Intervention de Jean-Carles Grelier

Séance en hémicycle du lundi 26 novembre 2018 à 21h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Carles Grelier :

Y aurait-il urgence ? Mais alors, où était l'urgence quand le Président de la République a différé par trois fois l'annonce de votre plan santé ? Où était l'urgence lorsque, l'an dernier, à cette même tribune, je vous alertais déjà sur la nécessité non pas de raccommoder ou de réparer notre système de santé, mais de le reconstruire sur des bases enfin solides et pérennes ?

Voyez-vous, monsieur le ministre, vous entretenez cette situation paradoxale qui consiste à dresser chaque jour le constat des manquements et dérives de notre système de santé et, pourtant, au travers de ce PLFSS comme du précédent – comme sans doute celui de l'an prochain et des années qui suivront – , vous allez nous proposer de continuer comme avant.

Bien sûr, vous objecterez que « ma santé 2022 » répondra à toutes les situations. Je m'interroge cependant sur la temporalité de vos mesures : 2022, c'est très loin lorsque, à la Ferté-Bernard, dans la Sarthe, on n'a plus accès à un médecin traitant et que des médecins retraités sont contraints de se remettre à la tâche ; 2022, c'est très loin lorsqu'on est infirmière dans un service hospitalier, qu'on est soumise à une pression chaque jour un peu plus forte et qu'on ne se voit proposer aucune perspective de carrière, les IPA – infirmiers de pratique avancée – étant cantonné à de très rares disciplines.

« En même temps », pour reprendre une expression qui vous est chère, 2022 est beaucoup trop près de nous lorsqu'on veut affirmer pour la santé de chacune et de chacun des Français une vraie vision prospective, une véritable ambition d'avenir. Enfermer la santé dans un petit calendrier électoral n'est décidément pas à la hauteur de l'enjeu !

Si vous nous aviez proposé, avec une vraie vision de long terme, des réformes qui engagent l'ensemble des acteurs de la santé pour 2030, 2040 ou 2050, si vous aviez affiché un projet et une ambition à la hauteur des attentes légitimes de nos compatriotes, on aurait pu dire que le compte y était. Or « ma santé 2022 » ne sera que l'affaire d'un mandat, et advienne que pourra !

Et n'allez pas croire que les communautés professionnelles territoriales de santé – les CPTS – dont vous allez confier le déploiement aux agences régionales de santé – ARS – seront une réponse rapide et efficace : d'abord parce que c'est une faute que de ne pas y associer dès l'origine les élus locaux qui soulèvent depuis dix ans les questions de démographie médicale ; ensuite parce que croire, depuis Paris, que les ARS seront mieux à même de définir les périmètres et les conditions de gouvernance et d'animation de ces réseaux que les professionnels de santé eux-mêmes relève d'une lecture par trop jacobine du sujet, qui porte en elle les germes de l'échec.

J'entends déjà votre réponse, monsieur le ministre : vous allez sans doute crier à la démagogie, puisque c'est désormais votre credo – M. Mesnier l'a récité pour vous tout à l'heure – , comme si le monde était désormais divisé en deux, avec, d'un côté, votre gouvernement, détenteur exclusif d'une vérité absolue, et, de l'autre, la cohorte de vos opposants forcément démagogues, forcément dans l'excès, forcément incapables de porter un projet alternatif, forcément incapables de réfléchir.

La santé a besoin d'un vrai projet, d'une véritable incarnation politique, elle a besoin de décisions et de courage. La santé des Français exige des actes, des actes forts. Or vous n'y répondez que par le mépris, le mépris qui semble la chose la mieux partagée par ce gouvernement : mépris pour le Parlement et les parlementaires, qui, au hasard des déclarations d'un haut fonctionnaire, découvrent votre souhait de recourir aux ordonnances pour le plan « ma santé 2022 » ; mépris pour les professionnels de santé, que la ministre de la santé a reçus la veille même de l'annonce de Mme Courrèges et qui ne les en a pas informés.

Ce PLFSS vous offrait pourtant l'occasion de refonder notre modèle social pour le rendre plus horizontal, plus proche des territoires, plus participatif – il m'a d'ailleurs semblé que le mouvement des gilets jaunes exprime cet impératif avec encore plus de vigueur.

J'aurais pu m'en tenir à ces propos qui résument à eux seuls ce que pense le monde de la santé, mais je vais malgré tout prendre quelques instants pour vous parler concrètement de ce PLFSS pour 2019 qui n'est finalement que celui de l'année précédente, en pire.

Il est pire, en effet, pour l'hôpital, qui a un besoin urgent de retrouver des capacités d'investissement, de dégager des marges de manoeuvre pour soutenir des professionnels qui n'en peuvent plus, pour soulager des directions ensevelies sous les directives édictées par le ministère de la santé et par ses substituts que sont devenues les ARS.

Il est pire pour l'hôpital, dont la dette ne cesse d'exploser mais qui, par bonheur, n'entre pas dans les critères des 3 % de Maastricht.

Il est pire pour la prévention, qui reste le mot étendard de votre mandat, mais pour laquelle rien n'est fait, ou si peu. L'augmentation du prix du tabac est sans doute une bonne chose mais ne saurait constituer à elle seule une politique de prévention toujours non gouvernée et non évaluée.

Il est pire pour la médecine de ville, dont vous allez diminuer la part de la rémunération à l'activité pour instiller un financement mixte constitué d'une part forfaitaire de plus en plus importante. Que restera-t-il de la médecine libérale, qui est déjà sous la tutelle de l'assurance maladie et sera peut-être demain sous celle des GHT, les groupements hospitaliers de territoire ?

Il est pire pour les patients, qui, une fois arrivés aux urgences, pourront être réorientés vers la médecine de ville sans avoir été ni soignés ni traités et sans avoir la certitude de l'être dans des délais raisonnables.

Il est pire pour les Français, qui ne savent plus à quel saint se vouer, qui sont inquiets pour leurs parents, leurs enfants et pour eux-mêmes. Monsieur le ministre, la confiance est désormais rompue.

La mise en coupe réglée de tous les pans et de tous les secteurs de la santé, qu'il s'agisse de l'hôpital, du secteur libéral et du médico-social, n'a que trop duré. Il est temps de changer radicalement de modèle, de vision. Il est temps de faire confiance aux établissements hospitaliers publics et privés, à l'excellence de nos praticiens, au dévouement de nos professionnels.

Il est urgent de libérer les initiatives des professionnels qui sont sur le terrain, de faire confiance aux élus des territoires, d'accompagner les idées qui se déploient ici et là, à des centaines de kilomètres des ARS, qui continuent pourtant de faire et de défaire les projets.

Il est temps de mettre fin à cette doctrine où tout est conçu par et pour l'hôpital public.

Ce PLFSS, qui n'est que la copie du rapport Charges et produits de la caisse nationale d'assurance maladie, nous amène à nous interroger : qui, en France, aujourd'hui, gouverne effectivement la santé ? Toutes les préconisations et recommandations de la CNAM y figurent sous une forme ou sous une autre. Il est donc temps, plus que temps, que la santé redevienne un sujet politique, inspiré par une véritable ambition, que l'on soit capable d'imaginer la santé de demain, capable de décider et de mettre un terme au carcan administratif.

Il est temps que, en matière de santé comme dans bien d'autres domaines, la Franc redevienne une société de confiance, que l'État fasse moins mais mieux, qu'il redevienne un État stratège, qui régule et qui protège ! Que l'État cesse d'enserrer les individus dans un cadre étroit dont il n'est plus possible de sortir ! Que l'État cesse de reproduire partout le césarisme technocratique qui rend l'administration toute-puissante !

À force de défiance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, vous faites peser un risque majeur sur l'indépendance sanitaire de la France et sur son approvisionnement régulier en molécules essentielles. Vous éloignez un peu plus les patients des innovations thérapeutiques. Comment pouvez-vous accepter, de même que Mme la ministre de la santé, que des chercheurs qui exercent dans de prestigieuses institutions françaises avouent réorienter les patients vers d'autres pays, comme la Suisse, pour qu'ils accèdent plus rapidement qu'en France à un traitement innovant ? À force de défiance vis-à-vis des patients, la démocratie sanitaire reste un doux rêve.

À force de défiance vis-à-vis des initiatives locales, vous enfermez les projets autorisés par l'article 51 dans des cahiers des charges illisibles comportant plusieurs dizaines de pages. Il est temps, monsieur le ministre, de rétablir la confiance. Le monde de la santé la réclame. L'entendez-vous ?

L'entendez-vous, lorsqu'il crie sa souffrance dans les pages des livres, dans les rapports que vous commandez, sur les plateaux de télévision ou à la radio ? L'entendez-vous lorsqu'il crie sa douleur et qu'il manifeste dans les rues ?

Nous entendez-vous, nous, parlementaires, lorsque nous essayons de faire avancer le débat de manière constructive et que vous rejetez tout en bloc, lorsque, par exemple, la commission vote à l'unanimité des amendements, avec l'assentiment du rapporteur général, mais que vous les balayez d'un revers de la main ?

Dois-je vous rappeler, comme l'a fait un de mes collègues du Sénat, qu'en matière législative le Gouvernement propose, mais que c'est le Parlement qui dispose et que c'est là, à la fois, la lettre et l'esprit de notre Constitution ?

Pour rétablir le lien de confiance, remisez votre lecture strictement budgétaire et comptable ! Cessez d'exiger du monde de la santé, des retraités, des familles, des étudiants, qu'ils se serrent la ceinture, car, à l'évidence, elle n'a plus de crans !

Pour toutes les raisons exposées dans cette motion de renvoi, laquelle s'applique bien entendu à la version initiale du texte qui ne manquera pas de réapparaître au gré des amendements de suppression des apports du Sénat, le groupe Les Républicains souhaite que ce PLFSS soit soumis à un nouvel examen en commission.

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