Intervention de Philippe Herscu

Réunion du mercredi 19 décembre 2018 à 9h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Philippe Herscu, directeur délégué aux territoires de l'Assemblée des départements de France (ADF) :

Madame la présidente, mesdames, messieurs, je commencerai ma présentation par un rappel de ce qu'est aujourd'hui l'ingénierie sur le terrain.

Depuis quelques années, les élus des départements assistent, impuissants, à la disparition de l'ingénierie d'État de proximité : les directions départementales de l'équipement (DDE) et les directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) ont été restructurées, et l'assistance technique fournie par les services de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT) a disparu, alors même que les besoins des collectivités locales ont continué de croître de manière importante.

En 2010, le rapport du sénateur M. Yves Daudigny chiffrait à 30 000 le nombre de communes et d'intercommunalités ne disposant pas des moyens d'organiser leur propre service d'ingénierie. Depuis, si la carte des intercommunalités a été revue, le nombre de communes a augmenté et les besoins demeurent importants.

Les moyens financiers et humains sont souvent insuffisants pour exercer des compétences qui se complexifient, dans un environnement réglementaire et technique toujours plus pointu. Outre l'urbanisme et les contraintes environnementales, les collectivités doivent tenir compte de l'aménagement numérique, de la dématérialisation, de la gestion des données, mais aussi de l'accessibilité des services et des bâtiments aux handicapés, ainsi que de nombreuses problématiques nouvelles, telles que les risques de submersion marine ou la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.

Par ailleurs, l'ingénierie privée fait parfois défaut et nécessite un minimum de compétences pour être mobilisée. Les collectivités doivent, en effet, être capables de passer de l'idée au projet et du projet au cahier des charges, de manière à pouvoir mobiliser, lancer un appel d'offres, analyser les offres, etc.

Prenant acte de ce nouveau panorama, départements, communes et intercommunalités se sont souvent regroupés en agences techniques départementales (ATD), en vue de mutualiser leurs outils ; on en compte aujourd'hui plus de cinquante-cinq. Ce sont des agences dans lesquelles les départements sont très actifs, puisqu'ils soutiennent financièrement les nouveaux outils et permettent ainsi de mutualiser l'ingénierie de proximité. Les départements interviennent également en régie ou par le biais de leurs « satellites » : les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les établissements publics fonciers locaux (EPFL), etc. Enfin, certains départements ont tenté d'élaborer un maillage des ingénieries existantes, en créant, par exemple, une plateforme informatique au service des collectivités, qui leur permet de trouver l'interlocuteur qui pourra répondre à leurs besoins.

Outre le rôle important que jouent les départements dans ces nouvelles organisations, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) leur a confié des missions d'ingénierie pour raison de solidarité territoriale et d'aménagement du territoire. L'article L. 3232-1-1 du code général des collectivités territoriales, tel qu'il résulte de la loi du 30 décembre 2017 et dont nous attendons encore le décret d'application, confère aux départements une mission de conseil dans de nombreux domaines – eau, voirie, assainissement, habitat, etc. – envers les collectivités de petite taille disposant de moyens financiers très limités.

Je tiens également à rappeler que, sur le territoire de chaque département, l'État et le département élaborent conjointement le schéma départemental d'amélioration et de l'accessibilité des services au public (SDAASP).

À l'annonce de la proposition de loi portant création de l'ANCT, nous étions quelque peu perplexes. Mais, à la lecture du rapport de M. Serge Morvan, nous avons dégagé un certain nombre de points positifs : un système qui part du terrain au service des élus ; un guichet unique facilitateur ; une agence qui cherche à coordonner les politiques de l'État pour que les décisions n'arrivent pas en ordre dispersé sur les territoires, créant parfois de la casse et des chocs ; une volonté de simplifier les procédures contractuelles pour aboutir à un contrat unique.

Dans un monde bien fait, nous aurions simplifié et unifié les guichets de financement, de manière à supprimer la course d'obstacles au financement, chacun ayant ses règlements, son calendrier et ses dispositifs d'accès à l'aide.

Nous avons également noté une reconnaissance de la pertinence de l'échelon départemental, un échelon de proximité permettant de mutualiser à grande échelle des moyens d'ingénierie – indispensable en temps de crise des finances locales. Tous les territoires ne pourront pas se doter d'un ingénieur en numérique, d'un ingénieur en matière d'eau, etc. Il sera donc nécessaire de mutualiser les moyens, tout en restant proche du terrain, pour suivre les dossiers, bénéficier de la confiance des élus et connaître l'historique des territoires.

Nous avons également relevé le souhait, d'ici à la fin du quinquennat, de recenser plus de 1 000 contrats entre l'État et les collectivités les plus en difficulté. Cependant, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi, aucune étude d'impact n'a été réalisée, ce qui laisse place à de nombreuses questions et remarques.

Le président de l'ADF, M. Dominique Bussereau, a reçu M. Serge Morvan. Après avoir souligné les points positifs, il lui a fait part de la nécessité, dans les départements, d'un « sous-préfet développeur de projet auprès du préfet » : une personne qui connaît tout le monde, que tout le monde connaît, et qui peut donc aisément apporter des solutions aux problèmes rencontrés dans les territoires.

L'agence devra tenir compte de la place singulière qu'occupent aujourd'hui les départements et de l'ingénierie départementale, très souvent mutualisée avec celle des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elle devra donc travailler, sur le terrain, avec ce qui existe déjà, de manière à ne pas multiplier les guichets ou les dispositifs, ce qui nuirait à la fluidité d'ensemble et à l'accès à l'ingénierie.

Concernant la gouvernance, nous sommes favorables à une forte présence des élus au sein du conseil d'administration et à une présidence assurée par un élu. Néanmoins, nous savons qu'une telle gouvernance ne résout pas toujours les problèmes, puisque le maire de Saint-Étienne a préféré démissionner de la présidence du CEREMA plutôt que d'appliquer les décisions de l'État visant à réduire les effectifs.

Les territoires éligibles aux interventions de l'ANCT devraient être précisés. Nous sommes bien évidemment tous d'accord sur le fait que les territoires les plus en difficulté seront prioritaires, mais il ne suffit pas de le décréter ; l'écrire serait mieux. Par ailleurs, les départements ne doivent pas être automatiquement exclus ; je pense à ceux qui sont déjà en contact avec le préfigurateur de l'ANCT. La Creuse, par exemple, est en demande de développement et a besoin d'ingénierie pour structurer des projets départementaux à grande échelle.

Les périmètres d'intervention devront également être précisés. Certains thèmes sont cités dans le texte qui a été adopté en première lecture par le Sénat, mais il n'est pas précisé s'il s'agit de premier conseil, d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), de maîtrise d'oeuvre, etc. Jusqu'où va-t-on ? À quelles conditions financières ?

M. Serge Morvan a indiqué, lors des débats au Sénat, que l'intervention de l'ANCT sera gratuite. Je rappelle cependant que certaines interventions du CEREMA sont payantes. Il nous paraît normal qu'une prestation importante ait un coût et ne donne pas lieu à un droit de tirage illimité.

Nous tenons à souligner l'importance du CEREMA dans ce dispositif, car même si nous arrivons à apporter une ingénierie de proximité, il n'en reste pas moins que les collectivités, dans leur ensemble, ont besoin d'un centre national d'ingénierie de haut niveau pour répondre aux questions qui ne peuvent être résolues localement. Elles ont besoin, par exemple, s'agissant des ponts, d'ingénierie de benchmarking sur les risques, ou encore de benchmarking international, qu'une agence technique départementale ne peut apporter. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous regrettons la baisse progressive des effectifs de cette structure, à laquelle nous tenons.

Le texte adopté par le Sénat mentionne la nécessité d'un comité départemental, présidé par le préfet, pour coordonner et articuler l'offre d'ingénierie. Il nous semble, compte tenu du rôle particulier des départements en matière d'ingénierie, qu'une coprésidence devrait être envisagée avec le président du conseil départemental. Je rappelle que les départements, au niveau national, allouent 1,6 milliard d'euros de subventions aux collectivités locales et aux EPCI, subventions qui complètent l'ingénierie proposée.

Enfin, l'ANCT ne doit surtout pas être une tentative de recentralisation de l'État, ni un doublonnage des guichets existants. Et il serait regrettable que ce projet ne soit qu'un habillage ou une réunion de quelques agences d'État que l'on tenterait de rendre un peu plus opérationnelles.

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