Intervention de Paul Christophe

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 9h30
Expérimentation territoriale pour un revenu de base — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe :

Nous examinons ce matin une proposition de loi défendue par Hervé Saulignac, dans le cadre de la journée réservée au groupe Socialistes et apparentés. Si nous saluons l'initiative, nous ne pouvons qu'être partagés face au dispositif qui nous est proposé, et ce pour plusieurs raisons.

La proposition de loi a pour objet la mise en place, à titre expérimental, d'un remplacement de trois prestations – le RSA, la prime d'activité et éventuellement les aides au logement – par une nouvelle prestation sociale unique, dénommée « revenu de base », dont le versement serait automatique et inconditionnel, sous condition d'être éligible aux critères de ressources existants pour chacune de ces prestations. Ce texte a été élaboré, depuis 2016, par le groupe Socialistes et apparenté, en concertation avec dix-huit départements, et particulièrement le département de la Gironde dirigé par Jean-Luc Gleyze. Il s'appuie sur une étude technique de l'Institut des politiques publiques.

Nous ne pouvons que saluer ce travail collectif. Alors qu'il est souvent reproché aux initiatives de l'opposition de manquer de solidité technique et juridique, celle-ci bénéficie d'une expertise technique incontestable. Il s'agit, par ailleurs, d'un projet longuement mûri, qui précède largement les débats plus récents lors de l'élection présidentielle sur d'autres formes de revenus universels. Mais je ne vous ferai pas l'injure de confondre ces deux approches. Enfin, cette proposition s'appuie sur la connaissance des acteurs des politiques sociales que sont les départements, au plus près de la réalité du terrain.

Elle entend répondre au souci croissant de la « juste prestation », pour reprendre l'intitulé du rapport remis au Premier ministre en septembre dernier par notre collègue Christine Cloarec et Julien Damon. À ce titre, nous partageons les préoccupations détaillées dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.

Les maux qui affectent les filets de protection contre la pauvreté qui frappe certains de nos concitoyens sont connus et bien documentés. Le taux parfois élevé de non-recours, mis en exergue dans tous les rapports, trouve son origine dans la complexité et le manque de lisibilité des prestations aux modes de calcul parfois obscurs, dans l'absence de guichet unique clairement identifié, dans l'absence d'automaticité et dans l'insuffisante qualité de l'accompagnement.

Le non-recours trouve peut-être également sa source dans le discrédit et la honte qui s'attachent parfois au fait de percevoir une aide, dans une société qui porte aux nues la réussite individuelle et l'aisance matérielle.

C'est pourtant l'honneur de notre société de maintenir et de garantir ces filets de sécurité. Elle est ainsi fidèle à la promesse du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dont le onzième alinéa rappelle que la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

Vous avez raison, par ailleurs, d'insister sur ce point aveugle des politiques publiques que constitue la situation des jeunes de 18 à 25 ans. À ce titre, nous pensons qu'il conviendrait de conforter le rôle et la place des missions locales, qui prennent en charge les bénéficiaires dans le cadre de la garantie jeunes.

Il est donc nécessaire de simplifier et de revoir notre système, à la fois pour des raisons de justice sociale, et pour en assurer la soutenabilité. Nous devons répondre à la crise de défiance actuelle qui se double d'une crise d'efficience, car la complexité provoque des logiques de jugement.

Pour autant, le dispositif que vous proposez ne peut nous satisfaire en l'état puisqu'il souffre d'une ambiguïté fondamentale. En posant le principe d'un droit inconditionnel aux minima sociaux, le revenu de base que vous défendez affaiblit la notion de droits et de devoirs attachée au versement de ces minima financés par la solidarité nationale.

Pour notre part, contrairement à ce qui est proposé, nous considérons que le bénéfice des minima sociaux, et particulièrement du revenu de solidarité active, doit conserver son caractère conditionnel, et qu'il doit rester associé à une dynamique d'insertion et de recherche d'emploi.

Dans le contexte de tensions et de replis que nous connaissons, acter le principe d'une déconnexion des aides sociales de la valeur travail enverrait un mauvais signal. Ce serait rendre un bien mauvais service à ceux de nos concitoyens qui en bénéficient légitimement, et relancer des débats qui n'ont pas lieu d'être sur l'assistanat et la justice sociale.

Nous restons convaincus qu'il est préférable de nous en tenir au principe énoncé dans le préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. » C'est en effet par le travail que se réalisent les destins individuels ; c'est lui qui permet la reconnaissance sociale et qui signe, in fine, l'appartenance à la société. Il convient donc, au contraire de la démarche que vous soutenez, de renforcer l'accompagnement effectif des personnes vers une recherche ou une reprise d'emploi. Comment se satisfaire de la situation actuelle dans laquelle, selon les chiffres du rapport remis au Gouvernement par Mme Christine Cloarec et M. Julien Damon, plus de 40 % des bénéficiaires du RSA le sont depuis plus de quatre ans ? Si la société a une responsabilité envers les individus, c'est celle de les mettre en capacité de choisir leur vie.

J'appelle également votre attention sur la dénomination choisie. Le terme « revenu » pourrait induire des effets contraires à votre ambition. Actuellement, RSA, allocation logement et prime d'activité ne sont pas pris en compte dans le calcul des ressources pour l'attribution de certains droits. Si, demain, vous les regroupez sous l'appellation « revenu », vous risquez de provoquer la perte de ces droits. La sémantique retenue pourrait donc se révéler dangereuse.

En l'état, même si nous reconnaissons l'intérêt de ce texte, en particulier de votre volonté de commencer par une expérimentation, nous y serons défavorables en raison du mauvais signal que constitue le principe d'un versement sans contrepartie des prestations sociales. Cela dit, nous sommes aussi ici pour en débattre.

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