Intervention de Jean-Hugues Ratenon

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 9h30
Expérimentation territoriale pour un revenu de base — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Hugues Ratenon :

Revenu de base, revenu universel, revenu inconditionnel, revenu d'existence, revenu social garanti, ces diverses appellations – et je ne les ai pas toutes citées – désignent ce qui est censé être une somme d'argent que chacun – enfants, étudiants, salariés, demandeurs d'emploi, salariés, chefs d'entreprise ou retraités – recevrait de la naissance à la mort. Tout citoyen aurait droit, sans aucune contrepartie, à une somme fixe à définir en fonction des catégories.

Ce revenu de base aurait des avantages : il favoriserait l'exercice de la liberté d'entreprendre pour un grand nombre de nos concitoyens, il permettrait à chaque individu de bénéficier de moyens de subsistance grâce à une redistribution des richesses – j'insiste sur le fait qu'il serait versé de façon inconditionnelle. Le revenu de base serait aussi un facteur positif dans la négociation salariale pour les salariés. Il permettrait également de donner les moyens aux étudiants de poursuivre leurs études dans de très bonnes conditions – ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour nombre d'entre eux.

Une fois ce préalable posé, il faut dire les choses clairement : le revenu de base que la proposition de loi vise à instaurer n'est pas un revenu de base tel que je viens de le définir. Il est vrai que le revenu de base, qui a fait l'objet de nombreuses discussions lors de la campagne pour la dernière élection présidentielle, a plusieurs définitions et qu'il peut être mis en oeuvre selon plusieurs modalités. Cela dépend de l'orientation idéologique de ceux qui le défendent, vous l'avez très bien compris.

Je le répète, dans la grande majorité des cas, lorsqu'on parle de revenu de base, de revenu d'existence ou de revenu universel, il s'agit d'une somme attribuée par l'État à chaque personne, de façon inconditionnelle, lui permettant de vivre dignement sans contrainte de travail, de la naissance jusqu'à la mort – j'insiste sur ce dernier aspect. D'autres propositions, comme le salaire à vie, vont encore plus loin, mais c'est un autre sujet.

Aujourd'hui ce dont nous discutons n'a rien à voir avec tout cela. Le texte qui nous est soumis propose la création d'une nouvelle prestation sociale issue de la fusion du RSA et de la prime d'activité, accordée automatiquement à partir de 18 au lieu de 25 ans. On est loin du projet courageux que le titre de la proposition de loi pourrait laisser imaginer !

Cela dit, considérant la politique menée par le Gouvernement depuis son arrivée au pouvoir, je comprends le caractère très timide du dispositif proposé. En effet, depuis l'origine, Emmanuel Macron mène une politique surtout en faveur des riches plutôt qu'en faveur de la population et de la justice sociale.

J'en viens au fond de la proposition de loi en abordant la question de l'automatisation de l'octroi de la prestation. La France connaît un problème important de non-recours aux droits. Le taux moyen de non-recours au RSA est d'au moins 36 %. Qu'on comprenne bien : le RSA est un revenu pour ceux qui n'ont rien, et si ces personnes ne réclament pas le revenu de solidarité active, ce n'est pas parce qu'elles n'en ont pas besoin ; le plus souvent, c'est parce qu'elles ne savent même pas qu'elles y ont droit, ou parce qu'elles sont découragées par les démarches interminables nécessaires pour l'obtenir.

Durant le mois d'août 2016, à l'initiative du mouvement La France insoumise, des militants ont traversé la France, dans l'Hexagone et outre-mer, avec ce que nous avons appelé la « caravane des droits ». Des centaines d'Insoumis se sont mis à la disposition de la population pour proposer aux foyers d'évaluer leur niveau de vie et voir s'ils réclamaient bien l'ensemble des prestations auxquelles ils avaient droit.

Plus les années passent, et plus les gouvernements rendent complexes les démarches et augmentent les contraintes pour y avoir accès. On sait dans quel but : c'est pour faire des économies en décourageant les plus faibles de demander la modeste somme qu'on leur doit. C'est vraiment un calcul de technocrates, absolument écoeurant et révoltant ! On parle bien de vies, de personnes dans le dénuement, d'enfants qui vont à l'école le ventre vide, ou de mères qui se privent de repas pour pouvoir nourrir leur marmaille. Alors que, d'un côté, il y a ceux-là, de l'autre, il y a des gens qui calculent le montant des économies que représente le non-recours pour les finances publiques ! Quel triste monde ! C'est le monde de M. Macron.

Parce que le non-recours aux droits est un fléau, rendre automatique le versement d'une prestation est une excellente idée, et, au-delà de la proposition de loi, j'estime qu'il faut rendre automatique le versement de l'ensemble de nos prestations sociales. Il faut en terminer avec le parcours du combattant imposé à ceux qui ont droit à la solidarité nationale. Je pense en particulier aux étudiants dont beaucoup n'ont pas d'autre choix que d'abandonner leurs études par manque de moyens financiers, en raison de la complexité administrative du système d'obtention des aides qui leur sont destinées. Le revenu de base pourrait constituer une solution pour eux, si on le leur accorde.

Parce qu'elle propose une automatisation des droits et un élargissement du public bénéficiaire, la proposition de loi constitue donc une avancée, une avancée modeste, mais réelle. En conséquence, le groupe La France insoumise la votera.

Cependant, les plus avertis d'entre vous savent que La France insoumise n'a pas défendu le revenu de base. Nous proposons une garantie dignité inconditionnelle pour tous les adultes, dont le montant serait supérieur au seuil de pauvreté. Selon nous, c'est l'un des moyens pour répondre à la demande de justice sociale exprimée par les gilets jaunes mobilisés partout en France.

Vivre dignement est un droit qui n'implique aucun devoir, absolument aucun, car toute vie humaine a sa valeur. Toute personne mérite de bénéficier de la solidarité nationale pour subvenir à ses besoins si elle se retrouve dans l'incapacité d'y répondre par ses propres moyens.

Face au chômage de masse, il est urgent d'inventer une nouvelle forme de répartition des richesses. La France doit évoluer et non reculer. Je rappelle les mots du préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Vous voyez bien qu'à ce droit au développement, aucun devoir n'a été adossé, parce que la dignité n'est pas une chose dont on fait l'aumône en échange d'un service ou de tel ou tel comportement. Nous ne faisons pas la charité lorsque nous octroyons une prestation sociale ; nous remplissons notre devoir de solidarité nationale. C'est tout simplement la mise en oeuvre de la devise de la République qui figure au fronton de chacune de nos mairies : « Liberté, Égalité, Fraternité. »

À toute heure, la justice sociale nous appelle. Depuis le 17 novembre, nous avons vu surgir, sur le devant de la scène médiatique, ces familles qui n'en peuvent plus, des familles qui sont parfois privées d'emploi, qui ont très souvent du mal à joindre les deux bouts, et qui, presque toujours, se sentent blessés dans leur dignité parce qu'elles voient certains se gaver avec l'argent du peuple alors que ce même peuple galère au quotidien. La justice sociale nous appelle. Lançons cette expérimentation, nous aurons l'occasion d'en tirer les conséquences !

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