Intervention de Michel Zumkeller

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 21h45
Prévention et sanction des violences lors des manifestations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Zumkeller :

Trouver le juste équilibre entre maintien de l'ordre public et respect des libertés fondamentales est sans doute l'une des tâches les plus difficiles que nous ayons à accomplir en tant que législateurs, principalement parce que l'un ne va pas sans l'autre.

Les violences et les dégradations perpétrées lors des manifestations sont un parfait exemple de la tâche qui nous incombe, en particulier lorsque nous sommes confrontés à une évolution des conditions dans lesquelles se déroulent les manifestations.

En effet, celles-ci sont aujourd'hui plus spontanées et moins structurées. Du fait des réseaux sociaux, leurs organisateurs sont souvent peu ou mal identifiés, ce qui rend difficiles tant la concertation que le dialogue.

Les manifestations sont désormais plus hétérogènes, mêlant à des manifestants pacifiques des acteurs violents qui forment des groupes provocants et offensifs représentant un danger nouveau et très difficile à appréhender.

Finalement, une double affirmation s'impose : il faut avancer sur ce texte sûrement, mais également avec prudence.

Il faut avancer sûrement, car nous avons besoin de moyens pour endiguer ces violences : il s'agit de répondre à un véritable problème de sécurité publique face à des groupes qui occupent l'actualité depuis des mois et qui agissent impunément.

Le cadre juridique est pour le moment insatisfaisant : il convient donc de pallier ses manquements.

Il faut cependant cheminer prudemment pour éviter tout amalgame, tout excès ou tout effet pervers qui pourraient empêcher nos concitoyens de manifester.

Cette loi ne doit pas non plus pouvoir être interprétée comme un instrument de défiance envers les manifestants, mais bien comme un outil de protection des personnes et des biens, qui permette par conséquent de préserver le droit de manifester.

C'est d'autant plus vrai qu'il s'agit d'une proposition de loi hybride, qui comporte des mesures pénales, mais également des mesures de police administrative qui peuvent intrinsèquement comporter des risques au regard de l'urgence et de l'absence d'intervention du juge judiciaire.

La prudence est donc de mise pour qu'elle s'applique, certes sévèrement, mais uniquement aux professionnels de la casse.

C'est pourquoi nous devons mettre en place un arsenal juridique solide et de nature à éviter tout écueil constitutionnel.

Certaines précautions permettraient d'éviter que le dispositif puisse être remis en cause à maintes reprises, notamment par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité.

Il s'agit en effet d'empêcher de nuire ceux qui ne viennent pas exprimer pacifiquement leurs convictions, mais détruire, piller et combattre les forces de police.

Eux ne sont pas là pour manifester : leur comportement ne peut donc être assimilé à l'exercice d'un droit fondamental, et ils doivent être empêchés et poursuivis proportionnellement à la gravité de leurs actes.

Ces individus représentent un danger pour ceux qui exercent paisiblement leur droit de manifester, ainsi qu'une menace pour les forces de l'ordre. Ils causent, enfin, de nombreux dégâts matériels.

Leurs exactions sont donc préjudiciables à tous. Ils profitent en définitive des manifestations tout en détournant leur finalité.

Il faut donc agir.

Comment faire, cependant, pour que cette action n'impacte pas le droit des autres, pour que chacun continue de se sentir effectivement libre de manifester et protégé dans l'exercice de ce droit, pour que ce texte atteigne ses objectifs ?

Nous en venons donc à la question de l'applicabilité.

Comment mettre en oeuvre pointage et convocation durant toute la durée d'une manifestation ?

Aucune information ne nous a été donnée à ce sujet, mais chacun conviendra que ce n'est pas aussi aisé que de recueillir une signature au commissariat au cours d'un match de football.

L'amendement du Gouvernement proposant une nouvelle rédaction de l'article 2 ne permet toujours pas de répondre à cette question : convocation et pointage y sont employés tour à tour, sans que l'on sache ce que l'un et l'autre recouvrent.

Par ailleurs, le texte apparaît toujours aussi flou : qui appréciera les potentiels agissements permettant de déduire qu'une personne constitue une menace ?

De plus, les tentatives de rééquilibrage entre le maintien de l'ordre public et le respect du droit de manifester apparaissent bancales.

Si vous essayez de mieux encadrer l'interdiction par le préfet, c'est en effet au prix de l'ajout d'une nouvelle mesure particulièrement attentatoire aux libertés, puisqu'il pourra désormais, s'il l'estime nécessaire, prononcer une interdiction de manifester s'étendant à tout le territoire national.

De même, si vous inscrivez explicitement le droit de recours contre l'arrêté interdisant de manifester, vous supprimez de facto, en rendant l'arrêté exécutoire d'office en cas de manifestation non déclarée, la possibilité de déposer un tel recours : peu importe alors que la condition de l'urgence ne soit plus requise.

C'est ici que le bât blesse et que les doutes sont les plus forts, puisqu'il s'agit de limiter un droit fondamental sans qu'un juge intervienne.

Je voudrais enfin, s'agissant de cet article, souligner une chose. J'avais déposé en commission des amendements supprimant la référence à toute personne ainsi que celle à l'individu entrant en relation de manière régulière avec des groupes incitant à la violence. S'ils ont été rejetés, je suis tout de même heureux de constater qu'ils ont quelque peu servi à la nouvelle rédaction !

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