Intervention de Raphaël Schellenberger

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 21h30
Interdiction des violences éducatives ordinaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Schellenberger :

La proposition de loi qu'il nous est donné d'examiner aujourd'hui part indéniablement d'une bonne intention : la volonté de lutter contre les violences faites aux enfants. Cette volonté, naturellement, nous la partageons, et notre droit nous donne déjà des outils de lutte contre ces violences : l'article 222-13 du code pénal interdit toute forme de violence physique envers les enfants et fait du jeune âge de la victime une circonstance aggravante.

Dès lors, comment se traduit juridiquement cette volonté de lutte renforcée dans la présente proposition de loi ? Vous proposez un ajout à l'article 371-1 du code civil, celui-là même dont il est donné lecture en mairie lors du mariage des futurs époux. Vous touchez ainsi à l'un des éléments fondamentaux donnés en lecture lors du mariage. Ce geste, tous les anciens maires de cette assemblée, qui ont eu à célébrer ce genre d'événements, le savent, est empreint de sens et de solennité : ayons-le à l'esprit lorsque nous légiférons.

Alors, qu'écrivez-vous ? Vous ajoutez à cet article que « les titulaires de l'autorité parentale l'exercent sans violence ». Cet alinéa nouveau ne s'accompagne d'aucune sanction pénale à l'encontre des titulaires de l'autorité parentale. Et pour cause : nous arrivons aux limites de cette proposition de loi ! Comment envisagez-vous de nous donner les moyens d'appliquer effectivement cette affirmation ? Si l'objectif proclamé avec force est de faire de cette loi un levier d'action efficace pour réduire les maltraitances, l'échec scolaire, les maladies, les suicides, les comportements antisociaux et la délinquance, alors elle doit être applicable, très concrètement. Pourtant, le dispositif ici proposé n'est que peu opérationnel : il énonce, sans encadrer.

Au fond, votre texte pose une véritable question de conception du droit et nous conduit à nous interroger, par extension, sur l'exercice de notre mission de législateur. Nous retrouvons ici des échanges que nous avons pu avoir la semaine passée à l'occasion de l'examen du projet de loi de réforme de notre justice : le droit français est complexe, parfois inutilement. Il est souvent trop bavard, voire tortueux. Nous avons pourtant, en qualité de législateur, une responsabilité certaine à cet égard. Nous devons avoir l'exigence quotidienne de définir le droit avec précision et de lui donner les moyens de s'appliquer dans les faits.

La règle posée ici, de nature exclusivement civile et sans sanction liée, vise à énoncer un principe – je cite l'exposé des motifs – « ayant vocation à être répété aux pères et mères ». N'est-ce pas là la fonction du discours politique, d'une campagne de communication, plutôt que celle du texte éminemment structurant du code civil, auquel nous ne devons toucher qu'avec précaution ? La loi ne saurait être seulement symbolique : elle doit avoir une portée certaine.

En lien avec ces questions d'efficacité du droit, centrales à mes yeux, le dispositif proposé soulève également une véritable difficulté de définition de ce que sont les violences éducatives ordinaires. Doit-on bannir toute éducation qui pourrait comporter parfois, sans forcément une intention évidente des parents, un geste ferme pour indiquer à son fils, à sa fille, de ne pas toucher aux plaques de cuisson chaudes, aux produits ménagers ou aux prises électriques ? Quels gestes entrent dans la case « violence » ? Quels autres pourraient être tolérés ? La rédaction proposée n'est que très peu intelligible de ce point de vue. Une fois de plus, son application, alors qu'elle a initialement pour vocation de clarifier une jurisprudence, ne semble pas évidente. Si le droit n'est pas clair, comment espérer son application uniforme ? En manquant de définir précisément ce contre quoi vous prétendez lutter, vous échouerez à atteindre l'objectif proclamé.

Le message même que vous envoyez aux parents est brouillé. Alors que vous prétendez leur parler avec ce texte, en réalité, vous les pointez du doigt. Vous entrez dans leurs foyers sans les accompagner. Il existe un principe fort, auquel ma famille politique est attachée : l'éducation relève en premier lieu des parents et du cercle familial. Être mère, être père constitue une responsabilité à la fois belle et lourde. Elle doit être assumée pleinement. C'est un devoir à l'égard de l'enfant mais aussi à l'égard de la société dans laquelle celui-ci est amené à vivre, à grandir, à faire des choix, à agir. Le rôle du politique, s'il est de rappeler aux parents cette obligation – Les Républicains ont fait de nombreuses propositions en ce sens – , doit aussi respecter la liberté éducative des parents. Soyons attentifs et mesurés sur ce point : les familles n'accepteraient pas un excès d'ingérence de notre part.

Vous souhaitez interdire la fessée. C'est un beau slogan.

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