Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 15h00
Interdiction des violences éducatives ordinaires — Présentation

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d'appeler mon attention sur ce sujet, auquel nous sommes tous très sensibles, puisqu'il concerne la façon dont nous éduquons les enfants de notre pays.

Je vous remercie, madame la rapporteure, pour votre engagement sur ce sujet et pour le temps que vous avez passé à écouter les acteurs. Vos préoccupations rejoignent une priorité que je me suis fixée depuis mon arrivée au Gouvernement. Je remercie aussi le groupe du Mouvement démocrate et apparentés d'avoir déposé cette proposition de loi à laquelle je souscris et dont je partage l'orientation. Je présenterai dans les prochains mois une feuille de route, puis une stratégie globale, relative à la protection des enfants, avec un axe spécifiquement destiné à lutter contre les violences intrafamiliales.

Cette stratégie couvrira l'enfance en général, avec une attention toute particulière pour le repérage de ces violences. Je sais que le débat que nous allons engager est rarement apaisé. Je sais qu'il déchaîne parfois les passions, mais il est de ma responsabilité de ministre de la famille et de l'enfance de veiller à ce que les enfants soient protégés. Bien sûr, c'est le rôle premier des parents, mais l'État a aussi une place à tenir. Il n'y a pas de violences acceptables et l'État a aussi pour mission de protéger la dignité et l'intégrité des enfants.

La question qui nous réunit n'est pas nouvelle, si j'ose dire, puisque dans le cadre du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, un amendement avait été adopté le 27 janvier 2017, qui excluait le recours aux violences corporelles et tout traitement cruel, dégradant ou humiliant. Cette disposition avait ensuite été censurée par le Conseil constitutionnel, uniquement pour des raisons de procédure. En l'espèce, il s'agissait d'un cavalier législatif. L'attente de tous ceux qui défendent la cause des enfants n'a pas été vaine, puisque nous remettons aujourd'hui l'ouvrage sur le métier avec l'idée, cette fois, d'aboutir enfin. Il est plus que temps.

Je voudrais vous présenter quelques chiffres qui, personnellement, me saisissent d'effroi. En 2017, 47 745 mineurs ont été victimes de violences, de mauvais traitements et d'abandon et 23 738 mineurs ont été victimes de violences sexuelles. Entre 2012 et 2016, 363 enfants ont succombé à des violences, soit une sinistre moyenne de 72 enfants morts chaque année. Ces chiffres sont révoltants et ils ne reflètent que partiellement la réalité, puisqu'ils découlent des seuls faits portés à la connaissance des autorités de police et de gendarmerie. Nous devons encore faire de grands progrès pour mieux mesurer l'ampleur du phénomène, et surtout pour mieux le prévenir.

Le Président de la République et le Gouvernement ont très tôt pris la mesure de la gravité de cette situation et de l'urgence qu'il y avait à agir face à l'inacceptable. C'est tout le sens de la stratégie que nous sommes en train de construire pour mieux repérer les violences, mieux les prévenir et donc mieux protéger nos enfants. Dans la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, je sais que certains regrettent que l'on s'en tienne au strict cadre familial. Si tel est le cas, c'est d'abord et avant tout parce que la très grande majorité des violences commises sur les enfants le sont malheureusement dans un contexte familial. Il faut regarder cette réalité en face.

Une partie de cette violence est issue d'un cumul de difficultés et d'une série de signaux faibles, hélas non détectés à temps. C'est pourquoi il nous faut impérativement porter nos efforts sur le repérage de ces violences et assurer une articulation efficace entre le travail social et l'action judiciaire. Le pire peut et doit donc être évité.

La violence naît aussi d'une certaine acceptation, d'une certaine tolérance. Il suffit d'observer la légèreté de ton privilégiée par certains pour vanter, presque par nostalgie, les vertus du châtiment corporel. Cette légèreté de ton quand on aborde les violences éducatives pourrait avoir le charme de la désuétude, si elle ne décrivait pas une réalité dramatique – et j'ai déjà rappelé les chiffres. La violence, prétendument éducative, exercée sur des êtres fragiles et vulnérables, a des conséquences désastreuses sur le développement de l'enfant. On n'éduque pas par la peur, parce qu'on ne grandit pas dans la peur : on s'y enferme et on y étouffe.

Il y a les violences systématiques et criminelles, qui conduisent au pire. Il y a aussi des violences plus discrètes, plus ponctuelles, souvent un peu honteuses : un agacement, une perte de sang-froid, un coup qui part. Bien sûr, ce coup peut être regretté, et il l'est bien souvent. Peu importe, en vérité : je ne suis pas là pour mesurer les états d'âme d'un parent qui s'est emporté. Ce n'est pas l'objet de cette proposition de loi.

La loi doit protéger les enfants, vous devez protéger les enfants, tous les enfants, quels que soient leur milieu ou le contexte familial dans lequel ils grandissent. Des études scientifiques montrent qu'une éducation violente n'est pas propice aux apprentissages et qu'elle empêche même le développement du cerveau de l'enfant. Elles montrent toutes qu'une éducation punitive sévère n'a aucun impact éducatif chez les enfants et les adolescents. Ces violences ont en revanche des conséquences néfastes sur le développement, sur la santé mentale et sur la sociabilité des enfants, et ce pour toute leur vie.

Au-delà des douleurs physiques, il y a la destruction de l'estime de soi et le risque de tomber dans des pratiques d'auto-maltraitance. Les enfants victimes de violences familiales sont malheureusement susceptibles de devenir des adultes constamment habités par la peur et l'insécurité et ils risquent de reproduire ces violences.

L'ensemble des acteurs qui travaillent auprès des enfants, notamment le défenseur des droits et la défenseure des enfants, recommandent une éducation bienveillante et exempte de violence. Rappelons par ailleurs que l'ONU conseille aux États membres d'insérer dans leur droit positif l'interdiction des violences. Vingt-trois des vingt-huit pays de l'Union européenne ont inséré des dispositions en ce sens dans leur droit interne, parfois depuis longtemps, comme la Suède en 1979. Cinq pays, dont la France, ne l'ont toujours pas fait. Il est donc temps pour notre pays d'aller plus loin dans l'interdiction des châtiments corporels.

Les violences commises dans le cadre familial sont, évidemment, déjà réprimées par le droit pénal, parfois très sévèrement. Pour autant, la France ne répond pas aux obligations internationales qui visent à intégrer ces dispositions dans le code civil. Selon l'article 371-1 du même code, les parents doivent protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité.

En ce sens, inscrire l'interdiction des châtiments corporels dans le code civil prolongerait cette obligation de sécurité faite aux parents à l'égard de leurs enfants.

J'entends déjà la question des plus cyniques, qui ne sont pas toujours les plus lucides : « qu'est-ce que cela va changer ? ».

Je leur réponds qu'en l'état du droit positif, le juge peut encore estimer que ces violences sont justifiées, ou en tout cas excusées, à défaut d'être nécessaires, conformément à un « droit de correction » dont on peine à percevoir les contours et le contenu.

L'inscription dans le code civil de l'interdiction des châtiments corporels est donc une manière de rompre avec l'appréciation parfois souple de la jurisprudence et une certaine forme d'aléatoire.

L'inscription dans le code civil de l'interdiction des châtiments corporels limitera la coutume par laquelle ces pratiques trouvent parfois de curieuses justifications. Notre ambition n'est donc pas exclusivement symbolique : elle est au contraire bien concrète. Il ne s'agit évidemment pas de culpabiliser les parents, et je sais combien être parent est difficile, aujourd'hui peut-être plus encore qu'hier. Rappelons à cet égard que le Gouvernement est pleinement engagé dans le domaine de l'aide à la parentalité et que pas moins de 130 millions d'euros seront déployés d'ici 2022 à cette fin, dans le cadre de la stratégie de soutien à la parentalité.

Nous voulons simplement affirmer que tout individu, et l'enfant en est un, a droit au respect de son intégrité et de sa dignité. La violence n'est jamais éducative. La violence est violente, un point c'est tout. Et cette violence ne fait pas simplement mal ; elle détruit aussi des vies.

C'est donc consciente des responsabilités qui me reviennent, comme ministre des solidarités et de la santé, à l'égard des enfants de notre pays, que j'accueille plus que favorablement la proposition de loi que vous nous soumettez.

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