Intervention de Amélia Lakrafi

Réunion du mardi 20 novembre 2018 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAmélia Lakrafi, rapporteure :

Mes chers collègues, je vais vous présenter un accord que nous avons signé en juin 2016 avec le Nigéria, et qui porte sur la coopération dans le domaine de la défense. Pour mémoire, la France a signé des accords de ce type avec de nombreux pays d'Afrique depuis 2010 : Comores, Togo, Sénégal, Djibouti, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Mali…

De manière générale, ces conventions répondent à notre volonté de refonder notre relation militaire avec l'Afrique sur un mode partenarial, avec, pour objectif ultime, d'aider les pays d'Afrique à assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Dans cette nouvelle approche, il y a aussi l'idée que la France doit sortir de ses zones d'influence traditionnelles, pour avoir une approche plus globale de l'Afrique.

Avec le Nigéria, cette approche est plus que pertinente. Je rappelle que ce pays est le plus peuplé et le plus riche d'Afrique subsaharienne, avec près de 200 millions d'habitants et un PIB de 400 milliards de dollars. La richesse du Nigéria repose encore beaucoup sur les hydrocarbures (pétrole et gaz), mais il a amorcé une diversification économique dans le secteur des services. Le pays compte déjà 22 milliardaires et 34 000 millionnaires. Même si la richesse est très inégalement répartie, cela donne une idée de son potentiel, qui est considérable.

Mais le Nigéria est un géant aux pieds d'argile. Il est empêtré dans des problèmes sécuritaires multiples : terrorisme, avec Boko Haram qui sévit toujours dans les Etats du Nord du pays, violents conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la région de la Middle belt, séparatisme biafrais, piraterie maritime dans le Golfe de Guinée…

Il se trouve que ces préoccupations rejoignent en partie les nôtres : la France est engagée militairement dans la lutte contre le terrorisme islamiste en bande sahélo-saharienne, juste au nord du Nigéria. Notre marine nationale est présente en permanence dans le Golfe de Guinée, avec la mission Corymbe. Les militaires français se trouvent aussi un peu plus à l'est, en Centrafrique, et au Sud, au Gabon.

Le Nigéria apparaît donc comme un partenaire incontournable pour nous dans cette région du monde. Et pourtant, lorsqu'on regarde l'historique de notre coopération de défense, on est surpris de constater que cela se résume à très peu de choses. En réalité, avant 2014, nous n'avions pratiquement aucun échange avec le Nigéria dans ce domaine. Ce terrain était entièrement abandonné aux Américains et aux Britanniques.

Nous avons commencé à nous rapprocher dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, notamment par des échanges de renseignement. Ce soutien a reçu un accueil très favorable du Nigéria. J'ai rencontré l'ambassadrice du Nigéria en France et j'ai constaté à quel point les Nigérians sont en demande pour développer la coopération avec nous, à côté de ce que font déjà les Britanniques et les Américains. Ils veulent notamment que nous les aidions à coopérer avec leurs voisins francophones : nous le faisons en développant l'enseignement du français en milieu militaire. Ils veulent aussi qu'on les aide à développer leurs capacités maritimes. L'ambassadrice me l'a dit sans ambiguïté : le Nigéria aspire au même niveau de coopération avec la France que celui que nous avons avec les pays du G5 Sahel.

Je pense qu'il est urgent que nous répondions à cet appel. Le développement de notre coopération de défense aura des effets bénéfiques dans tous les domaines, y compris économiques. Nous ne devons pas ménager nos efforts et laisser la place à d'autres. Nos partenaires ne se gênent pas pour venir nous concurrencer dans nos zones d'influence traditionnelles, nous devons de notre côté résolument nous tourner vers l'Afrique anglophone.

Et c'est ce que nous faisons avec cet accord. Que dire de son contenu ? Sans entrer dans les détails, que vous trouverez sans difficulté dans le rapport et dans l'étude d'impact, l'accord prévoit un cadre juridique global pour toutes nos actions de coopération de défense, du conseil de haut niveau aux exercices militaires conjoints. Il institue un statut juridique protecteur pour les forces présentes sur le territoire de l'autre partie, dans le but de faciliter et de stimuler cette coopération.

Quel est l'intérêt de cet accord ? En premier lieu, je viens d'en parler, il apporte une sécurité juridique pour nos forces, qui sera une bonne incitation à la coopération. Mais l'intérêt est aussi politique. Cet accord permet de donner un statut officiel à notre partenariat stratégique avec le Nigéria, il donne une impulsion politique.

Cette impulsion politique est-elle réciproque ? Notre ambassade à Abuja nous indique que la dynamique de coopération est bonne. Néanmoins, pour le moment, les Nigérians n'ont toujours pas ratifié cet accord, et nous ne savons pas quand ils le feront. Il faut dire que le contexte intérieur est actuellement un peu compliqué, avec les défis sécuritaires que je mentionnais et la perspective de l'élection présidentielle, prévue en février 2019. Le Président Buhari est candidat à sa propre succession et a lancé sa campagne la semaine dernière, mais il est très contesté.

Quelle qu'en soit l'issue, la ratification de cet accord par la France sera un signal politique adressé au prochain Président : cela me semble important. C'est la raison pour laquelle je vous encourage vivement à voter en faveur de ce projet de loi.

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