Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 10h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

C'est une possibilité pour aller très vite, comme savent faire les élus lorsqu'il faut remédier rapidement à une difficulté.

Mais il y a un second terrain, celui que la société Eurotunnel propose à la sortie du tunnel de Calais. L'État doit-il prendre deux terrains ? Je dois à la vérité de dire que le terrain proposé par la société Eurotunnel serait gratuit, celui proposé par les élus du Calaisis payant. Ministre des comptes publics, je négocie. D'ailleurs, mon cabinet voit de nouveau, ce soir, le préfet du Pas-de-Calais, préfet de région des Hauts-de-France, M. Lalande, qui connaît bien cette question. Nous trouverons avec les acteurs la solution la plus pertinente et la plus efficace, tant du point de vue des finances publiques que pour le territoire ; je n'ai guère de doute là-dessus, même si je distingue entre l'immédiat – ce 29 mars dont nous ne savons si ce sera la date fatidique mais que nous considérons comme une échéance à laquelle nous préparer – et grosso modo l'horizon du début 2021.

Si vous m'interrogez sur le coût, je suis tenté de vous faire une réponse anglaise : sous quel pont de la Tamise, monsieur le rapporteur ? Tout dépend de l'accord avec nos amis britanniques. Aujourd'hui, à ma connaissance, nos administrations n'ont pas produit d'étude sur la question – ce pourrait être une idée, mais je pense qu'il vaut mieux attendre le vote du Parlement britannique, le 11 décembre prochain, pour demander à l'inspection générale des finances et à d'autres corps d'inspection de réaliser, peut-être en lien, si vous le souhaitez, avec le Parlement, une estimation du coût total du Brexit. Il y a sans doute des coûts cachés. Si je vous dis qu'il y aura 700 douaniers supplémentaires et que cela coûtera 30 millions d'euros par an, il faut aussi savoir que de nombreux douaniers déjà en poste aujourd'hui s'occuperont eux aussi, demain, du Brexit. Parlez-vous du coût supplémentaire induit par le Brexit ou bien de son coût global ?

En tout cas, au cours des deux prochaines années, entre l'aménagement des lieux, l'investissement dans les process numériques innovants – nous y travaillons avec des start-up d'État, certaines améliorations sont très intéressantes pour les douanes – et les équivalents temps plein (ETP) que nous payons, cela représente pour mon administration 70 millions d'euros. Et puis, beaucoup de choses ne sont pas payées par l'État : les ports, la région des Hauts-de-France, la région Normandie, les sociétés elles-mêmes prendront un certain nombre de dispositions qui elles aussi auront un coût. Le coût total du Brexit ne se résume donc pas à son coût total pour l'État. Nous pouvons d'ailleurs imaginer qu'une partie de ces collectivités locales et de ces entreprises se tourneront vers l'État pour lui demander de payer : oui mais non, non mais oui, on verra bien… Si les régions ne sont pour rien dans le retrait du Royaume-Uni, reconnaissons que l'État ne l'est pas non plus ! Nous aurons donc cette discussion, je l'ai déjà entamée avec un certain nombre d'interlocuteurs.

Il se trouve qu'un certain nombre de choses ont été faites à Calais, qui est un port régional. Le président de région m'a écrit pour que nous participions au financement la capitainerie du port de Calais, d'un coût total de 8 millions d'euros, sachant que l'État n'avait auparavant pas aidé le port de Calais. Cependant, le Gouvernement a proposé un amendement qui permet au port de Calais, à sa société gestionnaire et donc à la collectivité régionale de ne pas payer une partie des taxes normalement dues, notamment des taxes dont le produit, grosso modo, reviendrait aux collectivités. Du coup, la région toucherait des recettes supplémentaires. Nous négocions donc pour décider ce qui in fine devra être payé par l'État et ce qui ne devra pas l'être. Je peux en tout cas vous dire que 30 millions d'euros sont consacrés aux 700 ETP supplémentaires, 20 millions d'euros aux procédures de dédouanement nouvelles et 50 millions d'euros aux aménagements des ports de Dunkerque, du Havre et de Calais afin que nous puissions dès le 30 mars procéder aux contrôles nécessaires.

Pour ce qui est des conséquences économiques, je ne peux vous renseigner que sur les conséquences négatives qu'aurait un contrôle douanier mal fait – dans lequel j'inclus le contrôle agricole. Nous devons être intelligents, rapides, efficaces et avant-gardistes. Sans être douanier moi-même – mais je le deviens –, je comprends que quatre formalités douanières supplémentaires devront être effectuées, mais les formalités ne sont pas des contrôles. Si nous devions arrêter tous les camions et contrôler tous les containers, cela prendrait chaque fois, en moyenne, deux minutes. Évidemment, une moyenne ne signifie rien. Parfois, cela se passe si bien que le douanier n'a qu'à dire au conducteur du véhicule de circuler.

Que fait un douanier ? Il regarde tout d'abord la plaque d'immatriculation du véhicule. Il dispose aussi d'un certain nombre d'aides : un chien, un scanner, et son flair – le flair du douanier, s'entend. (Sourires.) Je demande toujours au directeur général des douanes ce qui a permis de mettre à jour une affaire : le chien, le scanner ou le flair du douanier. Eh bien, souvent, le flair du douanier joue un rôle important. Sans oublier, mais je ne peux trop entrer dans les détails dans le cadre d'une audition publique, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), autrement dit notre service de renseignement douanier aux moyens extrêmement efficaces, qui fait partie des six services spécialisés dont les directeurs siègent sous la présidence du Président de la République au Conseil national du renseignement. Un certain nombre d'affaires sont donc résolues grâce à des actions qui relèvent des services spéciaux de notre pays – je pourrais vous en reparler en audition non publique.

Un certain nombre de moyens nous permettent donc de déterminer ce qu'il faut contrôler. Reste que si le contrôle devait systématiquement durer deux minutes en moyenne, s'il fallait contrôler chacun des quatre millions de conteneurs qui peuvent être contrôlés, ce serait évidemment l'embolie pour toute la région des Hauts-de-France. Je ne l'ai pas mesurée mais la conséquence économique en serait considérable.

Il est à peu près certain qu'il n'y aurait, dans un premier temps, pas de fuite vers Anvers et Rotterdam, parce que le modèle économique n'est pas le même. Que proposent les ports flamands ? Un camion anglais, conduit par un chauffeur britannique, arrive, le conteneur est embarqué sur le bateau, et, quand le conteneur arrive à Anvers ou Rotterdam, un autre chauffeur le récupère. Le modèle français est différent : le chauffeur britannique embarque sur le bateau – ou emprunte le tunnel. Cela requiert des process logistiques très différents. Dans un second temps, le capitalisme s'adaptant, s'il est connu qu'il faut à Calais, au Havre ou à Dunkerque sept heures pour franchir la frontière, les Flamands, dont on connaît le pragmatisme, changeront évidemment de modèle et proposeront une solution différente. Il est donc essentiel de réussir cette chaîne logistique, et je n'en connais pas les conséquences économiques.

J'appelle cependant l'attention de votre commission sur la manière dont les entreprises françaises appréhendent ce sujet, car elle m'inquiète vivement. Nous faisons un énorme effort de communication – je peux en témoigner, je tiens moi-même des réunions avec les entreprises françaises de ma propre région des Hauts-de-France. Or voilà quinze jours, à la demande des entreprises de ma région elles-mêmes, j'ai demandé au directeur général des douanes d'organiser à Lille une réunion avec toutes les entreprises qui commercent avec la Grande-Bretagne. Alors qu'elles sont plusieurs centaines, moins de trente personnes étaient présentes – et c'était avant l'annonce d'un accord…

C'est moi-même qui vais voir les grandes entreprises, notamment du secteur des spiritueux, car nous en vendons beaucoup à la Grande-Bretagne. J'ai vu les producteurs de vins de bordeaux, de cognac ou, récemment, l'entreprise Pernod Ricard. C'est moi-même qui leur demande de recevoir le patron des douanes pour qu'il explique à leurs commerciaux et à ceux qui s'occupent de leurs chaînes logistiques comment cela se passe. La mobilisation était déjà bien faible ; mais depuis l'annonce d'un éventuel accord, elle est devenue totalement inexistante : pour le monde des affaires françaises, grosso modo, le Brexit ne peut pas arriver ! C'est en tout cas ce que je crois percevoir. Il me semble pourtant urgent qu'il comprenne que le Brexit peut tout à fait arriver, qu'il n'y aura pas de deuxième traité – s'il y en a un, tant mieux pour la République, pour la Grande-Bretagne et pour l'Europe mais, pour l'instant, ce n'est pas tout à fait ce qui est prévu… Nous risquons même, dans six mois, un no deal. Pour la première fois dans ma vie de ministre, j'ai l'impression que l'administration est prête avant le monde de l'entreprise… Je ne cesse pourtant de le répéter : il est important que les 30 000 entreprises françaises se rendent compte que le Brexit peut tout à fait avoir lieu, et que ce peut tout à fait être un Brexit « dur ».

Ni nous ni, me semble-t-il, le monde économique n'ont produit d'étude sur les conséquences du Brexit – cela dépendra déjà beaucoup de ce que sera ce Brexit et des modalités de contrôle que retiendront les douanes – mais ce qui m'inquiète par-dessus tout, c'est que les entreprises ne s'y intéressent pas ou s'imaginent que cela n'arrivera pas, alors que nous sommes persuadés que cela arrivera.

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