Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mardi 15 janvier 2019 à 10h05
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Vous êtes pessimiste, vous m'enlevez mes illusions, vous me jugez naïf ! (Sourires.) Disons alors qu'à plus de trente ans, certaines femmes n'ont pas encore trouvé le compagnon de leur vie. Comme elles peuvent utiliser la contraception, elles n'ont pas d'enfants par hasard. Elles attendent, elles attendent. À trente-cinq ans, elles attendent encore alors que leur fertilité continue à décroître et devient dangereusement basse. Quand c'est légitime et dans des conditions encadrées, elles pourront conserver leurs ovocytes si les propositions du rapport sont suivies. Elles pourront ainsi enfanter avec des ovocytes de trente ans même si elles ont trente-six ans. Leurs chances seront meilleures, même si ce ne sont que des chances et jamais des certitudes. Il faut, bien sûr, un encadrement. Il ne faut pas que ce soit un prétexte pour je ne sais quelle personne qui travaille chez Google ou ailleurs, ou pour telle sportive ou telle actrice de cinéma de retarder de façon indue et pas forcément légitime la date de sa procréation. Les conditions devront être encadrées sur le plan d'un choix médicalement approuvé.

L'une des propositions est relative à la prise en charge médicale des personnes qui présentent des variations du développement sexuel et vise à les faire participer au choix de leur orientation sexuelle.

Cinq propositions concernent l'embryon. Il est ainsi proposé d'autoriser les recherches sur les cellules germinales portant sur les embryons qui ne feront jamais l'objet d'un transfert in utero, qui sont en quelque sorte surnuméraires, quand les parents l'autorisent. Ces recherches pourraient permettent, par exemple, de réduire les nombreux cas d'échec de la fécondation in vitro (FIV). Ces échecs multiples sont la première cause de l'existence de ces nombreux embryons surnuméraires. Sachant que la FIV ne réussit que dans un cas sur quatre, on produit beaucoup d'embryons pour pouvoir refaire la tentative si nécessaire. Si le taux de succès de la FIV s'améliore, on n'aura pas besoin de produire autant d'embryons surnuméraires, qui sont congelés pendant des années avant d'être détruits.

D'autres propositions portent sur l'utilisation des lignées de cellules souches embryonnaires. Il s'agit de faciliter le travail des chercheurs et des médecins en évitant des tracasseries juridiques ou administratives sans pour autant se passer de l'encadrement et de l'autorisation des experts de l'Agence de la biomédecine.

Huit propositions concernent la médecine génomique et les tests génétiques, un domaine moins mis en avant dans les médias mais qui est pourtant très important pour l'avenir. Nous sommes à un tournant de l'application de la génétique. En France, il n'est permis d'effectuer des tests génétiques que dans des indications médicales étroitement définies. En réalité, chacun peut faire réaliser de tels tests en envoyant un petit échantillon à l'étranger. Pour 50 ou 60 euros, on lui donnera tout son génome, ses prédispositions à telle ou telle maladie, ses conditions de paternité et un tas d'autres choses. Les deux solutions extrêmes sont également dangereuses : il n'est plus tenable d'en rester aux actuels interdits ; il serait dangereux de tout autoriser sans encadrement.

Il est proposé d'avancer en utilisant les moyens de la génétique actuelle et notamment d'étendre le diagnostic néonatal. La France est l'un des pays développés qui ont le moins recours au diagnostic néonatal : quatre maladies seulement contre une vingtaine dans la plupart des pays qui nous entourent, de la Suède à l'Angleterre en passant par la Belgique et l'Allemagne. Il nous faut évoluer vers le diagnostic de ces maladies qui, lorsqu'elles sont prises en charge très précocement à la naissance, ont un pronostic bien meilleur que si l'on attend un diagnostic tardif. Il est important que ces diagnostics soient effectués dès la naissance avec l'aide de la génétique moderne.

En cas de connaissance d'une maladie dans la famille, des diagnostics prénataux permettent de préconiser des interruptions thérapeutiques de grossesse (ITG) mais aussi des traitements. Il est possible de faire des greffes de cellules souches ou d'autres cellules sur des foetus pour lesquels le diagnostic a été effectué. Il est possible de faire des interventions chirurgicales sur des foetus qui sont ensuite réimplantés dans l'utérus. Le temps de l'opération, le chirurgien ouvre l'utérus et la cavité amniotique. Mais il faut que le diagnostic soit effectué pour que les enfants bénéficient de ces possibilités.

L'une des propositions est relative au dépistage préconceptionnel pour savoir si deux personnes peuvent transmettre une maladie par leurs gènes. Si la réponse est positive, leurs enfants seront porteurs de la maladie dans un quart des cas. Dans le cadre d'une FIV, il sera alors possible d'écarter le quart des embryons porteurs de la maladie et donc de prévenir un nombre notable d'interruptions de grossesse. À défaut d'être préconceptionnel, le diagnostic est effectué une fois que le foetus est développé, et l'on est amené à pratiquer des interruptions de grossesse parfois tardives et qui présentent des difficultés.

Une autre proposition vise à étendre les indications du diagnostic préimplantatoire à la recherche des aneuploïdies. Lors de nos auditions, il a été question de ces cas où la recherche a porté sur une maladie génétique connue dans la famille. En l'absence du gène recherché, la grossesse est allée à son terme et l'enfant est né avec une trisomie 21. Si l'on fait une recherche, elle ne doit pas porter sur un seul gène mais elle doit être complète et s'étendre aux anomalies chromosomiques.

Treize propositions sont développées en matière de dons des éléments et produits du corps humain. En lien avec le dossier de l'AMP, il faudra lancer des campagnes en faveur des dons de gamètes. Avec l'extension de la PMA et la demande faite aux donneurs de gamètes d'accepter de donner des informations qui seront transmises à l'enfant à naître, la pénurie actuelle va s'aggraver. En France, très peu d'hommes ont été sollicités pour donner des spermatozoïdes. On est tous sollicités pour donner notre sang. Pourquoi ne pas faire le même type de campagne en faveur du don de gamètes afin de résorber ce déficit considérable ? Le déficit de gamètes masculins devrait pouvoir être résorbé par des campagnes de promotion, de même que le déficit en ovocytes serait en partie résorbé par l'autorisation donnée à l'autoconservation des ovocytes, par vitrification. Tous les ovocytes surnuméraires, non utilisés par la femme pour fonder sa propre famille, seraient donnés à d'autres personnes.

J'en viens aux dons d'organes pour les greffes. Pour la première fois depuis longtemps, le nombre de transplantations a baissé en France en 2018 alors que l'objectif du plan greffe était de le faire croître de manière très significative à l'horizon 2020 ou 2021. Nous n'atteindrons sûrement pas l'objectif si nous continuons sur cette pente décroissante. Il est donc nécessaire d'agir à tous les niveaux pour favoriser les dons d'organes par des donneurs vivants, notamment pour les transplantations rénales, alors que nous constatons une diminution.

En ce qui concerne les donneurs vivants, il est préconisé d'étendre les possibilités dans le cadre de ce que l'on appelle la « chaîne des dons » : cela permet de donner pour une famille, laquelle donne ensuite pour une autre, etc. Chacun peut alors bénéficier d'un don, même en l'absence de compatibilité au sein d'une même famille. S'agissant des transplantations à partir de donneurs décédés, je propose d'approfondir la formation des équipes qui rencontrent les familles. Nous avons en effet un retard par rapport à d'autres pays, y compris l'Espagne et l'Italie, qui ont de bien meilleures campagnes de prélèvement d'organes grâce à une formation approfondie. Il est important que nous fassions de même, y compris par l'instauration d'un diplôme qui reconnaîtrait cette spécialité. Il s'agit d'obtenir une progression satisfaisante des transplantations – de nombreux malades meurent alors qu'ils sont inscrits sur une liste d'attente.

Le rapport contient aussi treize propositions relatives à l'intelligence artificielle. Ce sujet, qui n'a pas été traité jusqu'à présent, sera probablement prioritaire dans les réflexions à venir dans le domaine de la bioéthique. L'intelligence artificielle va bientôt pénétrer toute notre vie, y compris dans le domaine de la santé. Nous ne sommes certainement pas encore assez mûrs pour prendre toutes les décisions nécessaires, mais il est très important de commencer à réfléchir à ce qu'il faudrait faire. On peut disposer dès aujourd'hui de robots affectifs, voire de robots sexuels. Certaines personnes peuvent s'isoler sur le plan social en ne recourant plus qu'à des services de robots, au lieu d'avoir des relations humaines. Il serait dramatique que l'humanité évolue ainsi. Mais il faut aussi se prémunir du risque de perte de confidentialité de nos données de santé, et du risque d'une utilisation inopportune des algorithmes. Il faut savoir ce que l'on doit faire lorsque les algorithmes induisent des effets néfastes ou des erreurs : qui est responsable ? Tout cela doit être codifié. Mais l'avenir de la bioéthique dans ce domaine ne se réduit pas aux treize propositions qui vous sont soumises. Il faudrait aussi créer un comité d'éthique ad hoc, pour l'intelligence artificielle et le numérique, qui serait « cocooné » par le Comité consultatif national d'éthique avant de voler de ses propres ailes. Cela me paraît très important pour l'avenir.

Il y a aussi quelques propositions concernant la fabrique de la loi de bioéthique. En accord avec le président et beaucoup d'autres membres de la mission d'information, j'estime qu'il est nécessaire de franchir une étape supplémentaire en ne se contentant plus d'organiser une révision périodique, même si elle reste importante – nous proposons d'ailleurs qu'elle ait désormais lieu tous les cinq ans, au lieu de sept ans. Il faudrait en fait se doter d'une délégation permanente afin que ces questions fassent l'objet de débats réguliers : chaque année, un rapport serait adopté dans le cadre de l'Assemblée nationale sur les progrès médicaux et scientifiques qui posent des questions sur le plan éthique et sur l'évaluation des dispositions en vigueur – des propositions seraient alors soumises au Gouvernement.

Ce sont des modifications substantielles : comme le président de la mission d'information l'a dit, elles sont probablement plus importantes que celles issues des précédentes révisions de la loi de bioéthique. Ce n'est pas par volonté personnelle, mais parce que nous sommes désormais nourris par l'expérience d'autres pays. Ces questions demandent des arbitrages et il peut y avoir des évolutions. Nous devons nous prononcer sans avoir peur d'avancer et sans perdre de vue les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Pour résumer cette façon de faire évoluer la loi de bioéthique à la française, je rappelle que nous sommes à l'origine moins permissifs que d'autres pays, notamment anglo-saxons, et plus encore asiatiques, car nous avons adopté un encadrement plus fort et davantage d'interdictions. Nous nous sommes ainsi protégés dans des domaines où nous avions peur de nous aventurer. En fonction de l'évolution des connaissances et de l'analyse des possibilités et de leurs conséquences, dans le cadre des sciences dures mais aussi des sciences humaines et sociales, nous pouvons ensuite décider quels sont les interdits qu'il est possible de lever sans danger, pour permettre à des gens de bénéficier de progrès sans prendre de risques. Avec cette prudence qui nous caractérise, nous pouvons aujourd'hui proposer des avancées sans nous départir de la volonté de préserver les fondements de nos valeurs. Je sais que les priorités peuvent varier, en ce qu'elles sont basées sur des philosophies différentes : nous aurons à en débattre en commission et dans l'hémicycle, le moment venu.

Voilà ce que je voulais vous dire, mes chers collègues, au risque de survoler un peu le projet de rapport. Je suis évidemment prêt à répondre à toutes les questions et à participer avec vous à la réflexion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.