Intervention de Christophe Boucaux

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 10h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Christophe Boucaux, directeur de la maîtrise d'ouvrage et des politiques patrimoniales de l'Union sociale pour l'habitat (USH) :

Le patrimoine des habitations à loyer modéré (HLM) est constitué d'environ 4,5 millions de logements. Les organismes HLM sont des constructeurs importants. Nous mettons tous les ans en service 80 000 logements hautement performants sur le plan énergétique et, demain, sur le plan environnemental. Nous réhabilitons environ 125 000 logements par an. Cela nous procure une vision assez claire des freins et des leviers de la transition énergétique, avec un focus particulier sur les bailleurs sociaux. Aujourd'hui, 31 % des ménages du secteur HLM se situent sous le seuil de pauvreté, contre 14 % dans le parc privé. Les charges, en particulier énergétiques, constituent donc un enjeu central pour l'action des organismes HLM. C'est pourquoi ils interviennent massivement depuis de nombreuses années sur la performance énergétique de leur parc et anticipent autant que possible l'ensemble des évolutions réglementaires associées au logement neuf. C'est ainsi que le parc HLM est classé pour un peu moins de 40 % en étiquette ABC et pour 26 % en étiquette ABC « vision gaz à effet de serre ».

Ainsi que l'a rappelé le représentant de la FFB, le cycle du logement est long. Du point de vue de la maîtrise d'ouvrage et de celui d'un gestionnaire de patrimoine, les effets d'apprentissage sont suffisamment importants pour l'ensemble des acteurs de la filière pour que les résultats attendus en termes de performances soient concrètement évalués et mesurés sur les bâtiments livrés. Pour vous donner un ordre de grandeur, le saut de performance attendu entre la réglementation thermique (RT) de 2005 et la RT de 2012 est équivalent à celui qui avait été réalisé entre 1982 et 2005 – lequel avait considérablement fait bouger un certain nombre de lignes et amené les acteurs à réinterroger leur mode de faire et leur mode de conception pour s'assurer que l'ensemble des pièces qui composent un bâtiment fonctionnent, afin que la performance réelle ou concrète soit très proche de la performance attendue dans le moteur de calcul.

En matière de bâtiment et de cycle de production des bâtiments, une réelle attention doit être portée aux effets d'apprentissage et à l'anticipation des réglementations à venir. En cela, la démarche lancée en 2016 par l'État et le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) autour de ce qui préfigure la prochaine réglementation énergétique et environnementale adossée aux bâtiments neufs, dite « E+C- », est tout à fait inédite et heureuse. En effet, ces deux instances ont décidé de créer une dynamique d'acteurs pour expérimenter les bâtiments de demain, créer les conditions des retours d'expérience et s'appuyer sur eux pour fixer les critères de la prochaine réglementation dans des conditions à la fois techniques et économiquement supportables. C'est tout à fait essentiel en matière de performance et de transition énergétiques.

Après la construction neuve, j'en viens au volet « rénovation ». Je le disais en introduction, les organismes HLM réhabilitent environ 125 000 logements par an. Les deux tiers d'entre eux voient leurs performances augmenter d'au moins une étiquette énergétique lors de ces réhabilitations. Ainsi, en 2017, 57 000 logements ont été portés dans une vision dite « BBC (bâtiment basse consommation) rénovation », avec l'appui de l'éco-prêt logement social. Le renouvellement de composants et le changement d'équipements représentent environ 30 % des interventions sur les logements : avec l'appui des certificats d'économies d'énergie (CEE), ils permettent d'implémenter dans les bâtiments de nouveaux systèmes beaucoup plus performants que ceux qui étaient antérieurement installés.

Concernant l'éco-prêt logement social, il me semble également utile de rappeler que le prix moyen d'une rénovation par logement représente 34 500 euros. Ce coût de l'investissement n'est évidemment pas composé des seuls travaux de rénovation énergétique. Mais, au-delà des gestionnaires de patrimoine professionnels pérennes comme le sont ceux du mouvement HLM, ce montant représente un investissement relativement lourd, voire très lourd, pour un maître d'ouvrage privé et particulier – donc pour un très grand nombre de nos concitoyens. Dès lors, la question du résultat et du retour sur investissement est tout à fait essentielle, de même que la question de la garantie de performance. Comment s'assurer que l'ensemble des actions portées aboutiront au résultat attendu et induiront une augmentation du pouvoir d'achat ?

J'en viens aux freins que le monde HLM identifie. Un certain nombre de conditions et de critères, y compris réglementaires, peuvent conduire à ce que les gains de consommation d'énergie liés aux interventions ne soient pas nécessairement synonymes de réduction des dépenses énergétiques des ménages, donc d'augmentation de leur pouvoir d'achat. Dans les moteurs de calcul également, certaines conditions conduisent bien souvent à ignorer, dans une vision économique, des coûts inhérents à l'ensemble des installations – notamment les coûts d'abonnement aux différentes énergies, voire les coûts d'entretien et de maintenance des équipements. Je crois tout à fait important d'adopter, demain, une vision de la performance énergétique élargie à la performance économique et à la performance environnementale. En cela, il nous paraît essentiel que le diagnostic de performance énergétique (DPE) puisse être rénové, actualisé – en tout cas qu'il puisse évoluer considérablement dans sa forme et dans le fond. Il convient également de s'attacher à mesurer la performance énergétique des bâtiments non pas en termes d'énergie primaire, notion qui ne parle pas à nos concitoyens, mais en termes d'énergie finale, c'est-à-dire l'énergie réellement consommée par les ménages et la traduction directe de leur facture en kilowattheures.

La plus grande attention doit également être portée aux dispositifs qui pourraient induire des coûts d'entretien et de maintenance. Un exemple emblématique, dans le monde HLM, était celui des dispositifs d'individualisation des frais de chauffage qui avaient été souhaités par la loi de transition énergétique – heureusement corrigée par la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite « loi ELAN » – dans une optique de généralisation ne tenant pas compte du rapport coût-bénéfice pour les ménages. Or sur le plan social, la transition énergétique doit nécessairement se traduire par une minoration des charges, donc une augmentation du pouvoir d'achat des ménages. C'est essentiel, en tout cas pour le monde HLM. C'est même ce qui motive l'action des organismes HLM.

Il convient également de prendre en compte le carbone dans la performance des bâtiments. Le référentiel « E+C- » permet de prendre en compte les émissions carbone. Nous avons aussi à faire bouger un certain nombre de lignes sur les conditions d'octroi de certains dispositifs pour les organismes HLM, notamment l'éco-prêt logement social, afin qu'elles prennent en compte cette dimension carbone.

Pour conclure, j'observerai qu'il est primordial que tous les travaux entrepris notamment dans le cadre des trois plans, et en particulier du programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique, mettent davantage l'accent sur les outils destinés aux professionnels de la filière – concepteurs, entreprises, maîtres d'ouvrage et exploitants – afin que nos modes de faire s'efforcent de plus en plus de répondre aux objectifs recherchés lors de la conception des logements.

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