Intervention de Benoît Robyns

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 10h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Benoît Robyns, vice-président, en charge de la transition énergétique et sociétale, de l'Université catholique de Lille :

Je vous remercie de permettre à l'Université catholique de Lille de s'exprimer sur un certain nombre de freins que nous rencontrons dans le cadre du développement de projets devant contribuer à la transition énergétique nationale.

L'Université catholique de Lille regroupe 30 000 étudiants, des facultés et des écoles d'ingénieurs, mais aussi des écoles de commerce, deux hôpitaux et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Son implantation est forte à Lille, avec une concentration particulière dans le quartier Vauban où nous disposons d'un véritable campus accueillant 18 000 à 20 000 étudiants – pour un nombre équivalent d'habitants. Les bâtiments, qui ont été construits depuis 1877, pour le premier et le plus emblématique, jusqu'à maintenant, dans différents îlots du quartier, reflètent une très grande variété architecturale. Ils sont reliés entre eux par des réseaux publics d'énergie, qu'il s'agisse des réseaux électriques, des réseaux de chaleur ou des réseaux de gaz. C'est ce qui nous distingue d'un campus classique dans lequel tous les bâtiments sont concentrés, avec des réseaux propres à l'université.

Nous avons lancé un programme démonstrateur de transition, dans une volonté d'innovation et d'expérimentation. L'objectif est d'atteindre progressivement une cible zéro carbone. Nous avons commencé par l'îlot historique – qui n'est pas le plus simple – en déployant de la production locale sous forme photovoltaïque en vue de l'autoconsommer et du pilotage de charge de véhicules électriques, donc du stockage d'énergie. Une particularité mérite d'être mentionnée : dans certains îlots, nous avons affaire à des réseaux électriques privés qui impliquent plusieurs acteurs juridiques. Je reviendrai sur ce point, car c'est un frein important. Dans le cadre de cette expérimentation, nous travaillons avec plusieurs partenaires et nous sommes intégrés dans un projet de démonstrateur d'expérimentation soutenu par l'ADEME à travers ses appels à manifestation d'intérêt. Ce projet, intitulé « So MEL, so connected », est coordonné par la Métropole européenne de Lille (MEL). Il regroupe plusieurs partenaires, dont Enedis.

Nous avons identifié plusieurs freins très concrets, dans le domaine énergétique. Tout d'abord, concernant l'autoconsommation individuelle que nous voulons mettre en oeuvre dans un certain nombre de bâtiments, l'article L. 315-1 du code de l'énergie indique que le consommateur est le producteur, sans donner plus de précisions. Or tous nos bâtiments, qui sont principalement des bâtiments tertiaires avec aussi quelques bâtiments résidentiels pour les étudiants, appartiennent à des sociétés civiles immobilières (SCI) et sont exploités par les entités de l'université. Ce sont donc deux entités juridiques, avec des numéros différents dans le système d'identification du répertoire des établissements (SIRET). Or le gestionnaire de réseau fait valoir que cette situation n'entre pas dans la définition d'autoconsommation individuelle. Cela signifie qu'aucun de nos bâtiments ne pourra la mettre en oeuvre – ce qui sera également le cas pour quasiment tous les bâtiments tertiaires en France. Et pour cause, les systèmes de SCI sont tout à fait courants, connus et légaux.

Une autre difficulté à laquelle nous nous heurtons est la reconnaissance d'un réseau électrique privé existant. Nous ne sommes pas un cas isolé. Plusieurs centres commerciaux sont dans la même situation, par exemple. Qui plus est, le réseau en question a été constitué il y a une dizaine d'années sous les conseils d'EDF et avec l'appui d'ERDF (ex Enedis) à l'époque – avant que l'on ne parle des nouveaux modes de consommation et d'autoconsommation. Or il semblerait que le code de l'énergie ignore la notion de réseau privé de distribution. Les discussions que nous entretenons avec le gestionnaire de réseau tournent donc au quiproquo. En effet, alors que certains arrêtés indiquent que le projet de loi prévu pour les réseaux publics s'appliquera aux réseaux privés, le gestionnaire ne peut pas entrer dans un réseau privé. Nous nous retrouvons donc dans une situation où le serpent se mord la queue !

Un troisième frein vient du fait que la mise en oeuvre de l'autoconsommation collective oblige à passer par le réseau du gestionnaire public pour permettre la transmission d'une entité à l'autre. Mais quand on est déjà sur un réseau privé qui intègre plusieurs entités juridiques différentes, dans un système tout à fait optimal, il semble assez absurde de vouloir revenir sur le réseau public pour créer plusieurs points de connexion, augmenter le transit de l'énergie et réduire le rendement.

J'ajoute que nous souhaitons permettre les échanges entre les différents îlots du quartier. La loi du 24 février 2017 sur l'autoconsommation collective ne le permet pas actuellement, puisque l'autoconsommation collective est limitée à des interactions en aval d'un point à moyenne tension. Mais ce n'est pas ce qui est prévu par le plan « Place au Soleil » annoncé fin juin.

Pour permettre d'évoluer sur ces questions, en particulier celle des réseaux fermés de distribution, le gestionnaire fait valoir son monopole sur le décomptage de l'énergie mais le fait qu'il ne peut pas entrer dans un réseau privé. Pourquoi ne pourrait-il pas offrir un service de décomptage sur ces réseaux privés, comme le gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) le fait pour les réseaux industriels, sur lesquels nous disposons d'un point de connexion à l'instar d'autres entreprises ? Cette piste permettrait d'évoluer. D'autres pistes semblent intéressantes pour aider la transition énergétique. Alors qu'il apparaît qu'en ville il est très difficile d'atteindre une cible « zéro carbone » en agissant uniquement localement, il serait intéressant de pouvoir travailler avec des certificats verts – qui existent pour l'électricité mais pas pour les réseaux de chaleur. Nous y réfléchissons avec l'entreprise Dalkia.

Concernant la mobilité électrique, nous déployons un certain nombre de bornes dans les parkings privés et nous voudrions encourager nos personnels à développer cette pratique. Là encore, plusieurs freins sont identifiés. Pourquoi ne pas imaginer des systèmes de prise en charge d'une partie du coût de transport, comme cela existe déjà pour les abonnements aux transports en commun ? Des freins peuvent être liés au mode de fonctionnement des Unions de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d'Allocations Familiales (URSSAF), voire à la possibilité de rétrocéder de l'énergie.

Je terminerai mon intervention en abordant la question du modèle économique. En tant qu'établissement d'enseignement supérieur et de recherche, nous bénéficions de nombreux soutiens – de l'ADEME, de la région, de la Métropole européenne de Lille, de l'Union européenne et des entreprises partenaires. Cela nous permet de développer des systèmes qui, pour l'instant, ne sont pas économiquement viables. Le sujet du modèle économique mérite donc d'être traité, en particulier celui de la fiscalité liée à l'autoconsommation – qui s'avère assez rédhibitoire pour permettre l'atteinte d'un équilibre économique.

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