Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 15h00
Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à mayotte — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

… Mayotte faisant toujours aujourd'hui partie intégrante de la République.

Ainsi, outre que la France s'exonère d'une partie de ses responsabilités, elle ne s'attache pas à conduire, ni même à penser, une politique durable qui s'attaquerait aux causes des migrations forcées au sein de cet archipel. Or, nous n'avons eu de cesse de tenter de vous le faire comprendre, on ne peut dissocier la lutte contre les causes des migrations forcées d'une politique d'accueil. Dans ce contexte, la lutte contre la pauvreté est primordiale, ne serait-ce que d'un point de vue pragmatique, notamment au vu des échecs qu'affiche le bilan de la politique menée jusqu'à aujourd'hui.

Lutter contre la pauvreté, c'est également tenir compte du fait que la migration est un des facteurs principaux du développement des Comores. Je cite la Banque mondiale : « Le soutien de plus en plus important fourni par la diaspora à travers les envois de fonds à leurs familles, et à l'économie dans son ensemble, a sans doute davantage contribué à l'amélioration du niveau de vie des ménages et à la réduction de la pauvreté. Les Comoriens ont l'une des plus grandes diasporas d'Afrique et le pays fait partie des trois principaux bénéficiaires de transfert de fonds en Afrique subsaharienne. Les envois de fonds représentent environ 25 % du PIB, et les recettes en devises de ces envois dépassent celles des exportations. Les envois de fonds ont aussi considérablement augmenté durant les dix dernières années, à la fois en termes absolus et par rapport au PIB. »

Dans une vision de lutte contre les causes forcées, la dimension économique internationale et géopolitique s'impose, et plus encore dans le cas des Comores puisque le territoire français de Mayotte se trouve dans cet archipel. Or, de cela, il n'est jamais question quand nous discutons du type de dispositions examinées aujourd'hui. Cela devrait pourtant être le cas si nous voulons sérieusement lutter, comme vous le prétendez, contre l'immigration forcée et contre les situations que cela engendre pour ce territoire.

À travers les quelques amendements que nous vous proposerons, à travers cette motion de rejet préalable, nous allons tenter de vous convaincre qu'il est fondamentalement dérogatoire au droit commun de vouloir repousser à nouveau à cinq jours l'intervention du juge des libertés et de la détention. Cette disposition doit, par conséquent, être rejetée.

À Mayotte, les expulsions ont, la plupart du temps, lieu dès le premier jour de rétention, ce qui est bien pratique : avec cette mesure, vous êtes certains de supprimer, pour les personnes que vous enfermez, le droit d'accéder au juge. La véritable question concerne les conditions de la rétention à Mayotte et le non-respect du droit d'accès à l'information relative aux droits dont bénéficient les personnes enfermées.

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté évoquait ainsi plusieurs problèmes dans un rapport de visite : « À Mayotte, l'étranger en situation irrégulière peut être placé jusqu'à cinq jours au centre de rétention administrative sans que l'administration soit obligée de solliciter du juge des libertés et de la détention une quelconque autorisation de prolongation de maintien en rétention ».

« La procédure d'admission est dépourvue de toute réelle explication et est conduite de manière expéditive. Les étrangers retenus doivent pouvoir comprendre la procédure qui leur est appliquée. »

« L'information donnée aux retenus pendant leur séjour est purement formelle. Le règlement intérieur, notamment, n'est ni remis, ni affiché. Il doit y être remédié. »

« Aucune information concernant une ou des associations chargées des droits des retenus n'est diffusée ; le tableau de l'ordre des avocats n'est pas non plus porté à connaissance. Les retenus doivent pouvoir accéder à ces informations pour exercer leurs droits. »

« Du fait de la rétention des parents, 2 901 mineurs ont été admis au centre de rétention administrative en 2008 et 2 711 ont été reconduits sans que soient toujours vérifiés avec certitude leur âge et leurs attaches familiales. »

« Le repas se limite à une assiette composée d'un morceau de viande systématiquement accompagné de riz, à l'exclusion de pain, d'entrée, de fromage, de dessert ou de fruit. Les plats congelés laissés en stock par le prestataire, du fait de l'impossibilité d'ajustement en temps réel aux flux très irréguliers des arrivées au centre, ne sont pas gérés avec la rigueur nécessaire : le jour de la visite, trente-trois barquettes présentaient une date de consommation périmée. »

Parmi les nombreuses remarques, la Contrôleure indiquait aussi que « le registre de fouille révèle des omissions. »

On constate que le seul véritable effet des différentes lois dérogatoires au droit commun est l'augmentation des personnes en situation irrégulière et des personnes qui meurent en mer. Ces politiques maintiennent la plupart des gens dans une précarité extrême. Un autre effet est également de monter les populations les unes contre les autres.

Nous souhaitons, nous espérons, vous convaincre de renoncer à cette proposition de loi. Par inadvertance, lors de l'examen du projet de loi asile et immigration, vous avez laissé passer ce que vous considérez être une erreur. Selon nous, c'est le signe que vous devez prendre en compte les terribles errements qui ont caractérisé l'ensemble du débat sur ce projet de loi, en particulier lorsqu'il s'est agi de Mayotte.

Je ne reviendrai pas sur la remise en cause du droit du sol ; mes collègues le feront plus tard, et nous y reviendrons également dans la discussion. Les inacceptables conditions de la rétention administrative, qui concernent Mayotte mais également la métropole, sont dénoncées dans de nombreux rapports du Défenseur des droits et de la Contrôleure des lieux de privation de liberté, qui les critiquent régulièrement. Lors du débat de la loi asile et immigration, mais également lors du débat budgétaire, vous avez choisi de continuer cette politique néfaste, en augmentant la durée maximale de rétention administrative, sans que cela ait absolument aucun effet sur l'immigration.

Encore une fois, vous refusez de vous attaquer aux causes de ces migrations forcées et d'accorder un accueil digne aux migrants, au mépris de nos obligations internationales et de nos principes d'humanité. Ainsi, vous ne réglez pas la situation ni des personnes migrantes, ni des habitantes et habitants ici en métropole. Encore en ce moment, dans le 18e arrondissement de Paris, dans ma circonscription, des campements de migrants et de migrantes ont été évacués sans qu'une solution pérenne soit apportée. Vous savez que ces campements vont se reformer. La situation est la même à Mayotte pour les habitants et pour les personnes se trouvant dans des conditions extrêmement précaires.

Nous vous l'avons dit et l'ensemble des associations de défense des droits humains vous alertent depuis des mois sur les conséquences de vos politiques actuelles. Celles-ci se sont opposées à votre loi sur l'asile et l'immigration et continuent à se dresser contre cette proposition de loi, contre le choix politique que vous avez décidé de faire. En cet instant, à l'occasion de cette discussion, nous tenterons à nouveau de vous faire entendre raison – à défaut de vous faire entendre humanité.

Par le rejet de cette proposition de loi, par l'adoption de notre motion de rejet préalable, vous ouvririez peut-être, enfin, la nécessaire brèche dans le cadenassage que représente aujourd'hui l'ensemble des lois sur l'asile et l'immigration. Celles-ci sont votées, année après année, sans qu'elles s'attaquent aux causes, mais en laissant prospérer les pires discours délétères, les pires discours xénophobes. Je répète notre espoir que vous réalisiez l'ineptie à la fois pratique, politique et humaine du choix dans lequel vous vous enfermez.

Je conclurai par les mots du réalisateur comorien Mohamed Saïd-Ouma qui explique : « Cette migration contrôlée a pour but de mettre fin à des pratiques qui existent depuis très longtemps. Nous sommes des îliens, mais en plus des îliens d'archipel. Le rapport au voyage, au déplacement court par la mer, ou très court, est un rapport naturel. On est venu casser cela. Les violences symboliques et concrètes sont engendrées par ce dispositif et ces violences sont très fortes. »

Ces paroles rappellent ce que nous avons aussi tenté de vous faire comprendre lors des débats précédents, à savoir que la question des migrations doit être abordée de manière apaisée et rationnelle, parce que ce sont des mouvements humains. Je répète ce qui semble tellement évident, tellement nécessaire, après des années de fake news, de caricature et d'instrumentalisation politique sur ce sujet : ces migrations ont lieu pour l'essentiel dans les pays du Sud ; ce sont ces derniers qui accueillent la majorité des réfugiés.

Pour mener une politique réellement efficace, même de votre point de vue, vous devez renoncer à la pente dans laquelle vous vous êtes engagés avec cette proposition de loi, c'est-à-dire renoncer à envisager la migration des personnes comme un problème. Les causes ne sont absolument pas appréhendées et le problème ne sera, par conséquent, pas résolu en considérant les personnes migrantes comme des hordes qui submergeraient des territoires…

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