Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du lundi 3 décembre 2018 à 16h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Ils investissent le débat public ; ils veulent être respectés ; ils veulent se faire entendre ; ils veulent vivre pleinement. Cette colère est profonde : ce n'est pas un emportement passager.

Il est inquiétant – chacun l'a souligné – de voir des casseurs y faire leur nid pour se livrer à de graves violences qui desservent la cause. Mais la colère ne désenfle pas. Et le Gouvernement a une responsabilité majeure dans la tournure des événements. Cette colère, elle vient de l'injustice, des inégalités, des difficultés du quotidien. Elle vient du mépris, des insultes, de l'arrogance, des faux-semblants. C'est la révolte des « fainéants », des « nantis » et autres « réfractaires ». Et elle pose une question majuscule : où est la République ? Où sont la liberté, l'égalité, la fraternité dans ce monde livré aux puissances d'argent ?

Aux sources de mon engagement, il y a cette colère, il y a cette révolte, il y a cet espoir d'une société où la dignité de chaque femme et de chaque homme n'est pas une préoccupation d'arrière-plan. Je n'ai sans doute rien dit d'autre depuis dix-huit mois, ici, à cette tribune, avec parfois le sentiment qu'on y voyait de l'exagération. Or avais-je exagéré en quoi que ce soit le sentiment profond qui hante le pays ?

Ce mouvement, qui n'appartient à personne, a surgi, inattendu, déroutant, revendiquant son autonomie. Il m'interroge, moi qui ai défendu nombre des propositions qu'il fait aujourd'hui, moi qui suis de ceux qui manifestent, pour reprendre les paroles de Jean Ferrat en réponse à Georges Brassens : « En groupe en ligue en procession En bannière en slip en veston Il est temps que je le confesse À pied à cheval et en voiture Avec des gros des p'tits des durs Je suis de ceux qui manifestent Avec leurs gueules de travers Leurs fins de mois qui sonnent clair Les uns me trouvent tous les vices Avec leur teint calamiteux Leurs fins de mois qui sonnent creux D'autres trouvent que c'est justice. » D'une façon étonnante, parfois contradictoire, nombre de femmes et d'hommes se sont reconnus ces derniers jours dans une cause commune. J'y entends un refus de l'injustice qui ne peut être ignoré.

Depuis tant d'années, pourtant, les forces dominantes cherchent à modifier les mentalités, à faire oublier à notre peuple les grandes intuitions qui le guident depuis si longtemps, à installer le renoncement et la désespérance, à annihiler, l'air de rien, ce qui a été durement et patiemment conquis, à décourager les grands mouvements populaires, à affaiblir les organisations collectives qui leur font face, à faire admettre cet ordre social inacceptable dans lequel certains mériteraient l'opulence quand d'autres devraient accepter si souvent la frugalité et trop souvent la misère, à nous culpabiliser sur le coût du travail quand c'est le capital qui nous plombe. Et, pas à pas, jusque dans le réel de nos vies quotidiennes, tant a été fragilisé, abîmé, détruit.

C'est de là que vient cette crise politique qui dure et dont Emmanuel Macron a prétendu être la solution alors qu'il n'en était en fin de compte qu'un signe supplémentaire. Cette crise, c'est celle d'une promesse républicaine de moins en moins tenue, c'est celle d'alternances sans véritables changements, c'est celle d'un invariable horizon libéral, c'est celle d'un capitalisme ravageur, c'est celle d'une régression sociale sans fin. Et cela ne passe plus. Avec ses ambivalences, parfois, ce grand mouvement populaire dans lequel certains ont cherché à semer de mauvaises graines, ne s'est pas laissé détourner : il a jusqu'ici pointé du doigt sans faiblir la question sociale. Et aucune stratégie de communication n'y saurait constituer une réponse, aucun élément de langage.

Il n'y aura pas de réponse à la question posée dans l'accélération libérale qui est la marque de la politique menée depuis dix-huit mois. La promesse d'un nouveau monde, pour habile qu'elle soit, reprenant une rhétorique du progrès, a fait long feu. Le « nouveau monde » du Président reprend si souvent le pire de l'ancien et gomme si souvent ce qu'il aurait fallu en retenir ! À tout bout de champ, la majorité a affiché son intention de tout remettre à sa main et de tout chambouler. On connaît la chanson : réformes systémiques, changements de paradigme, réorganisation globale... Le Gouvernement s'est ainsi attaqué frénétiquement et avec suffisance au code du travail, à la sécurité sociale, au logement public, à la formation professionnelle, aux services et aux entreprises publiques, aux aides sociales, à la justice, et même, à contresens, à la Constitution... On nous annonce l'hôpital, les retraites, les ordonnances de 1945 sur la justice des mineurs, le statut de la fonction publique, que sais-je encore...

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