Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du mercredi 28 novembre 2018 à 10h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Daniel Fasquelle s'est inquiété du sort des marins-pêcheurs selon qu'il y aura ou qu'il n'y aura pas d'accord. En cas d'accord, les droits des marins pêcheurs européens à pêcher dans les eaux britanniques sont maintenus au moins jusqu'à la fin de la période de transition, soit jusqu'au 31 décembre 2020, et cette période peut être prolongée : nous avons entendu des membres du gouvernement britannique parler d'une prolongation unique mais jusqu'à 2022. Au-delà, le Royaume-Uni et l'Union européenne se sont engagés à négocier et à conclure un accord de pêche avant la fin du premier semestre 2020. Ce sujet sectoriel a été traité en priorité lors de la conclusion de l'accord entre l'Union et le Royaume-Uni.

En cas d'absence d'accord, des difficultés surviendront pour nos pêcheurs, pour les marins pêcheurs britanniques qui viennent pêcher dans les eaux européennes et pour le secteur de la transformation du poisson britannique qui fait vivre des entreprises, à Boulogne-sur-Mer en particulier. Un accord de pêche devra être négocié entre l'Union européenne et le Royaume-Uni puisqu'il s'agit d'une compétence communautaire, mais avant que cet accord de pêche soit conclu et entre en vigueur, les droits de pêche actuels auront disparu. Pour encourager la conclusion rapide d'un accord, nous ferons jouer le levier de l'accès au marché unique pour les marchandises britanniques, ce qui suppose également la conclusion d'un accord de libre-échange. Il n'en demeure pas moins que s'ouvrira une période difficile pour les marins pêcheurs européens. Cette priorité est pleinement mesurée par les institutions européennes et par les gouvernements des États membres. Il relèverait en priorité de la responsabilité de la Commission européenne de soutenir les marins-pêcheurs ; elle en a la capacité, et aussi les outils pour le faire en cas de difficultés imprévues, cette éventualité étant prévue dans la politique européenne de la pêche. C'est évidemment une raison supplémentaire pour essayer d'obtenir la ratification de l'accord de retrait puisque cet accord et la déclaration politique sur la relation future prennent en compte la priorité que nous accordons au secteur de la pêche.

Sur le cas spécifique de Jersey et de Guernesey, la discussion se poursuit avec la Commission européenne, dans l'optique de modifier les accords bilatéraux existants ; je ne peux à ce stade vous en dire davantage.

Les contrôles sanitaires sont évidemment d'une importance particulière, parce que nous ne voulons pas un jour importer du Royaume-Uni des animaux vivants, des produits alimentaires ou des produits agricoles qui ne correspondent pas à nos normes, et parce que nous voulons aussi que le secteur de la transformation alimentaire de produits britanniques continue de vivre dans de bonnes conditions. C'est pourquoi des vétérinaires sont recrutés. Le Premier ministre, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation et moi-même nous sommes rendus à Dunkerque pour apprécier la situation, mais il y a aujourd'hui très peu d'arrivées dans ce port de produits alimentaires en provenance d'autres pays que ceux qui constituent le marché unique. Á Dunkerque comme dans les autres ports concernés, nous préparons la construction d'infrastructures, des recrutements et des redéploiements pour garantir à la fois des contrôles sérieux et la fluidité de la circulation des produits alimentaires.

Je répondrai en bloc à tous les commissaires qui ont mentionné les accords du Touquet ou les questions migratoires. Il n'est pas tout à fait exact de dire que la question migratoire n'est pas abordée dans le projet de loi de l'habilitation : elle l'est s'agissant des ressortissants britanniques et, de même, ce sont les ressortissants européens que vise Mme May quand elle parle de reprendre le contrôle de l'immigration au Royaume-Uni. C'est ce sur quoi le référendum s'est joué pour partie, et la Première ministre indique que, en sortant du marché unique, le pays met fin aux quatre libertés du marché unique, dont la liberté de circulation des personnes. Naturellement, le projet de loi d'habilitation ne concerne que les ressortissants britanniques et la manière dont ils sont accueillis en France. Plusieurs d'entre vous se sont dits attentifs au maintien des flux touristiques de la manière la plus fluide possible compte tenu de ce que, chaque année, quatre millions de touristes entrés sur le territoire français sont des ressortissants britanniques.

Les accords du Touquet, modernisés par l'accord de Sandhurst conclu au début de l'année, sont sans lien avec l'appartenance de la France et du Royaume-Uni à l'Union européenne – d'autant que le Royaume-Uni n'est pas membre de l'espace Schengen. Considérer qu'il serait préférable que la frontière soit au Royaume-Uni plutôt qu'en France est politiquement facile, mais il faut être deux pour conclure un accord… Ce que nous avons obtenu à Sandhurst, c'est l'amélioration de la prise en charge par les Britanniques des efforts fournis par la France pour gérer le flux migratoire à destination du Royaume-Uni. Mais le Brexit sera sans effet sur cet accord bilatéral.

Vous avez rappelé, monsieur Pont, que la pêche est un secteur prioritaire, ce que nous avons réussi à faire acter par les Vingt-Sept. Nous serons donc extrêmement attentifs à ce que nos marins pêcheurs ne subissent pas des conséquences disproportionnées en cas d'absence d'accord. Si l'accord de retrait est ratifié, nous aurons le temps et la possibilité de négocier un nouvel accord de pêche dans lequel nous veillerons à la protection de la ressource. C'est évidemment un argument que les Britanniques mettent aussi en avant : protéger nos pêcheurs, c'est d'abord protéger durablement la ressource halieutique, sans quoi nous signerions un texte qui, dans une dizaine d'années, n'aurait plus aucun intérêt pour personne.

M. Bonnell et quelques autres commissaires m'ont interrogée sur les options possibles en cas de rejet de l'accord de retrait par la Chambre des Communes. Élections générales, nouveau référendum… Il ne revient évidemment pas au gouvernement français de spéculer sur les choix politiques que feront les Britanniques. Ce n'est pas l'Union européenne qui a demandé aux Britanniques de se retirer, mais eux qui ont pris cette décision. Naturellement, la porte reste ouverte et les Européens seraient évidemment prêts à considérer une nouvelle décision britannique. Nous l'avons toujours dit et continuons de le dire, même si le délai pour ce faire devient de moins en moins réaliste. La date du 29 mars 2019 est-elle un couperet absolu, se demandent peut-être certains ? Le Royaume-Uni a loisir de demander que cette date soit repoussée et les Européens peuvent l'accepter, à l'unanimité des États membres. Il y a assez peu de doute sur le fait que s'il existait une bonne raison de l'accepter, l'unanimité serait acquise. J'appelle cependant l'attention sur le fait que les élections européennes se dérouleront au cours de la dernière semaine du mois de mai 2019 ; il serait baroque qu'au terme de ces élections des députés britanniques soient à nouveau élus au Parlement européen.

Des mesures prises tardivement par les Britanniques pourraient-elles rendre trop tardif le choix de nos propres mesures ? Le dispositif britannique précise qu'une décision doit être prise, quoi qu'il arrive, avant le 21 janvier 2019. C'est effectivement tard, mais cette date nous laisse encore le temps de prendre ou de calibrer exactement les ordonnances telles que nous les souhaitons. C'est d'ailleurs une des raisons qui nous conduisent à demander au Parlement que la ratification se fasse dans un délai plus long que le délai habituel : ainsi aurons-nous un peu de recul sur la mise en oeuvre des mesures britanniques et pourrons-nous le cas échéant adapter nos propres décisions à la manière dont les décisions britanniques auront été appliquées.

Les fonctionnaires britanniques résidant en France sont inquiets. Vous nous avez donné lecture, monsieur Bouyx, d'une lettre très éloquente à ce sujet. Vous êtes nombreux à recevoir de tels courriers, et je ne peux absolument exclure que le conseil de vous écrire ait été donné… Il s'agissait cette fois d'un ressortissant britannique vivant depuis longtemps sur le territoire français avec sa famille, et il mentionne lui-même qu'un certain nombre de Britanniques prennent la nationalité française. C'est évidemment la solution la plus porteuse de promesses pour quelqu'un qui veut conserver le statut d'agent de la fonction publique française et préserver le bénéfice du concours qu'il a réussi ainsi que son avancement de carrière. Il serait évidemment très différent de passer au statut de contractuel, mais cela relève de la décision de chacun. Nul ne peut être contraint à devenir Français, mais on ne peut souhaiter conserver les avantages du statut de la fonction publique française lorsqu'on devient ressortissant d'un pays tiers, même si cela se fait contre la volonté de l'individu concerné.

M. de La Verpillière m'a interrogée sur les industries de défense, MBDA en particulier. Vous avez lu dans le projet de loi d'habilitation que nous souhaitons pouvoir poursuivre les licences d'exportation de matériel de guerre et de matériel sensible en cours jusqu'à leur expiration. Il serait évidemment absurde d'exiger des entreprises, et en particulier du très grand nombre de PME qui bénéficient de ces licences, qu'elles demandent de nouvelles licences pour des contrats en cours. La demande de licence pour l'exportation à destination d'États tiers est une procédure lourde, particulièrement pour des PME. Les grands groupes qui travaillent de part et d'autre de la Manche et dont les installations industrielles sont réparties sur le continent et au Royaume-Uni sont les premiers à souhaiter la ratification de l'accord de retrait et une relation future fluide. C'est évidemment l'engagement qui avait été pris à la fois par les gouvernements des Vingt-Sept et par le gouvernement britannique. Il revient maintenant aux membres de la Chambre des Communes de prendre conscience de l'importance pour ce secteur, comme pour d'autres – ainsi des laboratoires pharmaceutiques, souvent installés, eux aussi, de part et d'autre de la Manche – d'un accord de retrait, éminemment préférable à une absence d'accord. Il incombe aussi aux industriels de décider s'ils continuent de se partager entre le Royaume-Uni et le continent ou s'ils s'installent ou se réinstallent sur le territoire de l'Union – des décisions de ce type ont déjà été prises, qui ont fait du bruit au Royaume-Uni – pour ne pas prendre le risque de devoir faire avec des divergences réglementaires qui pénaliseront leurs activités.

Oui, madame Pouzyreff, le Royaume-Uni va sortir du ciel unique. Le système européen de gestion du trafic aérien étant une compétence communautaire, il faudra négocier un nouvel accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni dans les domaines de l'aéronautique et de l'aviation civile. Parce que la conclusion de cet accord prendra du temps, c'est encore un secteur dans lequel il serait préférable de disposer d'une période de transition. C'est une évidence pour les parlementaires français ; le mieux serait que ce le soit aussi pour les parlementaires britanniques.

La coopération en matière de sécurité intérieure sera encore meilleure si nous avons le temps de passer un accord de coopération en matière de défense et de sécurité. Cela figure dans les ambitions affirmées dans la déclaration politique sur le cadre de la relation future. Nous souhaitons continuer de coopérer étroitement avec les Britanniques, mais même si l'on en arrivait à l'aberration que serait un retrait sans accord, ayons à l'esprit que nous entretenons des coopérations étroites en matière de lutte contre le terrorisme avec les États-Unis ou la Turquie et que personne, nulle part, ne voudra dégrader la qualité de notre coopération sur des sujets qui intéressent la sécurité de nos concitoyens.

Les questions relatives au niveau de préparation britannique doivent être posées aux Britanniques ; il serait délicat pour moi de tenter d'en évaluer la qualité et le niveau. Des notices ont été publiées au fil de l'eau par les autorités du Royaume-Uni, mais certaines ne l'ont pas été, contrairement à la demande de parlementaires britanniques. C'est que le sujet est politiquement sensible, certaines préparations permettant de mesurer ce que signifie réellement une absence d'accord. C'est au gouvernement britannique de mettre sur la table l'ensemble des éléments. Des facteurs topographiques peuvent encore compliquer la situation : en particulier, il n'y a pas, à Douvres, les espaces qui sont disponibles en face, sur le continent. C'est là un fait objectif ; pour le reste, je laisserai aux autorités britanniques le soin de dire de quelle manière elles se préparent.

La question des fonctionnaires européens de nationalité britannique est peu satisfaisante, car il est de la compétence exclusive de la Commission de décider ce qu'elle fera et elle a décidé qu'ils seront maintenus dans la fonction publique européenne. Pour autant, elle n'en recrutera plus – c'est heureux – et il est plus que vraisemblable que ces fonctionnaires n'auront pas les mêmes perspectives de carrière que s'ils étaient fonctionnaires d'un État membre. Je ne peux imaginer qu'un directeur général d'institution européenne ou un dirigeant d'agence européenne soit, demain, de nationalité britannique. L'incitation à conserver cette nationalité sera donc faible – et nombreux sont ceux qui ont déjà pris une autre nationalité européenne, en particulier la nationalité belge, pour ne pas courir ce risque. Beaucoup de ces fonctionnaires sont de grand talent. Je regretterai vivement de voir partir M. Julian King, commissaire chargé de la lutte contre le terrorisme, particulièrement engagé et talentueux ; mais, bien entendu, il n'y aura plus de commissaires britanniques à l'avenir.

Vous m'avez interrogée, monsieur Anglade, sur la compatibilité entre les mesures envisagées par la Commission et celles que nous envisageons. C'est tout l'intérêt des séminaires sectoriels : ils nous permettent de calibrer précisément ce que fait la Commission pour adapter les mesures que nous allons prendre. C'est aussi l'une des raisons qui m'ont conduit à vous demander une certaine marge de manoeuvre ; nous entrons progressivement dans le détail de ce que prévoit la Commission et nous ne voulons laisser aucune zone d'ombre, au risque, sinon, de porter atteinte aux intérêts de nos concitoyens ou de nos entreprises. Les séminaires sont aussi très utiles pour savoir ce que préparent nos partenaires, qui sont parfois nos concurrents – je pense aux ports de Belgique et des Pays-Bas.

Monsieur Dumont, nous voulons des contrôles de qualité mais aussi des contrôles qui ne portent pas atteinte à la compétitivité de nos ports. Cela explique la demande de dérogation que nous avons faite à la Commission européenne pour être autorisés à effectuer certains contrôles ailleurs qu'au point d'arrivée des marchandises sur le territoire européen, afin d'assurer la fluidité. Cela explique aussi l'investissement que font les douanes en matière de systèmes d'information, pour faire en sorte que le plus de renseignements possible soient collectés, par exemple, pendant le passage par le tunnel sous la Manche, ce qui accélérera le contrôle à la sortie du tunnel.

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