Intervention de Céline Gauer

Réunion du lundi 3 décembre 2018 à 15h05
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne

Céline Gauer, secrétaire générale adjointe de la Commission européenne, chargée de la coordination des politiques :

C'est un honneur d'être aujourd'hui parmi vous afin de répondre à vos questions sur le retrait du Royaume-Uni.

Ce retrait est le choix du peuple britannique. Nous le regrettons profondément, mais nous l'acceptons. Cela implique, et c'est très important, que nos relations futures avec ce pays seront différentes de celles que nous connaissons aujourd'hui et de celles que nous continuerons d'entretenir avec les États membres de l'Union.

Le 25 novembre dernier, le Conseil européen a approuvé le projet d'accord de retrait qui a été négocié au nom de l'Union par la Commission européenne. Le président Juncker a déclaré, à l'issue des discussions du Conseil, que cet accord était le meilleur possible pour l'Union et pour le Royaume-Uni, et que c'était le seul possible – c'est également un élément très important sur lequel je me permets d'insister. La ratification de cet accord est aujourd'hui l'objet de tous nos efforts.

Votre commission examine un projet de loi d'habilitation faisant référence à un scénario selon lequel ce processus, malgré tous nos efforts, n'arriverait pas à son terme, ce qui conduirait à une sortie abrupte du Royaume-Uni. Dans cette hypothèse, ce pays passerait de la situation d'État membre à celle d'État tiers sans aucune transition, c'est-à-dire de la relation la plus étroite que l'on peut imaginer entre des États, celle que nous connaissons aujourd'hui, à une relation dans laquelle il n'y aurait pas d'accord nous liant avec un État devenu tiers, c'est-à-dire la relation la plus distante que l'on puisse imaginer. Un retrait aussi abrupt conduirait à des perturbations absolument considérables, et très brutales, qu'il nous appartient d'anticiper et d'essayer de limiter dans toute la mesure du possible.

Après un très bref rappel des travaux de préparation que nous avons effectués depuis l'annonce du retrait du Royaume-Uni, je vais vous exposer les principes devant régir, selon nous, les mesures d'urgence susceptibles d'être adoptées tant au niveau national qu'au niveau européen – je préciserai alors l'articulation entre ces deux types de mesures.

La préparation du retrait du Royaume-Uni n'a pas commencé cette semaine, ni récemment, mais dès que ce pays nous a indiqué son intention de se retirer de l'Union. Dès ce moment-là, la Commission a procédé à un examen très méthodique de tout l'acquis du droit européen afin d'examiner dans quelle mesure des adaptations seraient requises. Dans de nombreux cas, ces adaptations sont identiques selon que le retrait du Royaume-Uni est organisé ou non. C'est notamment vrai pour le renforcement des infrastructures à réaliser aux points d'entrée des importations en provenance du Royaume-Uni – de tels travaux devront avoir lieu qu'il y ait un accord ou non, la principale différence étant la date à laquelle les infrastructures devront être opérationnelles.

Afin d'aider les citoyens et les entreprises à se préparer – car le retrait du Royaume-Uni n'est pas une affaire concernant uniquement la Commission européenne et les Parlements nationaux mais aussi, et en premier lieu, tous les opérateurs des marchés et les citoyens –, la Commission a publié près de 80 notices explicatives, pour tous les secteurs d'activité qui seront affectés. Elle a également publié, dès le 19 juillet dernier, une communication indiquant les mesures à envisager dans chacun des principaux secteurs.

Depuis le début, nous avons assuré une coordination très étroite avec les États membres, car c'est évidemment un travail commun que nous devons entreprendre. Plus d'une quarantaine de séminaires techniques ont été réalisés dans la totalité des vingt-sept États membres, par groupes – les États ayant une frontière maritime avec le Royaume-Uni sont, par exemple, exposés à des problématiques particulières – ou encore de manière bilatérale, afin d'examiner toute question qui pourrait se poser pour un État membre en particulier.

Nous avons aussi travaillé sur les aspects très pratiques du retrait du Royaume-Uni, comme la relocalisation de l'ensemble des agences et des institutions qui sont situées au Royaume-Uni et qui doivent désormais être rapatriées dans l'Union à vingt-sept. Paris va ainsi accueillir l'Agence bancaire européenne, jusqu'à présent implantée à Londres.

Parallèlement, les États membres ont pris un certain nombre de mesures de préparation, notamment le recrutement d'agents publics pour effectuer les contrôles douaniers et vétérinaires qui devront avoir lieu sur tous les biens en provenance du Royaume-Uni à partir de son retrait de l'Union.

La date du retrait se rapprochant, et un accord n'ayant été conclu que très récemment, la Commission a publié le 13 novembre dernier ce qu'elle a appelé un plan d'urgence afin de détailler les mesures devant être prises en cas de retrait non organisé du Royaume-Uni. Je voudrais insister sur six principes directeurs qui permettent de résumer l'approche retenue.

Le premier principe est que les mesures d'urgence que nous sommes susceptibles de prendre, tant au niveau communautaire qu'au niveau national, ne pourront pas répliquer les bénéfices de l'appartenance à l'Union ou ceux de la période de transition. Il est important de ne pas faire bénéficier le Royaume-Uni des mêmes avantages que les États membres de l'Union alors que ce pays ne veut pas assumer leurs obligations, en particulier sur le plan financier. Toutes les mesures d'urgence que nous envisageons d'adopter devront se limiter strictement à protéger l'intérêt des Vingt-Sept et à atténuer, pour eux, les effets du retrait.

Le deuxième principe est la nature temporaire des mesures à adopter : nous ne sommes pas en train d'organiser la relation future avec le Royaume-Uni, mais simplement de ménager une transition entre le statut d'État membre et celui d'État tiers, de la manière la plus la plus réduite possible.

À cela s'ajoute, et c'est le troisième principe, le caractère unilatéral des mesures que nous envisageons d'adopter. C'est un aspect extrêmement important, aussi bien au niveau national qu'au niveau européen. Il y a eu un accord, après une négociation qui nous a pris près de deux ans et qui a été très détaillée. Cet accord, qui précise tous les éléments pertinents pour la transition, est sur la table. Si nous commencions aujourd'hui à examiner de petits morceaux d'accord pour régler de petites questions sectorielles ou de petites questions nationales, nous compromettrions gravement la possibilité que cet accord, qui est le bon accord préservant l'intérêt des Vingt-Sept, soit ratifié. Par conséquent, toutes les mesures que nous sommes susceptibles d'adopter doivent être unilatérales.

Dans le domaine du transport aérien, par exemple, nous aurons besoin d'assurer un minimum de continuité des vols entre le Royaume-Uni et l'Europe continentale. Il y avait plusieurs manières de régler cette question. Ce que la Commission envisage est de proposer une mesure unilatérale permettant le décollage, l'atterrissage et le transit des avions du Royaume-Uni vers l'Union, et non la négociation d'un accord sur les droits de trafic aérien. Nous conserverons ainsi la maîtrise que permet une mesure unilatérale. Au niveau national, nous pensons de même qu'il faudrait envisager d'agir d'une manière strictement unilatérale afin d'éviter des discussions parasites au moment de la ratification de l'accord de retrait.

Cela ne signifie pas que nous ne pourrons pas exiger la réciprocité. Dans le cas de la proposition qui a été présentée par la Commission le 13 novembre dernier pour les visas de court séjour, il est ainsi envisagé d'exempter les citoyens britanniques de l'obligation d'avoir un visa pour entrer sur le territoire des Vingt-Sept, avec une condition de réciprocité vis-à-vis de l'ensemble des citoyens des États membres qui voudraient entrer au Royaume-Uni : c'est une mesure unilatérale assortie d'une condition de réciprocité.

Le quatrième principe est le respect des compétences nationales et européennes. Les mesures d'urgence doivent être prises par chacun dans le respect des compétences dévolues par le traité : la sortie du Royaume-Uni ne doit pas être une occasion de les revisiter.

Il existe une situation un peu particulière dans certains cas, notamment des mesures nationales concernant les citoyens. Il y a, au sein du Conseil, une demande très convergente de coordination, qui provient de l'ensemble des États membres : ils savent qu'il est de leur compétence de régler la question des visas de long séjour, mais ils souhaitent aller dans le même sens en exerçant leurs compétences nationales de la même manière. La Commission est évidemment prête à réaliser un travail de coordination afin de s'assurer que tous les citoyens sont traités de manière non discriminatoire, sans empiéter pour autant sur les compétences nationales.

Inversement, les États membres devront continuer à respecter les compétences de l'Union européenne et à ne pas prendre des mesures qui les violeraient. On peut penser, par exemple, à la coordination des régimes de sécurité sociale, où tout ce qui a été l'objet d'une coordination jusqu'à la date du retrait britannique reste une compétence exclusivement communautaire. C'est également le cas pour le trafic routier : la possibilité de réglementer les licences des opérateurs de transports routiers dans l'Union demeure une compétence exclusive de l'Union européenne.

Le cinquième principe est le respect du droit européen et des accords internationaux. Les mesures nationales doivent être prises dans le champ des compétences nationales, mais il faut aussi qu'elles soient conformes à la hiérarchie des normes. Les mesures nationales doivent respecter la primauté du droit européen et être en conformité avec les accords internationaux auxquels les États membres et l'Union sont parties, notamment l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans certains secteurs, nous avons ainsi l'obligation d'octroyer à tous les États membres le même bénéfice – c'est le principe de la clause de la nation la plus favorisée. On ne peut pas commencer à appliquer un traitement discriminatoire à l'égard des citoyens du Royaume-Uni parce qu'il n'y aurait pas d'accord d'intégration particulier par rapport aux autres États de l'OMC. C'est un point auquel il faut être très attentif.

Sixième et dernier point, il ne faut pas substituer de mesures d'urgence à la préparation à laquelle les acteurs privés devaient procéder. Dès le début des discussions sur le retrait du Royaume-Uni, nous avons appelé, comme les autorités françaises, les opérateurs économiques à se préparer au retrait du Royaume-Uni. Beaucoup l'ont fait, ce qui a impliqué un coût pour eux et une perturbation de leur modèle. Les compagnies d'assurances, les opérateurs de services financiers, les transporteurs aériens, les acteurs du secteur pharmaceutique ont pris des mesures, qui ont eu un coût et ont perturbé leurs processus de décision, afin d'anticiper les conséquences du Brexit, comme les autorités publiques leur ont demandé de le faire. Nous n'allons pas arriver, à la dernière minute, avec des mesures d'urgence qui donneraient un avantage à ceux qui n'auraient pas pris des mesures de préparation et qui auraient espéré être « sauvés par le gong ».

Les six principes que je viens de présenter nous paraissent absolument fondamentaux pour les mesures nationales et européennes qui doivent être prises.

En ce qui concerne les étapes suivantes, la priorité reste la ratification de l'accord avec le Royaume-Uni, et nous faisons tout ce qui relève de nous pour nous assurer que ce processus arrive à son terme. Compte tenu de la date, nous sommes sur le point de proposer des mesures législatives qui sont nécessaires au regard des compétences du Parlement et du Conseil européen. Ces mesures seront adoptées par la Commission et soumises au Parlement et au Conseil européen avant la fin de l'année. Quant aux actes d'exécution, pour lesquels la procédure est un peu plus rapide et offre davantage de flexibilité, nous les aurons tous présentés avant la mi-février, afin d'être sûrs que tout soit voté par les comités compétents en temps utile. Nous continuerons le travail de préparation jusqu'au moment où l'accord aura été ratifié par le Parlement européen et par le Parlement britannique, afin de nous assurer que nous serons prêts pour un retrait non organisé, s'il devait se produire, ce que nous n'espérons évidemment pas.

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