Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 11 décembre 2018 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Nous arrivons au terme de la discussion de ce texte, dont l'examen a été long et fastidieux, notamment en raison d'une organisation de nos travaux que je déplore, comme de nombreux collègues.

Les premières interrogations du groupe la France insoumise portent sur le budget. Jamais un budget du ministère de la justice n'a été aussi élevé : 5 % d'augmentation par an, 3 milliards en quatre ans, c'est extraordinaire ! Pourtant, lors des débats, vous n'avez eu de cesse de faire diminuer le nombre de dossiers, de faire en sorte que le justiciable aille moins devant la justice et passe plutôt par le notaire ou ait recours à une médiation. Comment cela se fait-il ? Où va l'argent ? Où vont ces 3 milliards ? Eh bien, dans les prisons : 1,7 milliard pour les prisons, 0,5 milliard pour le logiciel qui manque cruellement au ministère de la justice – il était temps ! – , et il reste quelque 800 millions pour payer l'inflation, les charges de fonctionnement des futures prisons et les rénovations des prisons existantes. Finalement, il ne restera plus grand-chose pour la justice elle-même…

L'enjeu aurait pourtant été, plutôt que de construire des places de prison, de revoir l'échelle des peines et de mettre en place le triptyque nécessaire et moderne constitué par l'amende, la peine de probation autonome et la peine de prison. Or, nous nous arrêtons au milieu du gué, faisant comme s'il existait une peine de probation autonome, alors qu'il n'y a que le bracelet électronique et un sursis probatoire dont le nom dit bien qu'on a du mal à rompre avec cette monnaie virtuelle et interne au code pénal et au code de procédure pénale qu'est la prison.

Par ailleurs, votre texte éloigne le justiciable de la justice et du juge, à cause, tout d'abord, de toutes les médiations rendues obligatoires. Personne dans cet hémicycle n'est opposé aux médiations et au fait que les gens se mettent d'accord, mais nous convenons aussi qu'il faut avoir un accès direct au juge, sans frein ni filtre et, surtout, qu'il ne faut pas renvoyer à des systèmes payants des procédures qui étaient auparavant gratuites. La voie de la conciliation, qui est la seule gratuite, est finalement la plus encombrée et on refuse de se fixer dans ce texte des objectifs en la matière, les amendements déposés en ce sens ayant été rejetés.

De la même manière, on renvoie vers le notaire des procédures qui étaient précédemment gratuites et on donne à la Caisse d'allocations familiales – CAF – la possibilité de modifier la décision initiale d'un juge, ce qui est une première dans notre droit – et je crains que cette trouvaille ne laisse la porte ouverte à d'autres.

La visio-audience ou visioconférence éloigne elle aussi le justiciable de la justice, sans compter la réorganisation judiciaire, qui passera, dans un premier temps, par une spécialisation concernant des procédures à haute technicité et à faible volumétrie, pour amadouer le badaud – « amadouer la grenouille », comme dirait un de nos collègues. Finalement, certains contentieux ne seront plus traités au tribunal proche de chez vous, et peu importe que cela ne concerne que de faibles volumes. Je ne suis pas ici pour faire la loi pour 95 % des Français, en laissant de côté les 5 % restants. Ça ne m'intéresse pas. Nous faisons la loi pour tout le monde, pour toute la justice et pour l'accès de tous au droit.

Qui plus est, cette réorganisation éloigne le justiciable – ou, plutôt, le citoyen – de la justice, avec la création de la cour criminelle départementale, qui met purement et simplement fin à l'intervention des jurés. Vous verrez qu'à la fin, la cour d'assises n'existera plus que comme un vestige, dans un coin, pour nous rappeler qu'il fut un jour où la justice n'était pas seulement rendue au nom du peuple français, mais avec lui, ce qui permettait à cette devise de s'incarner parfaitement.

Nous venons de modifier par ordonnance l'ordonnance de 1945, ce qui est peut-être un comble, et avec des méthodes étranges – au moyen d'un amendement déposé en cours de débat. On vient en outre nous dire que c'est pour discuter de choses qui arriveront dans six mois en vue d'un texte qui s'appliquera dans un an. Pourquoi fonctionner ainsi ? Pourquoi tant de violence et de précipitation ?

Enfin, le code de procédure pénale fait de l'exceptionnel la généralité, avec les techniques spéciales d'enquête qui font des procureurs de la République des personnages tout-puissants, qui peuvent se livrer à un certain arbitraire.

Finalement, madame la ministre, il s'agit d'un texte de boutiquière de la justice, où l'austérité rejoint l'autoritaire, et même le sécuritaire. On n'y trouve pas d'idée de la justice, mais seulement une gestion comptable d'un ministère comme un autre. C'est pourquoi, parce que nous nous avons une haute idée de la justice et de la lutte contre les injustices, nous voterons contre ce projet de loi.

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