Intervention de Nathalie Elimas

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 9h30
Prise en charge des cancers pédiatriques — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNathalie Elimas, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Le sujet qui nous réunit aujourd'hui ne peut laisser personne indifférent. Les cancers pédiatriques frappent dans notre pays chaque année 2 500 enfants et adolescents dont 500 décèdent. Après les accidents, il s'agit de la deuxième cause de mortalité des enfants, la première par maladie. Ces cancers sont cependant des maladies rares. Rares par rapport aux 400 000 nouveaux cas et aux 150 000 décès que l'on dénombre chez les adultes chaque année dans notre pays. Rares aussi par leurs spécificités : il y a une soixantaine de cancers pédiatriques différents, dont les origines, le développement et les manifestations ont peu à voir avec ce que l'on connaît des cancers qui touchent les adultes.

Sans noircir un tableau qui n'en a pas besoin, je mentionnerai encore l'impact de la maladie sur la qualité de vie des jeunes patients, qui ont fréquemment à souffrir de séquelles ou d'effets invalidants durables, dus notamment aux effets secondaires des traitements. Il faut également évoquer les risques de rechute importants, de l'ordre de 35 % ou les dommages collatéraux sur la cellule familiale que l'on ne soupçonne pas forcément, qu'ils soient d'ordre psychologique ou économique. Même si les taux de survie des enfants et adolescents sont, depuis quelques années, de l'ordre de 80 % cinq ans après le diagnostic, contre 50 % pour l'adulte, ces multiples aspects suffisent à justifier que l'on apporte une attention particulière à ces cancers.

Il est, tout d'abord, primordial que l'effort de recherche soit renforcé en faveur de traitements pédiatriques. Aujourd'hui, pour l'essentiel, les médecins adaptent à l'âge et au poids des enfants les chimiothérapies développées pour les adultes, ce qui emporte de lourdes conséquences, souvent des années après la guérison du cancer. La prise en charge et l'accompagnement psychologique des enfants et des adolescents dans le cadre des soins, mais aussi en vue de l'après-cancer et de la préparation de leur avenir, doivent également être améliorés. Enfin, une attention particulière doit être apportée au soutien psychologique et social de leurs familles. L'ambition de la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter ce matin au nom du groupe MODEM et que la commission des affaires sociales a adoptée la semaine dernière, est précisément de renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques, grâce à une approche globale et cohérente qui aborde de front ces problématiques complémentaires : la recherche, le soutien aux familles, la formation des professionnels de santé et le droit à l'oubli.

Je ne reviendrai pas sur le débat que nous avons eu ici même il y a quelques jours et que nous avons conclu en votant à l'unanimité un amendement présenté par le Gouvernement, augmentant de 5 millions d'euros le budget consacré à la recherche en oncologie pédiatrique. Nous savons que l'effort de recherche de notre pays est important, qu'il est reconnu au niveau européen et international, et qu'il est porteur de programmes innovants. Pour l'illustrer, je ne mentionnerai que le programme AcSé-eSMART qui ambitionne de doubler en deux ans le nombre de nouveaux médicaments proposés aux enfants et qui est d'ores et déjà répliqué aux Pays-Bas avant d'être prochainement développé dans quatre autres pays européens. C'est pourquoi, si l'article 1er de la proposition de loi évoque la question des crédits, il met surtout l'accent sur un sujet qui est apparu essentiel au fil des auditions auxquelles j'ai procédé : celui de l'élaboration d'une stratégie décennale de lutte contre le cancer, définissant les axes de la recherche. De très nombreux acteurs que j'ai interrogés m'ont, en effet, convaincue que, parmi les missions confiées à l'Institut national du cancer – INCa – , cet aspect faisait défaut.

En vertu des dispositions en vigueur, l'INCa coordonne certes le dispositif national de lutte contre le cancer, auquel participent de très nombreuses institutions et acteurs privés – organismes de recherche, universités, associations caritatives, industries. J'ai cependant aussi entendu, fortement exprimé par les chercheurs, les associations de parents et l'INCa lui-même, le besoin de définir une stratégie nationale, désormais considérée comme indispensable, et de renforcer la coordination de la recherche de manière à en réduire la fragmentation et le manque de visibilité à moyen terme des financements. C'est la raison pour laquelle j'avais proposé à la commission un amendement de nouvelle rédaction, dont je me réjouis qu'il ait été adopté.

Avec l'article 2, la proposition de loi reste sur le terrain de la recherche, mais l'aborde sous un angle plus pratique. Il s'agit de faciliter la participation des mineurs aux essais cliniques initialement ouverts aux adultes, toujours de manière strictement encadrée, lorsque cela est pertinent et scientifiquement justifié. Je tiens à rassurer mes collègues qui ont pu émettre des inquiétudes à ce sujet : l'article 2, que la commission a adopté, ne modifie en rien les règles de consentement des parents ni la protection des enfants. En revanche, la mesure que nous vous proposons permettra d'éviter toute perte de chance des enfants face à des cancers pour l'heure incurables. La participation des enfants aux essais cliniques destinés aux adultes est également une condition primordiale pour que soient mis au point des traitements et une offre de soins qui leur soient véritablement adaptés. Le développement d'innovations thérapeutiques spécifiques permettra d'améliorer la qualité de vie des malades et de réduire les séquelles handicapantes dont souffre l'immense majorité des anciens patients guéris, du fait des traitements reçus. Comme pour l'article 1er, cette réforme répond aux attentes des associations de parents, qui témoignent des blocages actuels, et rencontre l'assentiment des professeurs d'oncologie que j'ai entendus.

L'article 3 de la proposition entend améliorer le dispositif existant de congé de présence parentale et l'allocation journalière de présence parentale – AJPP – qui l'accompagne. Comme vous le savez, les parents d'un enfant atteint d'un cancer bénéficient aujourd'hui d'un congé d'une durée de trois cent dix jours sur une période de trois ans, fractionnable et renouvelable une fois. L'allocation journalière qui peut leur être servie, sur accord du service du contrôle médical, permet de compenser en partie la perte de salaire qu'ils subissent durant la maladie de leur enfant.

En 2014, lorsque vous présidiez l'INCa, madame la ministre des solidarités et de la santé, vous aviez alerté la Caisse nationale des allocations familiales – CNAF – sur la lourdeur des procédures, les retards et les conséquences qui pouvaient en résulter, parfois très préjudiciables pour les familles modestes. J'ai retiré de mes auditions le sentiment, partagé sur de nombreux bancs de cet hémicycle, que les difficultés persistent aujourd'hui pour les familles, notamment parce que la durée prévue de l'AJPP se révèle insuffisante en cas de pathologie lourde et prolongée ou que le renouvellement de la prestation est fréquemment refusé. C'est la raison pour laquelle la commission a adopté le principe du déplafonnement de la prestation, de sorte qu'elle puisse être adaptée au réel et couvrir la pathologie dans son intégralité, certains enfants allant malheureusement de rechute en rechute pendant des années. Toutefois, afin de ne pas introduire de rupture d'égalité entre parents sur la base de la nature de la maladie dont souffre leur enfant, nous examinerons tout à l'heure des amendements qui visent à élargir le dispositif, sans le limiter aux seuls enfants atteints d'un cancer.

Quant aux deux derniers articles de la proposition de loi, ils n'ont pas été adoptés par la commission. Je le regrette profondément, car ils participent de la cohérence du dispositif. Aussi, je voudrais prendre quelques instants pour y revenir et vous convaincre de la nécessité de les rétablir.

La prise en charge des enfants atteints de cancer suppose qu'une attention particulière soit apportée à certains aspects essentiels, tels que la douleur, qu'elle soit due à la maladie elle-même ou aux traitements, ou l'accompagnement psychologique des enfants, de leurs parents et de leur fratrie, pour lesquels le bouleversement est considérable. Le troisième plan cancer a mis en avant ces aspects et en a fait des priorités. Cependant, les associations de parents, les psychologues, les infirmiers et les spécialistes de la douleur soulignent que ces questions sont encore très insuffisamment prises en compte sur le terrain – je vous renvoie à mon rapport pour plus de détails.

Au-delà des moyens à y consacrer, c'est en premier lieu sur la formation des professionnels de santé qu'il est essentiel de porter l'effort, notamment en matière de prise en charge de la douleur ou de suivi psychologique. On a opposé que l'article 4 ne relevait pas du domaine de la loi, qu'il n'entrait pas dans les compétences du législateur de déterminer le contenu des formations médicales et paramédicales, et que le ministère engageait un processus de recertification des professionnels de santé – ce que vous nous confirmerez, madame la ministre. Je n'en disconviens pas, et c'est précisément pour cette raison que l'article de rétablissement que je propose, et que je suis heureuse de voir repris sur l'ensemble des bancs, renvoie expressément à un décret en Conseil d'État le soin de fixer le contenu des actions de formation du développement personnel continu – DPC. Il me semble, en tout cas, extrêmement important d'indiquer dans la loi que certaines problématiques doivent impérativement figurer dans le processus de formation continue des professionnels, et je vous remercie par avance de l'accueil que vous réserverez à ces amendements de rétablissement de l'article 4.

L'article 5 de la proposition de loi, auquel j'attache également une grande importance, a aussi été supprimé par la commission. Il visait à étendre le droit à l'oubli aux jeunes âgés de dix-huit à vingt et un ans, dès cinq ans après leur rémission, contre dix ans aujourd'hui. On m'objecte qu'il serait inopportun que le législateur intervienne dans un processus conventionnel qui fonctionne de manière satisfaisante depuis le début des années 1990 et que l'on risquerait ainsi de bloquer le processus, auquel je vous sais très attachée, madame la ministre. Pourtant cette mesure concernerait moins de 900 jeunes, voire moins encore puisqu'elle ne s'adresserait qu'à celles et ceux qui souhaiteraient contracter un prêt. Il s'agit simplement de leur permettre de réaliser leurs projets sans attendre, sans subir une double peine à la suite de leur maladie.

J'ajoute qu'une telle démarche avait déjà été accomplie avec succès dans le cadre de l'examen au Parlement du projet de loi de modernisation du système de santé, prouvant s'il en était besoin que le processus conventionnel n'est pas l'unique moyen de modifier le droit à l'oubli. L'article 5 est donc un premier pas, certes modeste, vers la promesse de campagne d'Emmanuel Macron qui s'était engagé à réduire le droit à l'oubli à cinq ans pour tous.

Telles sont les dispositions de la proposition de loi que je souhaitais vous présenter. Je sais que ces ambitions sont partagées par tous. Il me paraît important que nous répondions aux attentes des patients et de leurs familles, et que nous contribuions à améliorer leur quotidien difficile. C'est, en tout cas, l'ambition de ce texte attendu par l'ensemble des acteurs que j'ai rencontrés.

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