Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du mercredi 28 novembre 2018 à 10h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Je suis heureuse que nous ayons l'occasion de débattre du Brexit. Vous l'avez dit, monsieur le président, une étape importante a été franchie dans le processus de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne lorsque, dimanche dernier, les chefs d'État et de gouvernement ont approuvé le projet d'accord de retrait et la déclaration politique sur le cadre des relations futures. Je rappelle en préambule que le Brexit est fondamentalement une mauvaise nouvelle – pour le Royaume-Uni sans aucun doute et aussi pour l'Union européenne. Mais, comme l'a souligné Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, l'accord de retrait est le meilleur possible. Nous le devons à l'engagement sans faille de Michel Barnier, qui a négocié au nom des Vingt-Sept avec beaucoup de compétence et un grand souci du dialogue avec les États membres et avec le Parlement européen. Nous le devons aussi à l'unité des Vingt-Sept, préservée tout au long de la négociation, jusque dans les dernières heures, quand une difficulté est apparue au sujet de Gibraltar dans l'interprétation de l'accord de retrait ; à aucun moment les vingt-sept États membres de l'Union européenne ne se sont dissociés, ni sur le mandat de négociation, ni sur le résultat final, ce qui est assez remarquable.

C'est le meilleur accord possible parce qu'il protégera les droits de nos concitoyens qui résident au Royaume-Uni, en leur permettant de continuer à y vivre, à y travailler et à y étudier dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. C'est un bon accord parce qu'il assure la protection des intérêts financiers de l'Union : le Royaume-Uni s'acquittera des obligations qu'il a souscrites durant toute la période pendant laquelle il aura été un État membre. Ces obligations résultent notamment des engagements pris au titre du cadre financier pluriannuel en cours, de la Banque européenne d'investissement, de la Banque centrale européenne et de la participation à certaines « facilités » et politiques de l'Union. C'est un bon accord parce que l'application temporaire du droit de l'Union au Royaume-Uni à compter de son retrait et jusqu'au 31 décembre 2020 au moins assurera une transition sans heurt vers le régime futur. C'est un bon accord, enfin, parce qu'en cas d'absence d'accord sur la relation future, la mise en place, après la fin de la période de transition, d'une union douanière entre le Royaume-Uni dans son entier et l'Union européenne, assortie d'un alignement réglementaire de l'Irlande du Nord sur l'Union, permettra d'éviter le rétablissement d'une frontière physique sur l'île d'Irlande.

L'accord est donc bon, mais il ne s'agit que d'une étape et nous sommes loin de la fin du processus. La déclaration politique relative au futur partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni qui a été approuvée ne fait qu'esquisser les contours d'une relation future ambitieuse, sans comparaison avec les autres partenariats conclus par l'Union. L'Union européenne et le Royaume-Uni s'engagent à conclure un ensemble d'accords : partenariat économique, partenariat en matière de sécurité et accords sectoriels. Les négociations en vue de la conclusion de ces accords débuteront une fois que le Royaume-Uni sera sorti de l'Union, en principe, donc, le 30 mars 2019, sur la base de mandats qui seront adoptés par le Conseil européen. Dans le cadre de ces négociations, le Conseil sera particulièrement vigilant dans deux domaines qui sont des priorités pour la France. C'est d'abord le maintien de conditions de concurrence équitables entre entreprises britanniques et entreprises européennes, notamment en matière de normes environnementales. D'autre part, le Conseil européen veillera à la protection des entreprises de pêche et des communautés côtières vivant de la pêche ; la déclaration rappelle qu'un accord de pêche devra être négocié d'ici juillet 2020, bien avant la fin de la période de transition, et qu'il devrait reposer, entre autres paramètres, sur l'accès réciproque aux eaux des deux parties et sur les parts de quotas de pêche existants. C'est une très forte priorité pour la France, et elle est partagée par le Conseil européen. Telles sont les perspectives de la relation future.

L'accord de retrait lui-même doit encore être ratifié par l'Union européenne et par le Royaume-Uni avant le 29 mars 2019. Le Parlement britannique est appelé à se prononcer le 11 décembre prochain. Je me garderai de spéculer sur l'issue de ce vote, mais il paraît raisonnable de dire que la ratification est aujourd'hui incertaine. Pour autant, les arguments de la Première ministre britannique sont forts : un Brexit sans accord serait désastreux d'abord pour le Royaume-Uni, et il n'existe pas d'autre accord possible que celui qui a été négocié.

Il reste, quoi qu'il advienne, indispensable de nous préparer à tous les scénarios, y compris celui d'un Brexit sans accord et donc sans période de transition, pour en limiter les conséquences. C'est ce que le Conseil européen a recommandé aux États membres comme à la Commission européenne, dès le mois de mars dernier. Une équipe ad hoc a été constituée au sein du secrétariat général de la Commission, chargée d'identifier les mesures qui devront être prises en cas de retrait sans accord dans les domaines qui relèvent de la compétence de l'Union : les droits des citoyens, les services financiers, les transports, les contrôles douaniers et sanitaires, la protection des données personnelles et le climat notamment. Le 13 novembre, la Commission a présenté son plan d'action en cas d'absence d'accord. Elle énumère cinq principes transversaux applicables aux mesures de contingence ; ils ont également inspiré le Gouvernement français au moment de la rédaction du projet de loi qui vous est soumis et nous guideront dans la rédaction des ordonnances.

Pour commencer, les mesures de contingence ne doivent pas être aussi avantageuses pour le Royaume-Uni que l'appartenance à l'Union et la période de transition. Temporaires, elles ne doivent pas s'appliquer, en principe, au-delà de 2019. Unilatérales, elles pourront être révoquées à n'importe quel moment par l'Union. Ces mesures devront respecter la répartition des compétences entre l'Union et les États membres. Enfin, elles ne peuvent se substituer à l'effort de préparation que doivent consentir les opérateurs économiques. Afin d'assurer une coordination satisfaisante entre les États membres et avec la Commission européenne, des séminaires sectoriels se tiennent en ce moment même. Á l'échelon national, il est de notre responsabilité collective, à commencer par celle du Gouvernement, de nous préparer à toutes les hypothèses, y compris celle d'un Brexit sans accord, et d'être prêts, sur le plan technique, si cette hypothèse se vérifiait à la fin d'année ou plus tard encore, si la Chambre des Communes refusait de ratifier un accord de retrait.

C'est l'objet du présent projet de loi, présenté le 3 octobre dernier en Conseil des ministres, adopté par le Sénat le 6 novembre et soumis à l'examen de votre commission spéciale, par lequel le Gouvernement sollicite l'habilitation du Parlement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires – pour certaines en cas d'accord de retrait, pour les autres, les plus nombreuses, en cas d'absence d'accord – dans trois domaines : la situation des ressortissants français et, de manière générale, les intérêts français ; la situation des Britanniques en France ; la circulation des personnes et des marchandises.

Pour ce qui concerne les Français vivant au Royaume-Uni et qui reviendraient en France, ces mesures visent à permettre, en cas de retrait sans accord et afin de protéger leurs intérêts, de prendre en compte certains bénéfices acquis au Royaume-Uni avant la date du retrait – par exemple, pouvoir faire valoir leur période d'activité outre-Manche dans le calcul de leur pension de retraite en France, ou continuer de se prévaloir en France de diplômes obtenus au Royaume-Uni. S'agissant de la défense des intérêts français, le projet de loi permettra la poursuite de transferts de produits et matériels de défense à destination du Royaume-Uni. Il permettra aussi à des entités françaises d'accéder au Royaume-Uni au système de règlement interbancaire et de règlement livraison de pays tiers, de continuer à utiliser des conventions-cadres en matière de services financiers et encore de sécuriser les contrats existants. En effet, même si les entités britanniques n'ont plus accès au passeport financier européen après le Brexit, il est souhaitable que les contrats en cours puissent aller à leur terme et que l'accès des entreprises françaises au marché des changes britannique soit maintenu.

Concernant la situation des Britanniques en France après le retrait du Royaume-Uni de l'Union, les mesures proposées visent notamment à régir les droits d'entrée et de séjour, l'emploi de ressortissants britanniques exerçant à la date du retrait une activité professionnelle salariée en France, la situation des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique française de nationalité britannique, ou encore l'application aux ressortissants britanniques résidant en France au moment du retrait de la législation relative aux droits sociaux et aux prestations sociales. Notre objectif est d'être le plus généreux possible, en prenant naturellement en considération le statut accordé par le Royaume-Uni à nos ressortissants sur son territoire. De façon générale, le Gouvernement recherche une forme de réciprocité entre les mesures nationales françaises et britanniques, réciprocité qui devra s'apprécier largement et non par une équivalence stricte, compte tenu de la différence de nos systèmes. Pour laisser une marge de manoeuvre au Gouvernement, le projet de loi ne doit donc pas être trop spécifique.

S'agissant de la circulation des personnes et des marchandises, les mesures proposées doivent permettre d'assurer la continuité du transport par le tunnel sous la Manche et de procéder aux nécessaires contrôles des marchandises venant du Royaume-Uni sur notre territoire sans porter atteinte à la fluidité du trafic. Certaines mesures pourront devoir être prises même au cas où l'accord de retrait serait ratifié – en vue de la réalisation de travaux de construction ou d'aménagement de locaux, d'installations ou d'infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routières requis d'ici la fin de la période de transition – dès lors que le partenariat futur prévoirait le rétablissement de contrôles de marchandises et de passagers à destination et en provenance du Royaume-Uni. C'est l'objet de l'article 3 du projet de loi. La rédaction souhaitée par le Gouvernement est, j'en conviens, relativement large. Cette marge de manoeuvre est essentielle pour réaliser l'ensemble de ces aménagements, en particulier dans des ports jusqu'alors habitués à gérer le commerce intra-communautaire et qui seront confrontés à des problématiques nouvelles. Il y va de la compétitivité de nos infrastructures dans un secteur hautement concurrentiel, alors que les ports français vont brutalement passer du traitement de biens venant presque exclusivement de pays membres du marché unique au traitement de biens venant d'un pays tiers.

Je le redis : j'ai pleinement conscience que le recours aux ordonnances n'est pas la voie de prédilection des parlementaires. Mais le choix de l'habilitation, par la flexibilité qu'il introduit, est indispensable au regard de l'ampleur des enjeux, inédits, que nous devons traiter. L'urgence nous est imposée, l'échéance du 30 mars 2019 étant proche et les conditions du retrait encore lourdes d'incertitudes, nous devrons en particulier pouvoir ajuster notre dispositif en fonction des mesures prises par le gouvernement britannique, par la Commission européenne pour ce qui relève de ses compétences, par les autres États membres pour ce qui les concerne.

Le Gouvernement est conscient du juste équilibre à trouver entre l'exigence constitutionnelle de précision de l'habilitation prévue par l'article 38 de la Constitution d'une part, le niveau de flexibilité imposé par le contexte de la ratification d'autre part. Du point de vue du Gouvernement, le Sénat est allé un peu trop loin sur quelques points dans sa volonté d'encadrer l'action de l'exécutif. Puisque le processus de ratification de l'accord de retrait va s'engager, nous devons en tirer toutes les conséquences : d'abord, en veillant, comme Michel Barnier l'a expressément demandé aux États membres, à ce que les mesures prévues en cas d'absence d'accord ne soient pas plus favorables que celles qui ont été négociées dans l'accord de retrait ; ensuite, en ne dévoilant pas, à ce stade, les mesures précises que nous prendrions. Cette double obligation implique de revenir sur certains ajouts souhaités par le Sénat. Enfin, en cas d'absence d'accord, nous nous concerterons aussi avec les Britanniques sur nos mesures nationales réciproques, après avoir avancé avec la Commission européenne et avec les autres États membres. Mais nous n'en sommes pas là. Toute intervention directe du Royaume-Uni dans votre procédure parlementaire nous semblerait donc déplacée, et potentiellement contraire à nos intérêts nationaux, dont la défense est la raison d'être de ce projet de loi d'habilitation.

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