Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mercredi 12 décembre 2018 à 15h00
Sécurisation de l'exercice des praticiens diplômés hors union européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Nous abordons ici la question des praticiens diplômés hors Union européenne. C'est une vraie question ou plutôt un vrai tabou auquel jamais personne n'a voulu faire face. À compter du 1er janvier 2019, plusieurs centaines de médecins titulaires de diplômes hors Union européenne présents dans nos hôpitaux ne rempliront plus les conditions légales pour poursuivre leur activité. Il était donc urgent d'agir.

En 2017, sur 290 974 médecins, la France comptait 26 805 titulaires d'un diplôme européen ou extra-européen, soit 11 % de la profession. En 2010, ils n'étaient encore que 14 000, soit 7 % de la profession. En 2020, le cap des 30 000 médecins venus d'ailleurs devrait être atteint. Pour répondre à la question des déserts médicaux, des hôpitaux publics en sous-effectifs, des médecins à la retraite à qui l'on demande de continuer de travailler, on nous vante tantôt un prétendu progrès avec une santé dématérialisée, distante et déshumanisée, tantôt le recours aux médecins étrangers, alors que, chacun le sait, ces praticiens se trouvent souvent dans une situation très précaire. Or, malgré tout, le présent texte ne réglera pas le problème de fond.

Les médecins étrangers sont de plus en plus nombreux en France. Ceux qui viennent de l'Union européenne sont pour beaucoup des Roumains. Aujourd'hui, ils sont environ 4 250 et leur nombre a été multiplié par sept depuis 2007, date d'entrée de ce pays dans l'Union européenne. Pour les médecins qui ont obtenu leur diplôme hors Union européenne, on retrouve, en tête de liste, les médecins algériens. En 2017, ils étaient 4 404 à exercer en France, soit une augmentation de 60 % en dix ans, ce qui représente un quart des médecins nés à l'étranger.

Si ces médecins viennent en France, c'est bien sûr parce qu'ils espèrent gagner davantage que dans leur pays d'origine, mais aussi parce que la France les encourage à venir exercer chez nous. On peut le comprendre : un médecin qui a obtenu son diplôme hors Union européenne coûte en moyenne deux fois moins cher que son homologue français. C'est d'ailleurs cette différence de traitement qui était à l'origine de leur mécontentement en 2017. Dans un hôpital de Seine-Saint-Denis, un radiothérapeute algérien s'indignait : « Mes collègues, qui font le même travail, avec le même nombre d'années d'expérience, gagnent 6 000 euros par mois. Moi, je suis à la moitié de leur salaire, à 2 800 euros net. »

Or cet afflux de médecins étrangers a des conséquences pour les pays d'origine. Et c'est bien sûr en Afrique, dont la moitié des médecins s'expatrient dans les cinq ans qui suivent leurs études, que l'exode médical tue le plus. Le savez-vous ? L'Île-de-France compte aujourd'hui plus de médecins béninois que le Bénin. Un véritable préjudice pour ces pays qui, on l'ignore trop souvent, forment leurs médecins dans leurs premières années, qui sont les plus coûteuses.

En attendant les nouveaux médecins, plus nombreux du fait de la suppression du numerus clausus, peut-être pourrions-nous encourager les partenariats avec d'autres pays, reconnus pour leur excellence, je pense à l'Australie ou aux États-Unis, plutôt que d'aller chercher des médecins sous-payés au préjudice de leur propre pays.

Si les gilets jaunes sont dans la rue, c'est d'abord parce qu'ils font les frais d'un véritable matraquage fiscal, mais c'est aussi parce que, depuis trop longtemps, ils pâtissent de réformes qui dévitalisent les territoires, qui vident les communes de leurs commerces, de leurs écoles et de leurs médecins – des médecins jadis de proximité. Le délai de deux ans prévu par le texte, qui me paraît malheureusement insuffisant, aura au moins pour mérite de ne pas fragiliser encore un peu plus nos territoires, trop souvent en déficit de soins. C'est pourquoi je voterai évidemment pour cette proposition de loi.

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