Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du mardi 15 janvier 2019 à 15h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

J'ai abordé ce texte de manière bienveillante, avec la volonté de le soutenir, tant il me semblait indispensable de poursuivre le travail que nous avions mené en 2016 dans le cadre de la loi sur l'adaptation de la justice au XXIe siècle. J'ajoute que les orientations présentées par le candidat Emmanuel Macron m'encourageaient en ce sens.

« Le secret d'ennuyer est celui de tout dire », disait Voltaire. Je ne dresserai donc pas un inventaire à la Prévert, tout au plus rappellerai-je l'adhésion de notre groupe aux dispositions qui renforcent le service d'accueil unique du justiciable, développent les règlements amiables et dématérialisent les procédures.

Les mesures tendant à favoriser la réinsertion et à prévenir la récidive reçoivent mon plein assentiment. La suppression des courtes peines d'emprisonnement et la fin du recours massif à la détention provisoire qui provoque l'encombrement de nos maisons d'arrêt, ainsi que le développement de mesures alternatives à l'enfermement sont de justes décisions.

Mais à cette première analyse positive, défendue par des rapporteurs qui n'ont pas ménagé leur peine, Laetitia Avia et Didier Paris, dont je salue le talent, succède le constat d'orientations qui tournent le dos à nos exigences d'un service public de la justice et qui malmènent des professionnels inquiets avec lesquels, pourtant, nous devrions instaurer un lien de confiance. C'est sans doute ce qui explique l'opposition radicale qui s'est formée peu à peu contre ce texte, rassemblant magistrats, greffiers, avocats, personnels de probation comme de l'administration pénitentiaire.

S'agissant du volet civil, ce texte aurait dû mieux encadrer et rendre plus lisible les dispositifs de la conciliation, de la médiation, et de la procédure participative. Le justiciable est hors les murs du tribunal tant que le litige n'est pas cristallisé. Le texte devrait garantir, une fois ce préalable satisfait, un accès au juge dans un délai raisonnable. Au lieu de quoi, le juge est écarté, et ce, au détriment des usagers dont 80 % redoutent de passer la porte d'un palais de justice.

Le rôle de l'avocat mérite d'être mieux défini afin de prendre le relais d'un juge absent dans la première phase d'examen d'un litige. Les plateformes possèdent des vertus en matière d'économies mais pas de sérieux de la chose examinée. L'État ne doit donc pas se soustraire à son devoir de régulation face à la marchandisation du droit.

La règle, bien posée en 2016, selon laquelle le juge tranche les litiges est dévoyée, ajoutant ainsi à la confusion : c'est désormais la CAF, dans un conflit d'intérêts éludé, qui devra trancher un contentieux de pension alimentaire et revenir éventuellement sur un jugement. Certes, ce dispositif est expérimental mais il nous inquiète : c'est la porte ouverte à la remise en cause du principe selon lequel le juge est nécessairement celui qui tranche un litige.

Quant au volet pénal, ce n'est pas le grand soir – les circonstances ne s'y prêtaient pas. Il nous faut attendre la révision constitutionnelle.

Une série de mesures visent à faciliter à juste titre le travail d'enquête. Cependant, la généralisation et la banalisation de dispositions dérogatoires au droit commun inquiète. L'extension de la géolocalisation, des interceptions téléphoniques et des perquisitions, sans l'assentiment des personnes, à des délits punis de trois ans d'emprisonnement pose question. Peut-on accepter que ces techniques, qui étaient jusque-là encadrées, soient utilisées pour un simple vol ? Les députés ne sont pas entendus, mais les référents des chantiers de la justice ne pourraient-ils pas l'être ? Ces derniers défendent, de manière limpide, la nécessité d'une peine minimale de cinq ans d'emprisonnement afin de préserver le principe de proportionnalité.

La réforme remet en cause les exigences procédurales qui protègent des libertés fondamentales. En effet, le recours imposé à la visioconférence dans le contentieux de la détention provisoire vient rompre l'équilibre actuel, sans qu'un quelconque gain soit démontré. C'est désormais par le truchement des écrans que les personnes incarcérées seront entendues sur leur demande de remise en liberté.

Quant aux cours d'assises, qui ont en leur coeur le principe d'oralité, elles sont en partie remplacées par une cour criminelle. Pourtant, « le jury sert à former le jugement et à augmenter les lumières naturelles du peuple » écrivait Tocqueville. Le jury constitue un lien unique et nécessaire entre le peuple et sa justice, dont la préservation devrait être assurée. Il s'agit, j'en conviens, d'une expérimentation mais vous savez comme moi ce qu'il advient des expérimentations. La suppression définitive de la cour d'assises, in fine, serait un non-sens – je préfère le dire dès aujourd'hui – alors que le renforcement des liens entre la population et l'institution judiciaire est indispensable et réclamée jusque sur les ronds-points.

S'agissant de l'échelle des peines, fixer à un an d'emprisonnement au lieu de deux – ce qui est une bonne chose – le quantum de peine autorisant le bénéfice d'un aménagement de peine ab initio, ne permettra pas de diminuer le nombre d'incarcérations. Je le répète, le refus de faire de la peine de probation une peine à part entière et le maintien de son adossement à une peine d'emprisonnement sont une vraie occasion manquée.

Enfin, le fossé entre la politique pénale envisagée et les effectifs prévus pour l'appliquer est très préoccupant. De nombreuses professions souffrent d'un manque de moyens humains : c'est le cas des greffiers, des surveillants pénitentiaires ou encore des conseillers d'insertion et de probation – la création de 1 500 postes pour ces derniers ne suffira pas à faire des modes alternatifs à l'emprisonnement une solution puissante et de qualité. Faute de véritables moyens, nous pouvons craindre que la révolution des peines n'ait pas lieu, comme l'affirme un magistrat du parquet du TGI de Paris.

90 % de nos concitoyens veulent une justice plus rapide, plus lisible et plus efficace – cette attente a été maintes fois exprimée ici. Le chantier devant nous est immense. C'est en rassemblant les acteurs du monde judiciaire et en leur faisant partager la cause commune d'un service public de la justice que nous parviendrons à redonner de la force et de la cohérence à l'institution judiciaire. L'État doit d'abord – il le fait en partie – garantir un budget substantiel et ne pas imposer aux professionnels un texte nouveau tous les ans.

En conclusion, je tiens à saluer l'engagement des magistrats mais aussi des greffes et des auxiliaires de justice. Nous devons leur manifester notre reconnaissance, sans oublier ceux qui travaillent, souvent et de plus en plus bénévolement, pour apporter, malgré des difficultés importantes, une réponse au justiciable. Il s'agit de les encourager et de les réunir dans cette cause commune, et surtout pas de les diviser ni de leur faire emprunter un chemin dont ils ne veulent pas.

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