Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 10h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Monsieur le président Chassaigne, saint Gérald était effectivement un moine écossais, qui a connu sept supplices avant de mourir pour de bon… Je crois savoir qu'à la fin des fins, après avoir été décapité au glaive, il se baladait avec sa propre tête sous le bras. Je me plais à penser que je ne connaîtrai pas le même destin ! Il me semble en tout cas que c'est à la mauvaise personne que vous adressez le reproche de ne pas en faire assez. Mes prédécesseurs ont aussi très correctement fait leur travail, notamment en permettant aux douanes de s'organiser pour dégager des moyens en vue du Brexit.

Depuis dix-sept mois que je suis ministre, j'ai fait d'innombrables déplacements dans une région que je connais bien – la mienne, en l'occurrence – mais également en Normandie, en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine et aux Antilles. Je vous invite d'ailleurs à vous intéresser, monsieur le président, au contrôle de l'espace douanier dans les Antilles françaises et à la lutte contre ces stupéfiants qui viennent d'Amérique du Sud et remontent vers le continent européen. Malheureusement, le départ de nos amis britanniques des coopérations que nous avions avec eux, notamment dans le système de renseignement, a des conséquences négatives, notamment lorsqu'il s'agit de suivre les go fast qui sillonnent ces archipels pour y apporter la drogue, il y a aussi des questions douanières très importantes ; j'en ai parlé à M. l'ambassadeur du Royaume-Uni en France.

J'ai fait énormément de déplacements, nous avons énormément travaillé, le directeur général des douanes travaille quotidiennement à la question et mon propre directeur de cabinet est lui-même un ancien directeur général des douanes. L'administration douanière est prête. D'ores et déjà, 250 douaniers ont été recrutés ; déjà payés, formés aux écoles de Tourcoing ou de La Rochelle, ils sont déjà en poste ou le seront au cours des prochaines semaines. Ils ont été recrutés hors concours : des dispositions particulières ont été prises pour aller plus vite – et je remercie les organisations syndicales de l'avoir compris, même si cela a requis plusieurs explications. Nous avons donc déjà recruté et formé la moitié des effectifs, ils seront en place au cours des prochains jours. S'y ajouteront 350 douaniers l'an prochain. Une très grande partie d'entre eux sont déjà recrutés, et seront en place pour le 29 mars. Une centaine au moins seront encore recrutés en 2020.

Je l'ai déjà dit en réponse à une intervention de M. Lecoq : s'il faut en faire plus, nous en ferons plus. Cependant, à l'heure de la baisse générale des effectifs de la fonction publique, nous montrons un intérêt particulier aux effectifs des douaniers, d'autant plus remarquable qu'ils ne sont pas les seuls fonctionnaires confrontés au Brexit : il y a aussi la police aux frontières, les fonctionnaires du ministère de l'agriculture… et les contrôles douaniers ne sont pas tous effectués par les douaniers. Qu'il s'agisse des moyens humains, des moyens numériques ou des moyens juridiques, l'administration est prête, nous y travaillons – je dois bien avouer que le Brexit me prend presque autant de temps que le prélèvement à la source, notamment en réunions. C'est dire !

La question sanitaire est importante, je l'entends bien, mais elle n'est pas de ma responsabilité ; il conviendrait que vous interrogiez M. le ministre de l'agriculture. Ce ne sont pas les douaniers qui procèdent aux contrôles sanitaires : quand ils trouvent dans un camion des produits sanitairement suspects, ils appellent leurs collègues du ministère de l'agriculture. De même, si vous atterrissez à Roissy avec plantes ou animaux dans vos bagages, ils interviennent, mais leur vocation première n'est pas de faire du contrôle sanitaire. Je ne peux donc vous dire si, de ce point de vue, nous sommes prêts ou pas.

D'ailleurs, monsieur le président Chassaigne, nous ne contrôlons pas non plus les personnes ; et si nous le faisons dans quelques aéroports – à Périgueux, à La Rochelle, dans certains aéroports bretons –, c'est en agissant au nom de la police aux frontières. C'est au ministère de l'intérieur, particulièrement à Calais, qu'incombe ce travail. Celui des douanes consiste à contrôler les marchandises, ce qui est déjà beaucoup, et non l'état sanitaire et encore moins les humains. Et pour ce qui est du contrôle des marchandises, nous sommes prêts.

Je m'inscrirai en faux contre les propos tenus sur Le Havre – je l'ai d'ailleurs dit à M. Lecoq. D'abord, je m'y suis rendu plusieurs fois. Ensuite, si M. Lecoq est tout à fait légitime pour en parler, il se trouve que le Premier ministre l'est également… Et je peux vous assurer qu'il passe un certain temps à me poser des questions sur la réussite de la gestion du Brexit au Havre. La question est donc très suivie, à un niveau très élevé ; chacun le comprendra, car, à l'heure de la mondialisation, c'est notre grand port.

L'aménagement du port du Havre est très différent de ceux de Calais ou de Dunkerque. Il suffit de s'y rendre pour s'en apercevoir.

Ensuite, ce n'est pas en augmentant le nombre de contrôles que nous rencontrerons un plus grand succès. Cela vaut pour tous les ports du monde, même ceux établis dans des pays où les pouvoirs publics sont plus interventionnistes, si j'ose dire ; vous ne trouverez jamais un endroit où 30 %, 40 % ou 100 % des marchandises seraient contrôlées. Tout notre travail est un travail de ciblage et de suivi administratif. Le problème n'est pas tant de procéder à un contrôle douanier que de repérer un conteneur dans un port ; c'est un des principaux enjeux, car c'est ainsi que les trafics s'organisent en jouant d'une série de complicités qui permettent d'effacer le suivi de certains conteneurs, que l'on fait passer par un autre endroit et qui échappent ainsi aux taxes et droits de douane, sans parler des marchandises non conformes à la réglementation, des contrefaçons, voire des stupéfiants. Mais on ne saurait contrôler tous les conteneurs : non seulement c'est rigoureusement impossible, mais cela n'aurait aucun intérêt.

Cela m'amène à répondre à la question de M. Dumont : je ne donnerai pas de consignes particulières aux douanes, dont la mission est de protéger le marché commun des normes divergentes. Le renseignement douanier en constitue un volet essentiel. Grâce aux services de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et au travail des attachés douaniers à l'étranger, nous savons quelles sont les entreprises défaillantes, les pays et les régions peu sûrs, les types de marchandises susceptibles de faire l'objet de contrefaçons ou de contrebande. C'est un travail méconnu, mais très impressionnant, qui permet aux douanes françaises de se prévaloir des taux de réussite les plus élevés au monde : les douaniers du monde entier viennent observer notre fonctionnement et se former au sein de nos services. Bien sûr, il peut se produire des loupés ; mais le plus souvent, lorsqu'un container est contrôlé dans le port du Havre, c'est qu'il a été repéré dès son départ, par exemple d'Amérique du Sud. Il n'y a aucune raison que le Brexit vienne modifier les choses. Il convient en revanche de prévoir comment les douaniers français travailleront au Royaume-Uni en amont pour repérer, recueillir les informations, conduire les audits des entreprises et gagner ainsi du temps.

Pour répondre à M. Pueyo, qui a dû nous quitter mais qui lira le compte rendu, les conséquences économiques seront importantes si les entreprises ne se prévalent pas. Vous savez que les douanes françaises excellent dans le conseil – elles ont d'ailleurs inspiré la réforme du droit à l'erreur. Ainsi, une entreprise qui exporte peut demander à nos services de venir gratuitement auditer ses process, proposer des modifications, examiner les pièces comptables ; en contrepartie de cet audit régulier – ce n'est pas ad vitam –, elle sera moins contrôlée que les entreprises qui ne veulent pas s'y soumettre et auxquelles, naturellement, les douanes s'intéresseront davantage. Il est donc important que les entreprises qui travaillent avec le Royaume-Uni se signalent dès maintenant auprès des douanes afin d'être accompagnées, notamment pour le dédouanement numérique. Depuis Grenoble, on peut faire les démarches qui permettront au camion de passer la frontière à Calais sans autre espèce de contrôle, puisqu'il aura été repéré et l'entreprise enregistrée. Je trouve inquiétant que les entreprises, y compris les plus importantes, soient si peu nombreuses à effectuer ce travail en amont.

Monsieur Dumont, nous ne connaissons pas précisément la répartition des effectifs, mais les douaniers seront affectés en premier lieu sur la façade Manche, notamment à Calais où nous avons réinstallé un bureau de douane, à Dunkerque et au Havre, dans les aéroports de la région parisienne ensuite, puis en Nouvelle-Aquitaine, du fait notamment du volume des échanges dans le domaine des spiritueux, dont on sait l'importance pour la balance commerciale française – M. Didier Quentin le sait encore mieux que moi.

La question du duty free est très importante pour les Hauts-de-France, particulièrement pour le Calaisis, mais aussi pour nombre d'entreprises de la région parisienne, destination de la plupart des touristes. Il convient de préciser que l'exonération de la TVA n'est pas automatique. Vous avez mentionné les accises sur le tabac et les alcools : je sais, pour m'être rendu très souvent dans le Calaisis, que les magasins y vantent, en anglais, leurs linéaires. Le problème ne se pose pas pour le tabac : le Royaume-Uni est le seul pays où le tabac est plus cher qu'en France, puisque le paquet de cigarettes y atteint déjà les 10 euros – il nous arrive de saisir à Dunkerque des cargaisons de cartouches à destination du Royaume-Uni. Mais pour les alcools, la question se pose. Sans doute des boutiques duty free s'ouvriront-elles dans les aéroports et dans les ports, notamment à Calais, autour du terminal du tunnel sous la Manche. Ce sera un point positif pour la région.

Vous vous méfiez des installations provisoires, car elles peuvent durer. Mais si votre maire a laissé en place des Algeco pendant trente ans, il est temps de gagner les élections municipales ! Pour ma part, je n'en ai jamais laissé plus d'un an et demi dans ma commune… Les dotations sont en hausse, y compris dans la ville de Marck : la maire de Calais, qui appartient à votre famille politique, non seulement s'est déclarée Macron- compatible, mais a aussi félicité plusieurs fois le Gouvernement pour l'augmentation des dotations. Je m'étonne – mais sans doute était-ce un oubli de votre part – que vous ne l'ayez pas relevé publiquement…

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