Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 15h00
Activités agricoles et cultures marines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Le groupe Libertés et territoires se félicite de l'inscription à l'ordre du jour de nos travaux de textes qui mettent en avant l'agriculture et posent la question du lien de l'homme à la terre. Nous savons tous combien ce lien est important, au niveau économique, certes, pour l'équilibre social, aussi, mais également dans la construction même de la personne, son tempérament, son sentiment d'appartenance – sa culture, sans jeu de mots. Nous sommes donc loin d'une simple question de droit de propriété : la présente proposition de loi met au contraire en avant un sujet de société crucial.

Cela dit, prise au sens étroit, elle concerne la transformation en habitation résidentielle des bâtiments à usage agricole. Elle vise, de ce fait, le passage des édifices, donc des territoires, de leur vocation de production de biens, d'agriculture et d'élevage à une économie touristique et résidentielle. Plusieurs régions de France connaissent cette évolution – cette menace, devrais-je dire. C'est le cas notamment des bâtiments liés à la conchyliculture en zone littorale, des jasseries dans les Hautes Chaumes du Forez – des burons – ou, en Savoie, des chalets d'alpage. C'est aussi le cas, en Corse, d'une multitude de bâtiments agricoles que nous appelons les pagliaghji. Dans certaines zones de déprise agricole, au caractère naturel affirmé, la mutation peut être dévastatrice et achever le travail de démolition des structures sociales et culturelles traditionnelles.

Je citerai l'exemple que je connais le mieux, et qui est révélateur, celui de l'île de Corse : 330 000 habitants et 55 000 résidences secondaires correspondant à 38 % du total des logements, soit quatre fois la moyenne française, qui est de 9,5 %. Parmi ces 55 000 logements, des milliers étaient, dans une vie antérieure, au coeur de l'activité agricole. Nous voudrions à ce propos signaler – ce n'est pas innocent dans ce contexte – qu'à notre sens l'économie résidentielle, qu'il s'agit finalement, ici, de contenir, si elle est incontestablement apte à produire de florissantes situations individuelles, n'a jamais induit une dynamique de développement et de progrès collectif dans aucune région ni aucun pays.

Au niveau macroéconomique, l'évolution foncière dont nous débattons aujourd'hui n'est que la traduction de l'effondrement de l'emploi primaire et de la concentration sur un nombre restreint de régions de l'activité agricole, qui irriguait peu ou prou l'ensemble des territoires jusqu'aux années soixante. En 1962, en France, l'agriculture rassemblait encore plus de 20 % des actifs, contre 2,8 % actuellement. L'alternative consiste donc soit à prendre acte de cette évolution et à l'accompagner en laissant faire les choses, soit à tenter d'en limiter la dérive par des mesures de soutien, ou, comme ici, par une volonté de containment.

C'est donc d'un bouleversement fondamental de la vie économique et sociale qu'il s'agit, nous l'avons dit. Cela nous oblige à revenir ici à la racine des choses, aux assises même de notre engagement politique. Je veux donc le souligner : quant au fond, notre projet n'est en aucun cas celui d'une société réduite à sa dimension matérialiste ; il s'enracine au contraire dans un environnement social singulier, lequel provient, comme toujours, de l'appartenance à la terre et à sa culture. « La terra simili a sé gli abitator produce », a écrit Le Tasse : « La terre produit les hommes à son image » – « terre », ici, au sens de terroir. Cela ne nous semble nullement contradictoire avec l'ouverture vers les autres ni avec notre sensibilité mondialiste.

Finalement, la question de fond est la suivante : voulons-nous une société dominée par le tourisme, la résidence, le loisir, le tertiaire en général ? Ou tentons-nous d'infléchir les choses vers une structure plus équilibrée, où la production agricole garde sa place, avec ce que cela comporte d'occupation moins contrastée du territoire, de promotion des circuits courts et, in fine, de meilleure adaptation aux contraintes du développement durable ? Ces considérations dictent naturellement notre position : nous soutiendrons toutes les initiatives qui permettront une valorisation saine du territoire et, par conséquent, le maintien d'un équilibre entre terrains agricoles et zones urbanisées.

Contenir la bétonisation des espaces agricoles, conserver ces milieux dans leur vocation première, constitue un enjeu économique immédiat mais aussi un engagement de société fort ; car il y a là, sans doute aucun, une incitation majeure à pérenniser l'enracinement des personnes et des peuples, et naturellement aussi, et peut-être surtout, un soutien direct à l'indispensable production alimentaire. En ce sens, nous rejoignons totalement les préoccupations des auteurs de la présente proposition de loi.

L'extension du droit de préemption des SAFER nous satisfait : ces sociétés sont des acteurs majeurs de la conservation du caractère agricole de nos territoires. À cet égard, je tiens naturellement à apporter mon soutien à la SAFER corse qui, en lien avec la Fédération nationale des SAFER, lance un projet « Zéro friche ». Je déposerai prochainement une proposition de loi allant dans ce sens. L'extension du droit de préemption des SAFER, dans certaines conditions, peut être une piste de travail intéressante, la définition législative de la notion de friche l'étant tout autant. Dans le domaine foncier, les arbitrages sont difficiles à rendre. Les avantages potentiels de telle ou telle dévolution foncière ou immobilière sont partagés. Ainsi, on pourra reprocher à ce texte d'intervenir dans un domaine privé des décisions de vente, ou de mutation. Certains estimeront qu'il est, dans sa définition, privatif de liberté. Or il n'est jamais positif de restreindre la liberté individuelle ni la liberté d'entreprendre. Il faut en contrepartie de sérieuses raisons, ce qui nous semble être le cas ici.

Dans le même ordre d'idées, au sein du groupe Libertés et Territoires nous comprenons les débats menés en commission et les avancées adoptées visant à restreindre cette proposition de loi aux zones littorales. L'ANEM a bien démontré, dans ses récentes interventions, combien la question que nous traitons aujourd'hui devient délicate en zone montagne. Les débats menés lors de l'examen, en 2016, du projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, qui deviendrait ladite loi montagne II, ont été révélateurs de la contradiction entre préservation et modernisation, entre protection et développement – éternel problème derrière lequel se cachent des intérêts importants et divergents, ce qui ne simplifie pas les choses.

L'équilibre est objectivement difficile à déterminer, et c'est pourquoi, au vu de la diversité des situations, nous voulons que les grandes décisions foncières puissent être prises au niveau des régions, comme cela peut être déjà en partie le cas, en Corse, avec le Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse – PADDUC – ou, en Île-de-France, avec le schéma directeur de la région Île-de-France – SDRIF. Rapprocher les décisions des acteurs de terrain est rarement une mauvaise chose.

À titre personnel, je viens d'une famille politique qui a dû combattre, au sens fort, pour sauvegarder la beauté des paysages de Corse et préserver le sens de l'histoire qui les a menés jusqu'à nous. Et cette lutte acharnée contre la bétonisation du littoral, Dieu sait que certains l'ont payée au prix fort, et que d'autres y ont même laissé leur vie. Aujourd'hui, les choses ont évolué, mais, sur le fond, la menace demeure et les mutations foncières battent son plein. En Corse donc, mais pas seulement.

Peu ou prou, plusieurs régions littorales connaissent en effet spéculation, difficulté d'accès au logement pour les plus modestes, bouleversements culturels et sociaux. On le comprend donc, le groupe Libertés et Territoires demeurera vigilant et combattra sans restriction toutes les pressions spéculatives qui agressent le monde rural en général et les terres agricoles en particulier. C'est donc tout naturellement et avec satisfaction que nous voterons la présente proposition de loi.

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