Intervention de Nathalie Loiseau

Séance en hémicycle du lundi 10 décembre 2018 à 16h00
Préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Présentation

Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes :

Toutes les options techniques ont été explorées ; toutes les priorités politiques, respectées. Il n'y a pas d'autre accord possible – je le dis devant vous comme nous le disons à nos amis britanniques – et cet accord est un bon accord. Il protège les droits de nos concitoyens qui résident au Royaume-Uni, en leur permettant de continuer à vivre, à travailler et à étudier dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, tout comme il protège les droits des Britanniques qui vivent en Europe. Il assure un juste règlement financier des engagements pris par le Royaume-Uni, et donc la protection des intérêts financiers de l'Union. Le Royaume-Uni s'engage à s'acquitter des obligations qu'il a souscrites durant toute la période pendant laquelle il aura été un État membre. Cet accord prévoit une période de transition à compter du retrait britannique et jusqu'au 31 décembre 2020 au moins, pendant laquelle le droit de l'Union européenne continue temporairement à s'appliquer au Royaume-Uni, ce qui doit permettre de cheminer sans heurt vers la relation future. Enfin, l'accord de retrait permet de protéger les spécificités de la question irlandaise, caractérisée par un processus de paix qui a fortement dépendu de l'Union européenne et par l'existence d'une frontière qui n'en est pas vraiment une. Après la période de transition et en cas d'absence d'un accord futur, une union douanière entre le Royaume-Uni et l'Union européenne serait ainsi mise en place, assortie d'un alignement réglementaire de l'Irlande du Nord sur l'Union, ce qui permettrait d'éviter le rétablissement d'une frontière physique sur l'île d'Irlande.

L'accord de retrait est complété par une déclaration politique qui donne à nos relations futures un cadre d'une ambition sans précédent dans les relations de l'UE avec les pays tiers. Ce cadre inclura notamment un partenariat économique, un partenariat en matière de sécurité et un autre en matière de recherche. En particulier – et la France, qui en avait fait l'une de ses priorités, y a tout spécialement veillé – , aussi bien l'accord de retrait que la déclaration politique, qui a l'aval du gouvernement britannique, précisent qu'un accord de pêche devra être conclu d'ici juillet 2020, donc bien avant la fin de la période de transition, et qu'il devra reposer, entre autres, sur l'accès réciproque aux eaux des deux parties ainsi que sur les parts de quotas de pêche existants. Nous serons particulièrement attentifs à la négociation et à la conclusion satisfaisante de cet accord.

Nous serons également très vigilants, et tout le Conseil européen avec nous, au maintien de conditions de concurrence équitables entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, quelle que soit la forme de la relation future. C'est en particulier le cas pour ce qui est de l'alignement sur les normes environnementales européennes : c'est indispensable, sans quoi nous n'aurions le choix qu'entre accepter que nos entreprises subissent une concurrence déloyale ou renoncer en Europe à nos ambitions futures en matière d'environnement.

Voici donc dans quelles conditions se passerait le Brexit en cas de ratification de l'accord de retrait. Mais, je l'ai dit d'emblée, cette ratification dépend d'une situation politique britannique qu'il nous faut qualifier d'incertaine. C'est pourquoi nous avons conclu à la nécessité de nous préparer, États membres comme Commission européenne, à tous les scénarios, y compris celui d'une sortie sans accord. Dès le mois de mars dernier, c'est ce que le Conseil européen avait demandé aux institutions comme aux États membres. Une équipe dédiée au sein du secrétariat général de la Commission identifie les mesures qui devraient être prises dans les domaines qui relèvent de la compétence de l'Union, notamment les droits des citoyens, les services financiers, les transports, les contrôles douaniers et sanitaires, la protection des données personnelles, la pêche ou le climat. Nous travaillons étroitement avec eux. Ensemble, Commission et États membres, nous avons dégagé des principes communs : les mesures de contingence ne doivent pas être aussi avantageuses pour le Royaume-Uni que l'appartenance à l'Union ou que l'accord de retrait ; elles ont un caractère temporaire ; elles pourront être révoquées ; enfin, elles ne se substituent pas à la nécessité pour les acteurs économiques privés de prendre leurs propres mesures de préparation.

À l'échelon national, il est de notre responsabilité collective, celle du Gouvernement comme celle du Parlement, de nous préparer sérieusement à toutes les hypothèses, y compris à celle d'un retrait sans accord. C'est l'objet du présent projet de loi, présenté le 3 octobre dernier en conseil des ministres, adopté par le Sénat le 6 novembre, voté par la commission spéciale le 5 décembre et que j'ai l'honneur de présenter devant vous aujourd'hui. Je souhaite à cette occasion remercier le président Jean-Louis Bourlanges, le rapporteur Alexandre Holroyd et les membres de la commission pour leur travail très important, qui a permis d'améliorer le texte. Le Gouvernement sollicite l'habilitation du Parlement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires, soit, pour certaines d'entre elles, en cas d'accord de retrait, soit – et ce sont les plus nombreuses – en cas d'absence d'accord, dans trois grands blocs de domaines : la situation des ressortissants français et, de manière générale, les intérêts français ; la situation des Britanniques en France ; la circulation des personnes et des marchandises.

Le choix de l'habilitation, qui permet une plus grande flexibilité, est ici indispensable au regard des enjeux comme de la possibilité de devoir appliquer des mesures dans des délais très rapides, à l'approche de l'échéance du 30 mars 2019. Il faudra en particulier que nous puissions ajuster notre dispositif en fonction des mesures qui seraient prises par le gouvernement britannique, mais aussi par la Commission pour ce qui relève des compétences communautaires et par les autres États membres pour ce qui les concerne. Le Gouvernement a recherché le meilleur équilibre possible entre l'exigence constitutionnelle de précision de l'habilitation, prévue par l'article 38 de notre Constitution, et le besoin de flexibilité imposé par le contexte dans lequel nous nous trouvons.

Avant de revenir sur certains aspects du texte, je voudrais rappeler que des points très importants n'y sont pas traités, tout simplement parce qu'ils ne relèvent pas, dans le contexte du Brexit, du domaine de la loi et donc du champ de l'ordonnance. C'est par exemple le cas du transport aérien, pour l'essentiel régi par le droit communautaire, ou de la pêche, qui représente une politique intégrée de l'Union européenne. Le Gouvernement agira naturellement avec vigueur dans ces domaines, mais il le fera à la fois à Bruxelles, pour peser sur la détermination des mesures communautaires, et en France, dans le champ réglementaire.

S'agissant des préoccupations liées à la gestion des flux migratoires, je voudrais rappeler ici plusieurs éléments. Le projet de loi traite des questions relatives à l'entrée et au séjour des Britanniques en France. S'agissant de la question particulièrement importante des relations entre la France et le Royaume-Uni en matière de contrôle de la frontière, je rappelle qu'elles relèvent d'un accord bilatéral, le traité du Touquet. J'ai eu amplement l'occasion de débattre avec les parlementaires des points forts comme des points faibles de cet accord. Le Gouvernement y est particulièrement attentif et a d'ores et déjà saisi l'occasion du dernier sommet bilatéral franco-britannique pour obtenir de substantielles améliorations, contenues dans le traité de Sandhurst. Cette question reste ouverte et quelles que soient les formes que prendra le Brexit, le Gouvernement est déterminé à poursuivre avec fermeté la défense des intérêts français dans la gestion des flux migratoires à destination du Royaume-Uni.

J'en viens aux principales mesures envisagées par le projet de loi d'habilitation. Elles visent tout d'abord à protéger les intérêts des Français vivant au Royaume-Uni qui reviendraient en France en cas de retrait sans accord. Il est en effet nécessaire que leurs diplômes et leurs qualifications professionnelles soient reconnus, et que leur période d'activité Outre-Manche soit prise en compte dans le calcul de leurs droits au chômage ou pour la retraite.

Ces préoccupations sont celles de très nombreux Français que j'ai rencontrés à Londres en septembre dernier. Le Gouvernement les a entendues et vous demande de l'autoriser sans retard à préparer les mesures qui éviteront à nos compatriotes de se retrouver au 30 mars privés de leurs droits.

La défense des intérêts français passe également par la possibilité, pour les entreprises françaises, dont un nombre très important de PME, de poursuivre les transferts de produits et matériels de défense à destination du Royaume-Uni lorsqu'elles disposent d'une autorisation. Il est par ailleurs souhaitable que nos entreprises ne soient pas brutalement empêchées d'accéder, au Royaume-Uni, aux systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison de pays tiers, et qu'elles continuent d'utiliser des conventions-cadres en matière de services financiers ou sécurisent les contrats existants dans ces domaines.

J'en viens à la situation des Britanniques vivant sur notre sol. Je veux leur dire qu'ils seront les bienvenus demain comme ils le sont aujourd'hui.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.