Intervention de Guillaume Vuilletet

Séance en hémicycle du mercredi 12 décembre 2018 à 15h00
Indivision successorale et politique du logement outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Vuilletet :

Ce texte aura été le fruit d'une concertation fructueuse au sein de l'Assemblée, tous groupes confondus, et avec le Sénat. Dans l'intérêt des territoires insulaires, il a transcendé les clivages politiques, et son application, je le sais, améliorera concrètement les conditions de vie et d'existence des populations ultramarines. Je tenais particulièrement à le souligner, de même que je tenais à saluer le travail remarquable accompli par le Sénat, sous la houlette du sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi, par ailleurs membre du groupe La République en marche au Sénat.

Comme l'a souligné le rapporteur Serge Letchimy, ce texte est d'intérêt public en raison de la situation particulièrement sensible dans laquelle se trouvent les départements et régions d'outre-mer, qui connaissent une multiplication des successions non réglées, aboutissant à des indivisions, le plus souvent non gérées, ce qui donne lieu à des situations familiales bien souvent inextricables. Une part non négligeable du foncier de ces territoires se trouve donc paralysée et en déshérence. En Martinique, on estime à 26 % la part du foncier privé géré en indivision. À Mayotte, des communes entières se trouvent ainsi en situation d'indivision.

C'est cette réalité, particulièrement dommageable au développement des territoires concernés, que la proposition de loi entend prendre en compte et traiter. Son objectif est simple : favoriser et accélérer les règlements successoraux, afin de rendre le foncier plus facilement disponible sur les territoires insulaires où celui-ci est rare. En substance, il s'agit, pour ces indivisions qui durent depuis plusieurs générations et qui concernent parfois des centaines d'indivisaires, de permettre à la majorité d'entre eux, dès lors qu'ils se sont mis d'accord, de surmonter le blocage grâce à la vente ou le partage des biens.

Ce sujet sensible mérite que l'on s'y arrête. Il est sensible non seulement juridiquement, parce qu'il écorne le droit de propriété inscrit dans notre constitution, mais également parce qu'il concerne des situations profondément humaines, dans lesquelles les attaches familiales se mêlent au rapport à la terre, au déracinement et à la complexité des descendances. Et il mérite que l'on s'y arrête car cette réalité concerne près de 40 % du foncier de ces territoires et provoque de nombreux désordres.

La première conséquence, et peut-être la principale, est le blocage de l'aménagement de ces territoires. Comment reconstituer le tissu urbain et l'adapter aux nécessités du temps lorsque la moitié, voire les trois quarts du foncier sont immobilisés, et que le moindre coup de pioche est susceptible de provoquer un contentieux ?

L'ordre public est également en jeu, dans la mesure où les biens laissés en déshérence peuvent non seulement poser des problèmes de sécurité mais également entraîner des troubles sociaux – lorsqu'il faut en déloger les occupants – ou encore être source de menaces sanitaires.

Parler de la terre autour de laquelle se nouent des relations familiales complexes, c'est évoquer aussi le recours à la justice et à une forme de brutalité que l'on ne doit pas manquer de prendre en considération.

Notre objectif doit donc être de régler ces situations avec davantage d'humanité. Souvent, les biens considérés sont occupés par des indivisaires, lesquels ont parfois noué des accords, tacites ou formels, avec d'autres indivisaires. Or ces occupants n'ont ni les moyens de racheter leurs parts, ni d'entretenir le patrimoine.

Parfois encore, certains héritiers sont tout simplement inconnus, soit qu'ils se soient éloignés de milliers de kilomètres, soit que la succession concerne plusieurs générations. La seule issue est souvent le tribunal, c'est-à-dire un conflit familial, en rupture avec les pratiques sociales et culturelles de ces territoires.

Il s'agit donc de clarifier et de pacifier des conflits familiaux qui perdurent depuis des générations, parfois du fait de la mauvaise volonté de certains, mais souvent, parce que les personnes concernées sont réellement démunies face à la situation.

Il s'agit ensuite de mettre fin aux désordres publics que j'ai évoqués – occupations illicites ou réseaux sanitaires hors d'usage – , qui font que des quartiers entiers se nécrosent et se replient sur eux-mêmes, faute d'aménagements et d'entretien, jusqu'à devenir sinon des zones de non-droit, du moins des zones en marge de la société. Dans le cas d'une dégradation des réseaux, le risque peut même devenir sanitaire.

Il s'agit enfin de faire droit au nécessaire aménagement du territoire. L'outre-mer n'échappe pas à l'exigence du pays de redéfinir son espace urbain. L'exiguïté insulaire renforce même cette nécessité : reconstruire la ville sur la ville, l'adapter aux nouvelles populations, renforcer son attractivité et son efficacité au regard des mutations sociales, environnementales, sanitaires et technologiques demande une pleine capacité à intervenir sur le foncier.

Le Gouvernement entend provoquer un choc d'offre en matière de logement par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, dont j'ai été le rapporteur au nom de la commission des lois. Dans la situation qui est la nôtre, l'expression est en effet pertinente : c'est bien un choc quantitatif et qualitatif que nous devons provoquer en tout point du pays.

Et nous devons le faire en cohérence avec le livre bleu qui définit la politique du Gouvernement dans les outre-mer. Comment, en effet, loger correctement une population en constante évolution si près de la moitié du territoire qu'elle occupe est littéralement figée ?

En première lecture, la proposition de loi dont nous discutons avait été votée à l'unanimité par la commission, le 10 janvier dernier. Je m'en étais alors félicité, même si nous savions tous qu'il y avait des sujets en suspens. En effet, la loi se devait non seulement d'être opérationnelle et solide, de respecter la Constitution, mais aussi d'être efficace. Or sans être paralysés par la peur du Conseil constitutionnel, nous estimions inutile d'adopter un texte en sachant qu'il nous ferait aller directement dans le mur !

Les mesures dérogatoires stabilisées proposées aujourd'hui sont cependant de nature à débloquer la situation. Partant du constat que les indivisions constituent un obstacle à la réhabilitation ou à la reconstruction des biens, l'article 1er du texte prévoit ainsi de déroger à la règle de droit commun sur le régime des indivisions successorales.

Jusqu'à aujourd'hui, si une majorité des deux tiers des indivisaires suffisait pour accomplir certains actes conservatoires et d'administration sur le bien, le consentement de chacun d'entre eux était exigé pour pouvoir effectuer tout acte de disposition. De telles modalités constituaient un frein évident au développement du logement et à la résorption de la pénurie qui touche ce secteur. Il convient donc de faciliter la sortie de l'indivision successorale en dérogeant à la règle de l'unanimité en matière de consentement.

Un régime de soutien est par ailleurs institué au bénéfice du conjoint survivant, de l'enfant mineur et du majeur objet d'une mesure de protection. Ainsi, la procédure ne pourra pas s'appliquer dans trois cas : lorsqu'il s'agit d'un local d'habitation et que le conjoint survivant du défunt y réside ; lorsque le défunt laisse un ou plusieurs descendants mineurs ; lorsque l'un des indivisaires se trouve hors d'état de manifester sa volonté. Accommoder le droit de la propriété demandait en effet quelques précautions, et induisait une notion évidente de proportionnalité. De ce point de vue, l'équilibre trouvé permet à l'évidence d'assurer la constitutionnalité du dispositif.

Je me félicite que le dialogue poursuivi ait permis de s'accorder sur la teneur du dispositif, dont un objectif essentiel, la préservation des intérêts des personnes, est ici atteint.

Dans la continuité des travaux de l'Assemblée nationale, le Sénat a voté des modifications de nature à renforcer encore l'efficacité du dispositif, tout en lui apportant de nouvelles garanties en matière de sécurité juridique.

Il a en particulier prévu qu'il ne s'appliquerait qu'aux successions ouvertes depuis plus de dix ans, au lieu de cinq. J'entends que ce point fait débat mais, je le répète, il importait de sécuriser le dispositif. De toute façon, le stock des dossiers en cours est malheureusement tel qu'il donnera largement matière à s'occuper pendant les dix ans que durera l'expérience.

Par souci de cohérence, le Sénat a aussi modifié la majorité requise pour effectuer des actes d'administration ou de gestion, jusqu'à présent fixée à deux tiers des droits indivis, afin d'éviter qu'il ne soit plus difficile d'effectuer ces actes que de procéder à des actes de disposition.

Je veux insister sur la publicité dont doit impérativement s'entourer l'application du dispositif. Nous devons absolument nous donner les moyens de garantir que personne ne soit laissé dans l'ignorance ou mis de côté.

Pour encourager les héritiers à partager les biens indivis, le Sénat a également introduit un nouvel article relatif à une exonération du droit de partage de 2,5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d'indivision.

Je voudrais m'arrêter un instant sur ce point. Nous parlons de biens dont la valorisation est complexe – c'est la conséquence de leur état d'abandon. Leurs multiples propriétaires sont très souvent démunis. Il leur est difficile d'engager des fonds sans que les biens n'aient été valorisés. Cet encouragement fiscal est donc nécessaire, et je me réjouis de constater que le Gouvernement a décidé de lever le gage. Je salue à cet égard l'opiniâtre volonté dont nos collègues ont fait preuve – notamment Olivier Serva – pour obtenir ce résultat.

Le Sénat a par ailleurs souhaité voter un texte traitant de l'ensemble des outre-mer, et donc également applicable à la Polynésie française mais, comme nous le savons à présent, la situation de ce dernier territoire exige que nous poursuivions notre travail, d'autant que d'autres supports seraient sans doute mieux adaptés pour l'évoquer. Nous nous en tiendrons donc à une version plus légère.

Cette proposition de loi ne résoudra évidemment pas toutes les difficultés, mais elle constitue un signal majeur, signifiant que les outre-mer, sous l'impulsion de leurs élus et avec le soutien de la nation, ont décidé de tourner la page de l'immobilisme.

La République est une et indivisible, mais elle se nourrit des enseignements que lui apportent ses diversités. Au travers de ce texte, l'outre-mer nous montre un chemin. Je parie que, sous peu, nous saurons nous en inspirer pour traiter d'autres problèmes, qui concernent l'ensemble de la nation.

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