Intervention de Stéphane Mazars

Réunion du mardi 22 janvier 2019 à 15h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Mazars :

Madame la présidente, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce séjour à Mayotte aura été pour moi une découverte, et la confirmation du fait que les lois que nous votons, et qui ont vocation à s'appliquer à tous les territoires de la République, nécessitent parfois de faire l'objet d'une adaptation pour coller au plus près des réalités. En l'occurrence, il s'agit de la situation à laquelle est confronté le département de Mayotte en matière d'immigration en raison, notamment, de cet afflux de populations qui fuient les Comores en s'entassant dans les fameuses kwassa-kwassa dans l'espoir d'accéder à nos infrastructures de santé pour s'y faire soigner ou pour accoucher, mais aussi de bénéficier de la protection et des aides résultant de l'application de la législation française et européenne – car il ne faut pas oublier que Mayotte fait partie de l'Union européenne et est, à ce titre, éligible à un certain nombre de dispositifs.

Nous avons pu constater par nous-mêmes que la présence de ces personnes n'est pas sans conséquences pour la population mahoraise. En 2017, on a compté environ 20 000 reconduites à la frontière – autrement dit vers les Comores –, ce qui représente la moitié des reconduites à la frontière effectuées pour l'ensemble du territoire français.

L'État est bien présent à Mayotte, notamment en termes d'infrastructures. Nous avons visité la prison, de construction récente, ainsi que le centre de rétention, dont les standards de prise en charge des retenus sont largement supérieurs à ceux de la majorité des centres de rétention situés en métropole. Le préfet de Mayotte, qui nous a accompagnés tout au long de notre séjour, est un haut fonctionnaire expérimenté et très volontaire, et les forces de police et de gendarmerie sur lesquelles il s'appuie disposent de moyens non négligeables : leurs effectifs sont en nette augmentation depuis plusieurs mois, ce qui permet aux autorités de faire face aux tensions qui s'expriment sur ce territoire.

Nous nous sommes également rendus à l'hôpital de Mayotte, et sa maternité, la plus importante de l'Union européenne en termes de naissances, et qui va sans doute faire prochainement l'objet de travaux – tout comme l'aéroport, dont on envisage depuis de longues années de rallonger la piste afin de permettre aux long-courriers d'atterrir directement à Mayotte sans être obligés de faire escale à La Réunion, ce qui favoriserait le développement local. L'infrastructure portuaire également mériterait d'être améliorée. Comme vous le voyez, de nombreuses choses sont à faire pour permettre aux Mahorais de vivre mieux et de faire face de manière plus apaisée à la pression migratoire à laquelle ils sont soumis.

Si j'évoque la nécessité d'un apaisement, c'est bien parce que la situation est tendue. Durant notre séjour, nous avons assisté au blocage des services de la préfecture dédiés à la prise en charge des populations étrangères, ce qui était source de nombreux problèmes : entre autres, en cette période de rentrée scolaire, de nombreux étudiants se trouvaient dans l'incapacité de faire valoir leur inscription. Le blocage résultait d'une action de protestation des Mahorais qui ne supportent plus le déclassement de leur île, de ses infrastructures et de ses services publics, en raison de la présence d'une nombreuse population comorienne en situation irrégulière, qui épuise les capacités d'intervention des autorités locales, sature totalement les écoles et l'hôpital, notamment son service d'urgence, d'où le ressentiment très palpable de nos concitoyens mahorais.

Nous avons rencontré des fonctionnaires motivés, mais pour lesquels il est difficile de s'inscrire dans le temps à Mayotte car, compte tenu de la situation, bon nombre d'entre eux préfèrent quitter l'île sitôt que leurs enfants sont en âge d'aller au collège. Pour cette raison, de nombreux postes dans l'éducation nationale et dans les autres services de l'État ne sont pas pourvus, ce qui contribue à freiner le développement du territoire.

Il en est de même dans le domaine économique. Les entrepreneurs que nous avons rencontrés par l'intermédiaire de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) nous ont expliqué qu'il était très compliqué de s'installer à Mayotte et d'y faire venir des cadres – ceux qui acceptent de travailler à Mayotte n'y viennent que durant la semaine et n'habitent pas sur place, mais à La Réunion, où leurs enfants sont scolarisés.

La pression migratoire se traduit donc par une évidente dégradation des conditions de vie, à laquelle nous devons nous efforcer de remédier – ce qui est compliqué, car cela dépend en partie du bon vouloir des autorités comoriennes et de leur capacité à réintégrer sur leur territoire leurs ressortissants interpellés à Mayotte et ayant fait l'objet d'une reconduite.

Nonobstant les grandes difficultés auxquelles il est actuellement confronté, le département de Mayotte est une île magnifique, avec un extraordinaire potentiel de développement. Son lagon, qui est l'un des plus beaux et des mieux préservés au monde, se trouve malheureusement exposé au risque d'une dégradation de sa biodiversité en raison de la pression migratoire, qui entraîne une déforestation massive, une expansion de l'habitat diffus et une érosion des sols. Le tourisme est encore peu présent sur l'île, notamment en raison du fait que l'aéroport ne peut accueillir pour le moment les long-courriers.

Il y a, dans ce domaine comme dans d'autres, un important potentiel de développement ; encore faut-il que le département de Mayotte soit accompagné par l'État français et que nous trouvions, dans le cadre des relations internationales, le moyen de dialoguer de manière plus efficiente et constructive avec les États voisins, en particulier les Comores. Il y va de l'intérêt de nos concitoyens mahorais, mais on peut également voir un enjeu stratégique dans le fait de préserver ce qui constitue un point d'entrée en France et dans l'Union européenne.

Pour ce qui est de la proposition de loi qui nous est soumise, je suis évidemment convaincu que l'on ne peut imposer à Mayotte les règles s'appliquant à Paris ou dans l'Aveyron sans les adapter préalablement aux spécificités de ce territoire d'exception, où nous avons été très bien accueillis par tout le monde, y compris par les parlementaires.

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