Intervention de Anne Genetet

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne Genetet, rapporteure pour avis :

Permettez-moi de commencer ma présentation par une petite annonce pour laquelle je n'ai pas trouvé d'autre support : « Urgent, élève sérieux recherche solution innovante afin de relever un défi majeur pour son avenir, pronostic vital engagé ». C'est un peu sévère, mais je pense que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pourrait tout à fait reprendre à son compte cette annonce pour les deux programmes dont je suis chargée.

Le budget du ministère des affaires étrangères est un tout petit budget, représentant environ 1,2 % des dépenses totales de l'État, mais pour une très grande mission puisqu'il s'agit de faire rayonner la France dans le monde. C'est du coeur vibrant de la France, de sa présence et de son influence qu'il est question, et vous savez à quel point ces sujets me tiennent à coeur. Dire que ce budget vise à soutenir la diplomatie au sens classique du terme, c'est-à-dire politique ou culturel, serait très réducteur : la diplomatie est également académique, scientifique, économique, stratégique, et que sais-je encore ?

Il faut également souligner que notre réseau consulaire accomplit un travail remarquable au service des Français, qu'ils soient résidents à l'étranger ou seulement de passage – ils sont très nombreux à entrer dans cette dernière catégorie, car nous voyageons beaucoup.

J'ajoute que ces missions diplomatiques et consulaires ne pourraient pas être accomplies sans les femmes et les hommes qui animent le réseau. Il faut les saluer : ils font preuve d'un engagement et d'un dévouement absolument remarquables, dans des conditions difficiles qui imposent de se poser la question de leur souffrance au travail – j'aurai l'occasion d'en reparler.

Je reviens à ma « petite annonce ». Pourquoi ai-je parlé d'un « élève sérieux » ? C'est que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a déjà largement contribué à l'effort de réduction de la dépense publique : il a perdu 30 % de ses effectifs en dix ans, ce qui est quand même considérable. Peu de ministères peuvent en dire autant. Pourquoi faut-il des « solutions innovantes » ? Parce que le monde change, de même que les outils et les méthodes. Le ministère a un peu évolué, c'est vrai, mais je trouve qu'il est très optimiste de parler de « révolution numérique », madame la présidente : je n'ai pas encore vu une telle révolution au sein de ce ministère – il y a vraiment beaucoup de marge… Parfois, on manque aussi un peu d'audace, y compris sur le plan budgétaire, mais cela ne relève pas que du ministère. En quoi s'agit-il de « relever un défi » ? Le monde change, je l'ai dit : si l'on ne s'adapte pas, il va devenir compliqué d'être compétitif et efficace – car on peut parler de compétition dans le domaine de la diplomatie, j'y reviendrai peut-être à propos de la mutualisation de nos emprises. Enfin, pourquoi le « pronostic vital » est-il engagé ? Quand on est maigre, ce qui est le cas de ce ministère, prolonger son régime finit par être très dangereux. Nous ne sommes pas loin d'en être là : il est important de le souligner.

Mon rapport va au-delà de la simple analyse comptable, mais je vais commencer par vous dire quelques mots du budget en lui-même. La difficulté est que les chiffres varient dans des proportions considérables par rapport à ceux de l'an dernier – il y a 50 % de crédits supplémentaires ici, et 20 % en moins ailleurs – à cause d'aménagements purement comptables qui rendent la lecture du budget et l'établissement des comparaisons extrêmement difficiles à réaliser. Je ne vais donc pas vous assommer de chiffres inutiles, et vite oubliés.

La diplomatie, rassurons-nous, pourra continuer à fonctionner, mais je me pose la question du périmètre des missions confiées aux ambassadeurs. Certains de nos collègues ont présenté un rapport très intéressant qui évoque la possibilité d'engager une diplomatie écologique : je suis tout à fait réceptive à cette idée, mais je ne vois pas, très honnêtement, comment on peut la mettre en oeuvre. J'ai en effet un « scoop » : malgré le décalage horaire, les journées de nos ambassadeurs durent 24 heures partout dans le monde. Il y a donc un léger problème.

Nos contributions aux organisations internationales, qui relèvent du programme 105, vont sensiblement se réduire, notamment du fait de la baisse des montants alloués aux opérations de maintien de la paix – elles représentent 48 % de nos contributions internationales au titre de ce programme, ce qui est quand même assez important.

En ce qui concerne nos consulats, la situation sera à peu près la même en 2019 que l'an dernier : elle va rester tendue car les effectifs et les moyens sont extrêmement restreints. Je pense au cas d'une consule qui est obligée de parcourir 400 kilomètres, dans les deux sens, pour acheter des cartouches d'encre qui coûtent trop cher là où elle est en poste – elle est donc obligée d'aller dans le pays voisin pour se les procurer. Cela vous donne une idée de la manière dont nos consulats peuvent travailler.

Au-delà des mouvements comptables que j'ai évoqués, l'écueil principal est la mesure de la performance. Sait-on si ce budget est efficace ou non ? C'est une question que l'on peut se poser. Il y a des indicateurs, on fait du chiffre, ce qui est bien, mais on ne mesure pas la totalité de la performance du réseau. Comme je l'ai déjà indiqué l'année dernière, un indicateur efficace et performant doit être « SMART », c'est-à-dire spécifique, mesurable, atteignable, réaliste et temporellement défini. Or on en est loin avec les indicateurs existants. Je vais redonner un exemple que j'ai déjà évoqué l'an dernier et qui me fait beaucoup sourire. Comment mesure-t-on si les Français à l'étranger sont en sécurité ? On regarde combien de fois ils ont double-cliqué sur des fiches « Conseils aux voyageurs ». Personnellement, je ne me sens pas plus en sécurité quand j'ai cliqué deux fois plutôt qu'une, mais le ministère a l'air de considérer que ce critère est pertinent. Je crois, cette année encore, que l'on peut remettre en question les indicateurs : ils me semblent toujours aussi peu significatifs.

Ce qui serait utile serait d'arriver à mesurer réellement l'influence de notre pays. On peut notamment le faire en s'intéressant au nombre de fonctionnaires français en poste dans les organismes internationaux – c'est un chiffre qui existe. Peut-on mesurer, en revanche, la performance en fonction du nombre de télégrammes qu'un ambassadeur envoie en France ? Je n'ai rien contre notre ambassadeur bilatéral à Bruxelles, bien entendu, mais j'espère que Paris reçoit des informations de cette capitale plus vite que par les télégrammes envoyés par notre ambassadeur, compte tenu de la proximité qui existe et des moyens dont on dispose maintenant.

Le facteur « temps » est un autre élément très important à prendre en compte pour appréhender le fonctionnement de notre diplomatie et de notre réseau consulaire. Ce sont, en effet, des métiers profondément humains qui nécessitent du temps. Or cela n'apparaît jamais dans les indicateurs, sauf quand on calcule le nombre d'actes réalisés par jour, c'est-à-dire marginalement, ce qui est extrêmement regrettable. Vous savez qu'il existe, en particulier, des « tournées consulaires » au cours desquelles les consuls se rendent dans des territoires éloignés, notamment pour recueillir des demandes de renouvellement de passeports, par exemple de la part d'une personne très âgée qui résiderait dans le Sud du Japon, très loin du consulat de Tokyo – comme il n'y en a plus à Kyoto, le consul va à la rencontre de cette personne. Le temps consacré à une telle activité n'est pas comptabilisé, pas plus que le nombre de tournées consulaires. On sait qu'il y en a, mais on n'a aucune idée de leur nombre ni du temps que cela représente. C'est d'autant plus dommage qu'il s'agit d'un travail important qui est réalisé au service des communautés françaises.

Je pense qu'il faut revoir les indicateurs existants et en envisager de nouveaux, notamment afin de suivre la mise en oeuvre de la réforme en cours – on n'a jamais pu le faire pour les précédentes.

Il existe une approche idyllique : on doit améliorer la qualité des services publics, ce qui est un vaste programme, offrir un environnement de travail modernisé – je peux vous dire qu'on en est vraiment très loin – et enfin accompagner la baisse des dépenses publiques. Tout cela est parfait, ce sont de beaux objectifs, mais concrètement cela se traduira en 2019 par l'application d'un couperet : il est prévu de réduire la masse salariale des réseaux de l'État à l'étranger de 10 % sur quatre ans. Je tiens à préciser que cela ne concernera pas le budget des écoles françaises à l'étranger, ce qui est très important – Frédéric Petit reviendra peut-être sur ce point –, mais cette réduction de 10 % de la masse salariale doit s'appliquer à tous les emplois dans nos postes à l'étranger, y compris ceux qui ne dépendent pas du Quai d'Orsay – cela représente 25 % du total. Tout cela est fait dans une certaine précipitation : nos ambassadeurs doivent donner un avis sur les postes à supprimer d'ici au 4 novembre. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : on ne va pas réduire les salaires, mais couper des têtes. Il manque une vision rationnelle et une association des agents à la réflexion. En revanche, comme notre présidente l'a rappelé, les ambassadeurs auront désormais une vue globale : ils exerceront un vrai pilotage sur la totalité des agents en poste, comme je l'avais demandé l'année dernière.

Je vais aller vite sur les autres points, car je vois qu'il me reste peu de temps. Il y a quand même des motifs de satisfaction : l'adaptation des formats, l'universalité du réseau, qu'il faut préserver, le système des « bureaux de France », qui me paraît tout à fait intéressant, ainsi que la réalisation de progrès indéniables dans le domaine des services consulaires, même s'il y a un problème de performance du côté des outils informatiques. Leur durée de vie dans nos consulats est de douze ans, en moyenne – il y a plus neuf, mais aussi plus vieux. Qui, parmi nous, utilise encore un logiciel aussi âgé ? La souffrance au travail des agents, que j'ai évoquée tout à l'heure, est vraiment considérable.

En ce qui concerne l'avenir, je crois qu'il faut repenser la diplomatie et revoir son périmètre. Quand on arrive à l'os, il y a un moment où il faut se séparer de certaines missions : on pourrait se recentrer sur l'humain, la politique et l'économique, tout en s'interrogeant peut-être sur le reste. Il faut aussi faire appel plus souvent à des acteurs privés et envisager des mutualisations, comme on l'a fait cette année pour les fonctions « support ». Il est possible d'aller plus loin : dans le domaine de la diplomatie économique, par exemple, le Quai d'Orsay et Bercy se marchent un peu sur les pieds, et l'on pourrait donc réfléchir à une meilleure articulation.

On pourrait aussi avoir plus fréquemment recours à des employés de droit local : il y a des pays où cela représente un surcoût, mais d'autres où c'est moins cher. Il faut savoir qu'il y a environ 46 % d'employés de droit local dans nos représentations diplomatiques et consulaires, contre 60 % chez nos voisins allemands et britanniques. Autre exemple, j'ai pu constater récemment que l'ambassadeur d'Indonésie était accompagné par un Français lorsque je l'ai rencontré. On peut tout à fait recourir à des employés locaux ou à des Français employés localement afin de remplir certaines missions. Au-delà de cette question, le statut d'expatrié pose question en Europe : si nous appartenons à un grand ensemble commun, on s'expatrie quand on en sort, mais je ne vois pas en quoi on est expatrié quand on est un Français en Allemagne.

Il faut repenser les services consulaires en prenant en compte le temps passé, je l'ai dit, mais aussi en rénovant les outils informatiques et en préservant une fonction que l'on peut appeler la « place du village » : il y a quelques années encore, le consulat était vraiment un endroit où l'on se retrouvait. On s'y rendait sans rendez-vous, et l'on y croisait des gens que l'on n'avait pas vus depuis longtemps : c'était vraiment une place de village. Pour des raisons d'efficacité, il faut maintenant prendre rendez-vous, et l'on ne peut plus rencontrer par hasard une connaissance. On a donc perdu la fonction de « place du village », ce qui est un peu regrettable. Il faut tout de même veiller à conserver l'essentiel, c'est-à-dire la délivrance des passeports et des visas ainsi que l'aide sociale. On doit aussi améliorer les conditions de travail, dont j'ai déjà dit un mot.

Enfin, il faudrait peut-être améliorer la visibilité de notre réseau : je ne suis pas sûre que vous connaissiez tous très bien, vous qui n'êtes pas des députés des Français établis hors de France, ce qui se passe dans nos postes consulaires et diplomatiques, combien une telle présence française est essentielle et à quel point ces agents contribuent à faire vibrer le mot « France » à l'étranger. C'est important : quand on a besoin de développer des partenariats ou de trouver des appuis dans une organisation internationale, c'est le travail de fourmi réalisé en amont, au fil du temps, qui permet d'assurer notre réussite.

De manière globale, je voudrais souligner que ce budget a, malgré tout, été maintenu. Si j'ai mis en avant des pistes d'amélioration, je vois bien aussi qu'il y a une volonté d'avancer et que, très honnêtement, les agents font ce qu'ils peuvent avec le peu de moyens dont ils disposent. Sauf sur certains points que j'ai indiqués, le problème ne se situe pas tant au Quai d'Orsay que sur le plan budgétaire : on est dans un cadre contraint, et ce budget prend sa part de l'effort demandé. Il va maintenant falloir réfléchir à la manière dont on peut aller plus loin.

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