Intervention de Antoine Durrleman

Réunion du mercredi 28 novembre 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes :

Les fonds de dotation sont, pour l'instant, la limite ultime de la souplesse. C'est ce qui se crée le plus simplement et qui est le moins contrôlé. La dynamique de création est telle que même les services des préfectures sont totalement incapables de les suivre. La direction des affaires juridiques de Bercy avait créé un observatoire des fonds de dotation, qui n'a plus de vie réelle ni de fonctionnement. Il existe une véritable difficulté sur ce point. À la suite du rapport que vous avez demandé à la Cour, le ministère de l'intérieur a sollicité l'Inspection générale de l'administration afin qu'elle dresse un état complet des modalités de contrôle de ces structures. Vous disposerez donc dans quelque temps, sans doute, d'éléments un peu plus documentés.

La multiplication de ces structures, ajoutée à la définition très large des causes d'intérêt général, explique le peu de clarté des textes. L'article 238 bis du code général des impôts est, si vous me passez l'expression, clair comme la bouteille à l'encre, une sédimentation s'étant formée entre les causes et les organismes bénéficiaires. On agrémente en permanence cet article 238 bis de nouveaux organismes bénéficiaires, ce qui le rend illisible et participe de la perte de clarté du dispositif.

S'agissant des fondations abritées, le paradoxe est total. Elles ne peuvent être créées qu'au sein de fondations reconnues d'utilité publique, lesquelles sont créées selon une procédure très lourde. D'abord, elles doivent disposer de capitaux : une fondation n'est pas une association. Une association rassemble des personnes qui portent ensemble un projet ; une fondation est formée de fondateurs qui rassemblent des capitaux au bénéfice d'une cause afin d'assurer la pérennité de l'action. Une fondation requiert donc un minimum de capitaux, nécessite un passage devant le ministère de l'intérieur, puis devant la section de l'intérieur du Conseil d'État qui examine les statuts et le règlement intérieur. Un décret en Conseil d'État est ensuite nécessaire pour créer la fondation. La fondation abritée, quant à elle, se crée par décision du conseil d'administration de la fondation reconnue d'utilité publique, sans aucune condition ni formalités. Extrême rigueur d'un côté, extraordinaire souplesse de l'autre, d'où, selon nous, un mauvais équilibre entre les deux qui explique certaines dérives.

Nous ne disons pas de mal des fondations d'art contemporain en tant que telles : nous constatons simplement qu'elles drainent des fonds considérables et qu'elles concourent très puissamment à l'attractivité de la région parisienne. C'est ainsi qu'il existe une différence territoriale forte entre Paris et le reste du pays. Si ces fondations n'ont pas d'effet d'éviction sur la fréquentation des institutions publiques, la question reste ouverte de savoir si une entreprise qui a choisi de créer sa fondation d'art contemporain aurait aussi puissamment contribué à un mécénat en faveur d'autres institutions publiques. Ce n'est évidemment pas certain, même si l'on constate qu'aucune entreprise ne consacre 100 % de ses fonds de mécénat à sa seule action, mais qu'elles continuent de procéder à des apports en mécénat à des institutions publiques.

La question des frontières entre mécénat et RSE nous paraît se poser. L'élargissement de l'objet social de l'entreprise lui permettra d'intervenir en RSE selon les conditions de droit commun et risque progressivement d'évider la légitimité du dispositif fiscal dérogatoire. Lorsque nous avons entendu les représentants de l'association Admical et ceux de la Fondation de France, qui gère l'observatoire des fonds, des fondations et associations, nous avons été très frappés par l'acuité de leurs inquiétudes à cet égard. Selon eux, l'assimilation de la RSE au mécénat est extrêmement dangereux, et susceptible de remettre en cause les conditions favorables du soutien public au mécénat. Il nous semble que la question se pose aujourd'hui.

Les fondations d'entreprise se sont largement développées. C'est un outil qui est dans la main des fondateurs, le contrôle de l'État étant assez éloigné. Les fondations d'entreprise ont été d'un apport utile à des causes d'intérêt général mais, dans un certain nombre de cas, on relève l'importance de la dimension médiatique, ce qui est une grande nouveauté par rapport au moment de la création de ces fondations en 1990. En 2000, elles ont reçu la possibilité de se nommer du nom de l'entreprise mécène ; aujourd'hui, on constate que l'entreprise mécène recherche des bénéfices d'image. Elle peut aussi rechercher des bénéfices secondaires si l'on pense à une grande fondation parisienne que nous avons contrôlée. Le fait que le même groupe installe à proximité de sa fondation un ensemble consacré aux métiers d'art, non pas sous forme de fondation, mais sous forme de société commerciale, pose un certain nombre de questions. Le public qui visite la fondation aura tendance naturellement à se rendre sur l'autre site situé à proximité. Un flou peut ainsi se créer et s'instituer.

L'écart entre le nombre d'entreprises déclarant une réduction fiscale et le nombre d'entreprises qui sont effectivement mécènes ne résulte pas d'études très documentées, mais d'études construites et diligentées par des associations au moyen de sondages confiés à des institutions reconnues. Si l'on mesure imparfaitement cet écart, son existence et son importance posent évidemment question.

La dimension des pôles territoriaux est importante. Le pôle Pays de la Loire constitue un modèle pour beaucoup d'autres régions. Nous nous sommes rendus en Normandie et en Centre-Val de Loire, où nous avons pu mesurer la volonté collective de structurer des points d'appui, en particulier autour des DRAC.

Le mécénat local et territorial peut-il être un palliatif du désengagement des collectivités territoriales de l'aide aux associations ? Peut-être sur quelques sujets, sans doute pas d'une manière générale, car le mécénat local est le fait de petites structures, de PME et de TPE dont les moyens ne sont pas extensibles, et dont l'action est de toute façon bridée par les règles actuelles de plafonnement. On estime par exemple que 16 % des TPE sont bloquées par le plafond du chiffre d'affaires. Le déblocage évoqué de ce plafond, qui serait remplacé par une franchise de 10 000 euros, peut aider les projets du tissu associatif local.

S'agissant des contrôles fiscaux, vous trouverez toutes les informations dont nous disposons dans le rapport lui-même. Nous avons étudié les services qui contrôlent les grandes entreprises et celles qui contrôlent les PME, plus spécifiquement en Île-de-France. Les contrôles sont assez limités et ténus, et ce pour une raison assez simple : l'administration fiscale connaît très mal la réalité de la dépense de mécénat des entreprises. Elle reçoit une télédéclaration de cette dépense, mais ne sait pas vers quel secteur s'oriente ce mécénat, et n'en connaît pas non plus les destinataires. En un mot, elle ne dispose pas des éléments pour construire une politique de contrôle.

Voilà quelques éléments de réponse, sans doute trop rapides.

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