Intervention de Élodie Jacquier-Laforge

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 15h00
Interdiction des violences éducatives ordinaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlodie Jacquier-Laforge :

Je tiens tout d'abord à saluer la qualité du travail de notre rapporteure. Il n'est jamais facile de transformer les mentalités et de faire évoluer notre société. En tant que législateurs, nous avons le devoir de prendre de la hauteur par rapport à ce type de sujet de société, légiférer de façon dépassionnée dans l'intérêt général, même lorsque cela n'est pas « populaire ».

La violence ne doit pas être une réponse éducative.

Chaque enfant a des droits fondamentaux en matière d'éducation, de soins, de justice, de protection sociale. Les droits des enfants sont reconnus par la loi et sont inscrits dans la Convention internationale des droits de l'enfant, dont l'article 19 dispose que « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »

La France ne respecte donc pas le droit international – ni le droit européen, d'ailleurs. En 2015, le comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe déclarait en effet que « le droit français ne prévoit pas d'interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels, en violation de l'article 17 de la Charte sociale européenne ».

En France, le défenseur des droits est l'organisation désignée par les Nations unies pour veiller au respect de ces droits. Il s'assure du respect de « l'intérêt supérieur de l'enfant », c'est-à-dire que l'intérêt de l'enfant soit considéré comme primordial et prioritaire sur tout autre.

Ses dernières recommandations portent sur l'inscription de l'interdiction des châtiments corporels sur les enfants dans le code civil, le code de l'éducation et le code de l'action sociale et des familles. Or, on retrouve encore la notion de « droit de correction » dans notre jurisprudence. Aujourd'hui, 87 % des enfants subissent quotidiennement les pratiques punitives et coercitives de leurs parents. Le seul endroit où la violence est autorisée en France, c'est la sphère familiale.

Un adulte qui subit des violences peut porter plainte, se défendre. Un enfant corrigé par ses parents n'a que le droit de se taire et de subir, de culpabiliser, pensant mériter ce qui vient de lui arriver. Cela peut paraître simpliste pour certains, mais c'est une réalité et c'est ce que notre droit permet. Une gifle, un coup, même sans laisser de marque, fait mal et humilie. S'ils ne laissent pas de marque physique, ils laissent des traces psychologiques.

Je l'ai déjà dit en commission, j'entends souvent, pour justifier le rejet de ce texte, qu'une « bonne fessée », voire « une bonne raclée » n'ont jamais fait de mal à personne, quand il n'est pas ajouté qu'on en a soi-même reçu et qu'on va très bien.

Mais les pédopsychiatres sont d'accord pour reconnaître qu'un enfant ne saura pas correctement gérer le débordement de ses émotions et sa frustration avant plusieurs années – cela reste d'ailleurs encore très difficile à l'âge adulte, comme nous pouvons le constater chaque jour au sein de cette assemblée. La violence ne sert à rien, si ce n'est à faire mal. Selon ces experts, les conséquences sur la construction psychique peuvent être dévastatrices. Il est plus facile de hurler ou de frapper que de parler, rassurer, encourager.

Ne pas être violent avec ses enfants ne signifie pas manquer d'autorité. On peut avoir de l'autorité et être ferme, sans coups, sans hurlements. Il est même primordial de fixer des limites aux enfants. Ils en ont besoin pour devenir des adultes équilibrés.

D'aucuns nous disent que ce sont leurs enfants et qu'ils ont « quand même le droit de faire ce qu'ils veulent ». Eh bien non ! Certains se sont même offusqués de ce que leurs enfants pourraient « les dénoncer, car ils pourraient mentir », ajoutant, pour d'autres, que leurs enfants aussi ont des « devoirs envers leurs parents, notamment quand ils deviennent dépendants en fin de vie ». Je ne pense pas que quelqu'un ici trouve normal que l'on puisse frapper ou hurler sur son parent âgé et malade. Il en est de même pour les enfants.

Du reste, il est heureux que les enfants puissent dénoncer un parent abusif. Nous sommes dans une société de droits et de devoirs qui s'appliquent justement à tous. La protection que nous devons à chaque enfant pour qu'il vive dans un environnement sain et bienveillant ne doit pas s'arrêter à la porte de leur foyer ou de leur chambre.

Pour illustrer mes propos, au-delà des violences éducatives ordinaires, je souhaite également évoquer la maltraitance infantile dans son ensemble.

Les chiffres sont accablants. Aujourd'hui en France, deux enfants meurent sous les coups et les tortures chaque semaine ; 73 000 cas de violences sur mineurs sont identifiés chaque année, soit 200 par jour ; 300 000 enfants sont pris en charge par l'aide sociale à l'enfance et 160 000 sont retirés à leur famille ; 7 000 viols sur des mineurs sont officiellement recensés chaque année, soit presque vingt par jour, ce qui représente 44 % des viols commis sur notre territoire ; la moitié des victimes de viols et d'agressions sexuelles ont moins de 12 ans, et seulement 2 % des cas donnent lieu à une condamnation ; 70 % des enfants qui sortent de l'aide sociale à l'enfance n'ont aucun diplôme ni formation ; 40 % des SDF de moins de 25 ans sont d'anciens enfants placés.

Ces chiffres représentent l'échec de notre politique de protection de l'enfance. Je me réjouis cependant que le 20 novembre dernier – journée mondiale de l'enfance – , le Gouvernement ait lancé une stratégie en faveur de la protection de l'enfance. Il est en effet urgent de mettre en place un plan national pour lutter contre la maltraitance.

Cette proposition de loi n'a pas pour objectif de culpabiliser les parents, ni de les juger. Il s'agit aussi de les accompagner. Le texte n'est pas répressif et il vise les cas de violences répétées.

En tant que maman de deux garçons, je sais combien il est difficile de demeurer toujours patiente, calme et sereine. Comme tous les parents, je commets des erreurs, mais je me dois de montrer l'exemple et d'être une mère bienveillante, qui ne tape pas, qui n'humilie pas. C'est pourquoi il est important d'aider les parents par un accompagnement pédagogique qui fixe des limites aux enfants. L'inscription de l'interdiction des violences éducatives dans notre droit est un premier pas. Vingt-sept pays du Conseil de l'Europe l'ont déjà fait ; nos voisins européens nous regardent. Ne manquons pas ce rendez-vous qui fera date dans notre droit et dont nous pourrions être fiers. C'est pourquoi le groupe du Mouvement démocrate et apparentés soutiendra ce texte.

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