Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mardi 15 janvier 2019 à 10h05
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

En ce qui concerne le suivi post-AMP, je pense que nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il est important que les familles qui le souhaitent puissent avoir accès à des personnes compétentes pour les aider à résoudre tel ou tel problème.

Vous avez raison, madame Mauborgne : le déficit actuel en pédopsychiatres est très problématique. Bien souvent, il faut attendre un an pour avoir un rendez-vous, ce qui ne permet pas de résoudre les problèmes au moment où ils surgissent. Les pédopsychiatres ne sauraient effectivement être les seuls à prendre en charge les personnes concernées, et cela ne peut être assorti d'une obligation.

Il faut également savoir que, quelquefois, les personnes qui ont le plus besoin d'aide ne sont pas forcément celles qui en sollicitent. Les choses peuvent ne pas évoluer dans ce sens dans telle ou telle famille, pour diverses raisons. Certaines familles n'ont pas envie d'exposer leurs difficultés.

Il est sain et souhaitable que des professionnels de santé puissent au moins écouter les gens, leur proposer des éléments de réponse et trier, parmi les interrogations, celles qui justifient vraiment une prise en charge par un pédopsychiatre. Mais je reconnais qu'en disant cela, je gère la pénurie actuelle – car vous avez raison : la première chose à faire est de trouver le moyen de remédier aux carences de notre pays, s'agissant des pédopsychiatres et des psychiatres en général, mais aussi des médecins généralistes.

Il faut aussi offrir une formation aux médecins afin qu'ils disposent des éléments de réponse aux questions qui leur seront posées à l'avenir. Au cours des études médicales, ainsi que dans la formation continue des médecins, ces questions doivent être abordées. Il ne faudrait pas qu'un pédopsychiatre apporte des éléments, puis que le médecin généraliste donne ensuite à la famille des réponses, si ce n'est opposées, tout au moins divergentes. Il faut donc que l'ensemble du monde soignant – pédopsychiatres, médecins de famille, infirmiers –aille dans le même sens.

Le rapport propose également de créer un plus grand nombre de conseillers en génétique. Certaines propositions formulées dans ce rapport seront adoptées, et le nombre de tests génétiques va inéluctablement augmenter. Si cette augmentation n'est pas accompagnée de recommandations pertinentes, à quoi serviront ces tests ? La situation serait pire, car mal utilisées, ces informations peuvent aboutir à des catastrophes : décisions d'interruption de grossesse, craintes injustifiées, angoisses nées de la prédiction de développer une maladie dans trente ans. C'est pourquoi il faut créer plus de conseillers en génétique ; ils sont bien plus nombreux dans d'autres pays tandis que leur nombre est trop réduit en France.

Madame Poletti, je vous remercie pour votre soutien. Je sais d'expérience que lorsqu'un texte contient une soixantaine de propositions, il est difficile d'être d'accord avec toutes, ou de se priver de toutes. Se prononcer contre revient à se priver de certaines propositions avec lesquelles on est d'accord. La situation la plus difficile est celle dans laquelle l'avis est partagé à parts égales, et qu'il y a autant de choses positives que de choses négatives de son point de vue. Si l'on estime que la majorité des propositions vont dans le bon sens, on est amené à tolérer des choses que l'on aurait souhaité régler différemment. Je comprends vos interrogations.

Vous avez raison, l'accès aux origines est très important, et l'intelligence artificielle va devenir l'une des questions principales en bioéthique dans les années à venir, c'est un champ immense que nous commençons à peine à défricher.

Vous soulevez, comme beaucoup, la question de l'AMP pour les femmes seules : toutes les enquêtes d'opinion montrent que si de plus en plus de personnes se laissent convaincre d'accepter l'AMP pour les couples de femmes homosexuelles, il existe plus de réticences pour les femmes seules. J'ajouterai simplement que, pour l'instant, les femmes seules ont la possibilité d'adopter des enfants. Mais je comprends que cette proposition soit plus difficile à accepter.

S'agissant de l'AMP post mortem, nous souhaitons qu'elle soit très fortement encadrée. Cela relèvera en partie du domaine réglementaire, mais il faut exclure certaines conditions et certains moments.

En premier lieu, lorsque c'est un homme qui décède, il ne faut pas que la famille du mari défunt impose à la belle-fille une procréation. De même, il ne faut pas que l'AMP intervienne immédiatement après le décès, pour compenser un deuil : ce ne serait pas sain. Il ne faut pas non plus le faire vingt ans après le décès, pour rappeler le souvenir d'une personne disparue. Nous pouvons nous inspirer de ce qui existe pour les donneurs d'organes vivants volontaires : pour donner un rein à sa soeur, il faut passer devant un juge qui entend la personne, seule, sans aucun membre de sa famille, pour s'assurer que cette décision n'est imposée par aucune forme de pression. Le juge auditionnera la personne jusqu'à être convaincu que c'est bien une décision personnelle. De même, il faut s'assurer que la femme qui va utiliser un embryon ou des spermatozoïdes congelés le fera sans subir aucune pression, psychologique ou familiale. Cela impose un encadrement particulier.

Vous dites que l'utérus artificiel se fera dans quelques années. J'ai trouvé des textes à ce sujet de près d'un siècle, et les travaux concernant les ovins ont beaucoup progressé. L'utérus artificiel précédera la couveuse, pour les derniers stades de développement du foetus. Cette technique sera applicable à l'espèce humaine à un horizon très proche. Elle servira à réduire les risques de handicaps chez les grands prématurés, qui naissent aujourd'hui avec 90 % de chances d'être affectés de lourds handicaps.

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