Intervention de Frédéric Petit

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Petit, rapporteur pour avis :

Je ne vais pas vous proposer stricto sensu une synthèse de mon rapport : je ferai plutôt le point sur une méthode et sur des convictions.

En ce qui concerne d'abord la méthode, je remercie de nouveau Mme la présidente de la commission : il est très important que nous ayons pu assumer nos fonctions de rapporteur tout au long de l'année. Cela a permis de dépasser les difficultés de communication que notre collègue Maurice Leroy a évoquées. Cela a permis également de s'organiser et de mettre en cohérence et en perspective les éléments de l'ensemble du programme. J'ai même parfois posé des questions sur la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) elle-même. Cela me paraît très important.

La méthode que j'ai mise en oeuvre s'appuie sur le terrain, en commençant par celui de ma circonscription. Je connais les seize pays de ma circonscription et les vingt-neuf écoles qu'on y compte, où je passe des heures à discuter – parfois en affrontant la contradiction –, à rencontrer les conseillers consulaires, qui par définition sont d'opposition puisqu'ils ont été élus avant que la majorité actuelle ne se dégage, à discuter avec les syndicats.

C'est une méthode anti-fake news – et j'insiste sur ce point. Je me suis constitué des bases de données extrêmement précises. Il est important d'en disposer quand on vous dit qu'il y a tant d'instituts français dans tel ou tel pays, qu'une alliance française ou un lycée français fonctionnent de telle ou telle manière. Ces documents sont à votre disposition. Nos administrations ne communiquent pas de tels éléments globaux, qui sont pourtant très importants.

Enfin, toujours s'agissant de la méthode, je me suis concentré cette année sur le titre 2, sujet sur lequel j'avais un peu fait l'impasse l'an dernier, parce qu'il est complexe. J'ai donc demandé beaucoup de renseignements sur le personnel, aspect qui, dans le programme dont je suis chargé, représente 74 millions – pour 625 millions hors titre 2. Il était important de commencer à dérouler le fil, afin de savoir qui encadre quoi, combien de personnes sont dans l'administration centrale, qui elles encadrent, et qui est déployé dans le réseau.

Cette méthode a enrichi des convictions. Pour commencer, qu'est-ce que ce programme ? Il est amusant de voir à quel point, tout à l'heure, nous avons mélangé les questions relevant de la diplomatie et celles relevant de la diplomatie d'influence.

Je vous ferai part de ma profonde conviction : on devrait appeler ce programme « Présence active de la France dans le monde ». En effet, nous avons une diplomatie que je qualifierais de « formelle », avec des ambassadeurs qui sont en quelque sorte des généralistes – j'y reviendrai plus tard –, et puis nous avons une présence active de la France, des Français et des francophiles, et c'est là le grand défi qui se présente à notre administration : ce n'est plus du colonialisme, ce n'est plus la « Françafrique », nous devons inventer des formes de partenariat, non pas parce que c'est moins cher, comme on le dit parfois, mais parce que c'est comme cela que le monde fonctionne aujourd'hui. Notre culture française et la culture de notre administration ne sont pas toujours adaptées, n'ont pas opéré partout cette révolution copernicienne qui consiste à travailler vraiment en partenariat et à promouvoir les partenariats.

Il faut également avoir une définition claire du service public au XXIe siècle : quel est son rôle ? Quand doit-il avoir un effet de levier ? On parle beaucoup du réseau de l'AEFE. Or je vous rappelle que, pour une subvention d'un peu moins de 400 millions, le réseau des écoles françaises à l'étranger coûte 2,3 milliards. Autrement dit, la différence vient d'ailleurs – en l'occurrence des pays où les établissements sont installés, des familles et de différents partenaires. Comment notre administration gère-t-elle cet état de fait et procède-t-elle à l'harmonisation ? Où le rôle du service public s'arrête-t-il pour les lycées français ? La réponse est très simple : l'outil de service public, c'est l'homologation.

La question n'est pas de savoir si nous sommes propriétaires du lycée ou non, si les enseignants sont payés par l'éducation nationale ou non. Dans le cas de l'éducation, le véritable outil de notre diplomatie, c'est l'homologation. Je rappelle que 85 % des lycées français à l'étranger sont privés. À travers l'homologation, on dit à un lycée, après un an, deux ans, trois ans d'existence : « Oui, vous respectez les conditions, y compris du point de vue de la gouvernance : vous êtes homologué » – ce qui veut dire qu'un enfant sortant de la classe de CM1 de cet établissement pourra entrer au CM2 à Saint-Germain-en-Laye ou à Metz, et inversement. Voilà quel est le rôle du service public. Pour le reste, on peut soit investir nous-mêmes soit nouer des partenariats.

Dans le programme 185, on ne se bat pas avec la pénurie. Je l'ai constaté en Israël et en Palestine, par exemple, où les moyens alloués sont considérables, parce qu'il le faut. Je le constate, par ailleurs, dans la possibilité de redéployer l'audiovisuel en fonction des besoins – il n'est pas nécessaire de multiplier les crédits quand il y en a déjà ailleurs. Le rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française ne nécessite pas de gros moyens supplémentaires.

Ce programme, je le répète, ne gère pas la pénurie. En revanche, il présente un défaut de pilotage et d'harmonisation des crédits, lesquels sont parfois disséminés. Notre administration doit opérer une révolution et engager des partenariats. J'insiste donc sur la nécessité de mettre en cohérence l'ensemble des actions : il faut un pilotage commun et une mise en adéquation avec les enjeux de notre diplomatie. J'évoque ainsi, dans mon rapport, la définition de zones prioritaires. À cet égard, je souscris tout à fait aux propos d'Anne Genetet : notre diplomatie d'influence ne peut avoir ni le même aspect ni les mêmes objectifs dans les pays de l'espace européen et dans les autres – par exemple dans les pays du G5 Sahel ou, plus largement, dans les pays bénéficiant de l'aide publique au développement.

Je voudrais insister sur trois sujets qui constituent le coeur de mon rapport. Premièrement, la révolution numérique. Je considère que nous sommes passés complètement à côté. Quand j'entends dire qu'il y a un responsable informatique qui travaille très bien au ministère, je ne peux m'empêcher de penser que ce n'est pas ainsi qu'on fait la révolution numérique. Certains d'entre nous qui ont travaillé à l'informatisation de grosses structures humaines peuvent en témoigner : on est passé à côté de la révolution numérique. On peut se rattraper, mais il faut vraiment s'y mettre, en commençant par travailler avec les structures existantes – notamment les chambres de commerce internationales. Il faut opérer une reconfiguration. Comme j'avais coutume de le dire quand j'étais en entreprise, la révolution numérique commence en mettant les informaticiens dehors : il faut d'abord se poser les bonnes questions entre non-informaticiens, et ensuite seulement on les fait venir pour leur dire ce qu'on veut. Or ce n'est pas ce qui a été fait.

Deuxièmement, il y a la gestion des ressources : il faut veiller à ce que la bonne personne se trouve au bon endroit à la bonne période – aussi bien du point de vue de la date que de la durée. On a parlé tout à l'heure du programme 105 et du métier d'ambassadeur. Pour moi, l'ambassadeur est un généraliste. Il n'est pas nécessaire qu'un ambassadeur reste plus longtemps s'il se trouve dans une zone de conflit ou s'il fait de la diplomatie écologique. En revanche, il existe des métiers spécialisés, dont Jacques Maire a dit – et je rejoins tout à fait ses propos – qu'ils avaient été cannibalisés parce qu'il fallait maintenir le coeur de métier. J'ajoute que ce n'est pas forcément un généraliste qui doit gérer les experts, ni même d'ailleurs des enseignants.

Nous devons avoir une diplomatie formelle, dans le cadre du programme 105, celle qui relève du métier de diplomate – je rejoins aussi Jean-Paul Lecoq à cet égard –, mais également, à l'intérieur de notre diplomatie d'influence – ce que j'ai appelé la « présence active de la France » –, la gestion sur le long terme de compétences spécifiques, avec des durées spécifiques. Si on se lance un jour dans la diplomatie écologique et qu'on développe un projet qui doit durer cinq ans, la personne qui en sera chargée devra rester pendant tout ce temps : il ne faudra pas lui dire de repartir au bout de trois ans. Des structures et des manières d'embaucher différentes devront donc exister.

Un mot, en passant, sur le STAFE : il est normal, cher collègue Meyer Habib, que nous ne soyons pas consultés, puisque nous avons voulu que le système soit indépendant des élus politiques. Pour ma part, je n'ai pas été consulté, et j'en suis fier. J'ai simplement signalé aux associations l'existence du système.

Troisièmement, et pour conclure, j'ai effectué une mission au Proche-Orient pour vérifier ce que faisait notre diplomatie culturelle et d'influence en zone de conflit. Je me suis ainsi rendu à Jérusalem-Ouest et à Jérusalem-Est, à Tel-Aviv et dans les territoires palestiniens. J'ai donc vu ce que j'appelle dans mon rapport les « deux côtés de la haine », et pu examiner nos investissements et étudier la manière dont ils sont réalisés. J'ai ainsi constaté que notre diplomatie d'influence est bien présente dans cette zone, et que sa présence est à la hauteur de ce qu'il faut, alors même que la diplomatie est actuellement bloquée. Je voudrais d'ailleurs, pour ce qui est de la méthode de notre discussion, que nous parlions bien du sujet qui est le nôtre ici, c'est-à-dire la diplomatie d'influence en zone de crise : il ne s'agit pas de la crise du Proche-Orient en elle-même, car nous pourrions en discuter longtemps. Concentrons-nous sur ce que fait notre diplomatie d'influence dans une zone de crise.

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