Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 9h30
Prise en charge des cancers pédiatriques — Présentation

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l'oubli. Laissez-moi d'abord vous remercier d'attirer l'attention de tous sur ce sujet que je connais malheureusement bien. Il est impossible, y compris pour qui a consacré une grande partie de sa vie à la lutte contre le cancer, de ne pas ressentir d'émotion lorsque l'on évoque les cancers pédiatriques au sein de cet hémicycle. J'ai évidemment en mémoire des visages d'enfants particuliers et la douleur inaltérable de leurs familles.

Je sais aussi qu'il faut toujours garder espoir et que des avancées thérapeutiques majeures sont possibles grâce à la recherche et aux innovations en cours.

Le sentiment d'injustice est inhérent à la maladie, qui frappe aveuglément et brutalement. Ce sentiment d'injustice se transforme en sentiment de révolte lorsqu'il s'agit d'enfants. C'est pourquoi, chaque fois que seront faites des propositions pouvant améliorer la vie des enfants malades et de leurs familles, vous pourrez compter sur mon soutien sans faille. Vous pourrez aussi compter sur mon sens des responsabilités et mon souci d'un droit clair, lisible, toujours soucieux des enfants et de leurs proches.

L'autre sentiment qui émerge lorsque l'on parle à ces familles est celui de l'urgence : l'urgence de traiter, l'urgence de s'en sortir, mais aussi l'urgence de développer de nouveaux traitements, l'urgence de pouvoir accéder à un médicament ou à un essai clinique, l'urgence de trouver pour guérir. Or ce temps très court des familles est souvent incompatible avec celui de la recherche ou du progrès médical. C'est à vous, législateurs, qu'il revient de chercher à les réconcilier.

S'agissant de l'INCa, que j'ai eu l'honneur de présider pendant cinq ans, vous souhaitez étoffer ses missions en lui confiant, en coordination avec les parties prenantes, l'élaboration d'une stratégie décennale en matière de recherche qui détermine notamment les moyens affectés. C'est le sens de l'article 1er de votre proposition de loi.

L'INCa, vous le savez, est un groupement d'intérêt public rassemblant dans son conseil d'administration l'ensemble des acteurs de la lutte contre le cancer. Il a donc, par essence, un rôle de coordination, à la fois dans l'identification des besoins et dans la mise en oeuvre des solutions.

L'INCa n'en demeure pas moins un opérateur de l'État, qui le finance à plus de 90 %, qui rend compte au Parlement dans un rapport annuel. Aussi est-il important que la définition de la stratégie nationale et l'affectation des moyens pour la soutenir relèvent des ministères en charge de la santé et de la recherche. En revanche, il revient bien à l'INCa de préparer, de proposer et de mettre en oeuvre une stratégie.

Vous proposez, dans l'article 2, de modifier les conditions de participation des mineurs aux essais cliniques sur les cancers pédiatriques.

L'article du code de la santé publique que vous souhaitez compléter vise d'abord et avant tout à protéger les mineurs de recherches qui ne seraient pas à la fois utiles et nécessaires. Dans la mesure où votre proposition aurait pour possible effet – et je sais bien que telle n'est évidemment pas votre intention – de réduire le niveau de protection des mineurs vis-à-vis des essais cliniques, je ne peux y être favorable. En revanche, j'entends votre souci de répondre aux préoccupations des familles qui craignent que leurs enfants ne puissent participer à des essais cliniques. Aussi vous proposerai-je une nouvelle rédaction de cet article.

Vous proposez, avec l'article 3, de relier l'AJPP à la durée réelle de la maladie en dérogeant, pour les parents d'enfants atteints de cancer, au plafond applicable au nombre de jours de congés dont peut bénéficier le salarié au titre du congé de présence parentale. Sur cette question, nous essayons de trouver des solutions et je souhaite que votre proposition de loi permette une avancée significative pour les enfants malades et leurs familles.

Cet article amène à s'interroger sur l'articulation entre les prestations. Je pense à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé – l'AEEH– et à la prestation de compensation du handicap – la PCH – pour l'enfant, qui ont vocation à aider les parents ayant besoin de réduire ou d'interrompre leur activité professionnelle, de faire appel à une tierce personne ou d'engager des frais pour s'occuper de leur enfant malade, en proposant une gamme d'aides plus large que l'AJPP concentrée sur la compensation de l'interruption d'activité. Le débat est donc ouvert et il nous faut trouver ensemble une solution satisfaisante et lisible.

Vous proposez ensuite, aux termes de l'article 4, d'améliorer les conditions d'accueil des enfants atteints de cancer en créant une obligation de formation des personnels infirmiers et des médecins spécialisés en oncologie.

Il est évident que la prise en charge des enfants nécessite des compétences particulières acquises en formation initiale ou continue. Cependant, j'ai des réticences à inscrire dans la loi l'obligation de suivre des actions de formation spécifiques. D'autres leviers d'action existent, et j'attire votre attention sur les travaux déjà engagés par mon ministère sur la formation initiale des professionnels de santé et sur la recertification des médecins, avec le récent rapport remis par le professeur Serge Uzan.

Je rappelle aussi que les prises en charge des enfants atteints de cancer ne peuvent être faites que dans des établissements qui y sont autorisés, et que cette autorisation est elle-même subordonnée à la présence de professionnels dûment compétents et formés.

Vous allez aussi à l'essentiel avec le droit à l'oubli. C'est le sens de votre article 5, qui déplace la borne d'âge de dix-huit à vingt et un ans. Je me suis personnellement battue pour ce droit à l'oubli sans lequel les anciens malades continuent à porter le fardeau de la maladie alors qu'ils essaient de concrétiser un projet de vie. Je me suis battue pour que ce droit soit inscrit dans le troisième plan cancer et je me suis encore battue pour sa définition et pour sa mise en oeuvre. On ne peut donc pas me suspecter de ne pas savoir travailler avec l'ensemble des parties prenantes, et notamment les assureurs, que j'ai à de nombreuses reprises rappelés à leurs responsabilités.

Je suis, par conséquent, particulièrement sensible aux questions que vous posez. Des travaux déjà engagés considèrent l'opportunité de déplacer la borne d'âge, et je pense qu'ils doivent se poursuivre.

Ma détermination ne peut être mise en doute mais, en toute responsabilité, je tiens à vous réaffirmer mon attachement à une convention spécifiquement française destinée à assurer aux personnes malades le droit à emprunter et qui a vocation à s'améliorer d'année en année.

La démarche fondée sur le consensus scientifique, au fondement de la convention AERAS, a permis des avancées importantes en faveur des malades et anciens malades quels que soient l'âge et le type de maladie. Il me semble impératif de respecter le processus propre à la convention AERAS, qui continue de faire ses preuves et d'évoluer, notamment grâce au travail de l'INCa, pour le plus grand bénéfice des patients. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Mesdames, messieurs les députés, madame la rapporteure, je crois profondément que le travail que nous avons engagé continuera à porter ses fruits et j'aurai à coeur, au cours de la discussion des amendements, de vous rappeler mon engagement sans faille dans ce combat et de vous aider dans votre combat, dans notre combat aux côtés des enfants et de leurs familles.

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