à l'oeuvre dans les échanges internationaux.

Parce qu'une puissance doit définir ses intérêts stratégiques, la souveraineté de l'Europe passe également par la sauvegarde de ses intérêts économiques majeurs. Comme vous le savez, le président Jean-Claude Juncker a présenté, à la suite de son discours sur l'état de l'Union, une proposition visant à établir un cadre pour la surveillance des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques au sein de l'Union. Aujourd'hui, certains États membres, comme la France, sont déjà dotés de dispositifs performants ; d'autres mécanismes nationaux le sont moins ; certains États n'en ont aucun. Une coordination européenne est indispensable sur ces questions dans le cadre du marché unique.

L'Europe souveraine s'entend également sur le terrain de la défense et de la sécurité. Je l'ai rappelé, les crises internationales affectent nos intérêts dans des zones toujours plus proches de l'Europe – la Syrie, la Libye, le Sahel, l'Ukraine, sont à proximité ou à nos portes – , avec des effets directs sur l'ensemble des pays européens. Elles génèrent une menace terroriste, font craquer les frontières de Schengen ou vaciller l'architecture de sécurité européenne. Cette situation exige que nous soyons collectivement capables de définir des intérêts fondamentaux de sécurité communs.

La France, en raison de ses capacités et de son engagement, doit être à l'initiative, et d'abord dans la manière de définir ses propres intérêts nationaux en relation avec la souveraineté de l'espace européen. Avec l'Allemagne, nous avons aussi un partenaire conscient des menaces diverses qui pèsent sur l'Europe, à l'Est comme sur son flanc sud – on l'a vu ces dernières années en Afrique. Nous devons et nous pouvons avancer avec elle sur ces sujets.

La définition d'une doctrine stratégique commune européenne est la condition sine qua non de la mise en oeuvre de l'autonomie stratégique européenne. C'est en effet à partir d'une conception partagée de ces intérêts communs que nous pourrons définir les capacités, le budget et la culture stratégique commune qui donneront corps à cette dimension fondamentale de la souveraineté européenne.

Concrètement, s'agissant de l'Europe de la défense, deux avancées majeures ont été récemment enregistrées, à commencer par le projet d'une coopération structurée permanente – CSP. Sur la base d'une contribution rédigée par la France, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne et soutenue par la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Finlande et la République tchèque, une liste précise de critères à remplir pour participer à la CSP a été établie et approuvée, assortie d'un mécanisme de vérification permettant de garantir que ces critères ambitieux sont respectés par les États membres désireux d'y participer.

Les États de la CSP s'engagent à fournir un effort particulier en termes de développement de leur capacité de défense, mais aussi de mise à disposition d'unités de combat pour des missions communes. Il appartient désormais aux États membres qui le souhaitent de notifier leur volonté de participer à la CSP et de démontrer qu'ils respectent les critères que nous avons fixés collectivement, ce qui devrait permettre son lancement d'ici à la fin de l'année.

Autre avancée majeure dans ce domaine, la proposition par la Commission de créer un programme européen pour le développement de l'industrie de défense, qui doit financer des investissements nationaux dans la recherche, le développement de prototypes et l'acquisition d'équipements et de technologies. Les négociations sont en cours sur ce programme, que l'on appelle désormais le Fonds européen de la défense, et qui constitue une avancée majeure. Notre objectif est qu'elles aboutissent au cours du premier semestre de 2018. L'enjeu sera ensuite de le doter de financements suffisants pour assurer sa mission dans le cadre financier pluriannuel prévu à cet effet – ils pourront atteindre 500 millions par an à partir de 2020. C'est une évolution considérable, que nous devrons poursuivre au-delà de cette date, avec une grande détermination.

Mesdames et messieurs les députés, le Président de la République a exposé à la Sorbonne les principales clefs de l'Europe souveraine à construire : outre la sécurité, il a cité la maîtrise de ses flux migratoires, la stabilisation de son voisinage, la confirmation d'une transition écologique efficace et équitable, son affirmation en tant que puissance d'innovation, en particulier numérique, et sa puissance économique et monétaire. Sur toutes ces politiques structurantes, le Président de la République a fait des propositions opérationnelles, que vous avez entendues. Il a proposé à la fois une vision et des projets concrets. Dans chacun de ces domaines, l'objectif est de construire une Europe capable d'agir comme une puissance globale.

Cela m'amène à la troisième dimension de l'Europe souveraine : sa capacité de projection. Je pense notamment à l'action que nous devons mener à l'échelle européenne s'agissant de la régulation de la mondialisation et des inégalités qu'elle génère. Le sentiment d'être laissé pour compte est partagé par une part croissante des citoyens européens et l'espérance de progrès social qui a animé nos sociétés est mal en point. Cette perception, qui oscille entre le désenchantement, bien souvent, le désespoir, parfois, mais aussi la colère, affecte profondément notre vie démocratique. Elle met au défi les responsables politiques de proposer un chemin qui fait le pari de l'optimisme, du progrès et de l'ouverture, plutôt que de l'isolement, du repli et de la fermeture.

Ce que nos citoyens réclament, ce n'est pas le projet irréaliste d'une sortie de la mondialisation, c'est une mondialisation organisée selon des règles justes et équitables. L'Europe est un acteur de premier plan, de même niveau que la Chine ou les États-Unis. Elle a donc des arguments à faire valoir dans les instances internationales pour agir en faveur de cette régulation que nos peuples réclament.

De même, elle doit agir pour le développement économique et humain, tout particulièrement en Afrique. De ce point de vue, l'Alliance pour le Sahel, lancée avec l'Allemagne et l'Union européenne, a valeur d'exemple. Cet effort sera poursuivi avec la proposition du Président de la République de reprendre les travaux sur la mise en oeuvre d'une taxe sur les transactions financières, dont le produit serait exclusivement affecté au développement.

En matière de lutte contre le réchauffement climatique et pour l'environnement, l'Europe doit également être exemplaire, pour convaincre à l'échelle mondiale. C'est le sens de la proposition d'Emmanuel Macron de travailler à un juste prix du carbone et à l'instauration d'une taxe aux frontières extérieures de l'Union pour compenser le différentiel d'ambition environnementale pour les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale. Par ailleurs, vous l'avez remarqué, la méthode d'action pour assurer un consensus des États autour de l'accord de Paris en dépit de la décision américaine de retrait prouve, là encore, que la voix de la France porte, lorsqu'elle est bien coordonnée avec ses partenaires européens.

Mesdames et messieurs les députés, l'Europe, ce sont des valeurs, celles de la démocratie, des droits et des libertés publiques, de la paix et de la coopération. Dans un monde en proie aux incertitudes, la volonté d'ouverture à laquelle le Président de la République invite l'Europe répond à une exigence de responsabilité. L'unité, la protection, ce sont les conditions pour que l'Europe puisse se projeter et contribuer efficacement à la stabilité de l'ordre international, pour que les normes qu'elle incarne soient un modèle crédible à l'échelle du monde.

Pour la génération qui naît aujourd'hui à la conscience politique, l'idée européenne passe pour une évidence. Nous pouvons nous en réjouir, bien sûr, tant ce sentiment illustre les soixante-dix ans de silence des armes que le projet européen a rendu possibles entre nos États, grâce à une construction bâtie sur l'idée de réconciliation et qui reste la meilleure garantie pour la paix, comme le rappelait sans cesse Simone Veil.

Mais, si nous voulons bâtir l'avenir de l'Europe, nous devons aussi nous rappeler en permanence que les créations humaines en apparence les plus assurées peuvent être balayées par les fracas que l'histoire et la folie des hommes peuvent déployer. La valeur de la construction européenne, cette création politique unique, mesurons-la non seulement en termes de capacités économiques, mais aussi en la ramenant à son origine, celle des drames du siècle passé et de la volonté qui permit de les dépasser.

Chacune des générations de notre pays peut rattacher la naissance de sa conscience européenne à un événement marquant, à un projet fédérateur : je pense aux ruines de la guerre dont notre pays s'est relevé, aux premiers efforts de réconciliation avec l'Allemagne dans une Europe divisée par la guerre froide ; je pense à la liesse lors de la chute du mur de Berlin ou à l'émotion immense de voir Helmut Kohl et François Mitterrand main dans la main devant l'ossuaire de Douaumont ; je pense au projet et à la concrétisation de la monnaie unique. Quel sera, pour notre jeunesse, elle qui incarne l'avenir de l'idée européenne, elle qui devra en assumer demain la responsabilité, l'événement, le projet à partir duquel elle fera sien l'idéal européen ? C'est la question à laquelle nous devons essayer de répondre collectivement par notre action.

Mesdames, messieurs les députés, l'horizon de notre souveraineté est européen. C'est en construisant, avec l'ensemble des États membres de l'Union, une Europe souveraine que nous assumerons nos responsabilités à l'égard du peuple français.

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