Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 9h30
Expérimentation territoriale pour un revenu de base — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

« Les puissants ne cèdent jamais rien, ni le pain, ni la liberté », écrit Éric Vuillard dans La Guerre des pauvres. Ainsi vivons-nous dans un monde marqué par les inégalités, le chômage, la précarité et la misère. Selon certains, ainsi va le monde, ainsi va l'humanité. J'en connais qui pensent que les inégalités sont fondées et qu'elles constituent un moteur de la société. J'en connais qui pensent que le chômage résulte des chômeurs, la misère des misérables, la faim des affamés. J'en connais qui pensent que, s'ils le voulaient vraiment, les pauvres pourraient s'en sortir. J'en connais qui pensent qu'on n'a que ce qu'on mérite.

Ah, le mérite ! La belle affaire ! Celui qui gagne, dans une vie, mille fois plus que l'un de ses semblables l'a-t-il vraiment mérité ? Même si ce fut, aux origines, une victoire sur la féodalité, la loi du mérite, c'est, aujourd'hui, la victoire du pouvoir de l'argent et du hasard. La loi du mérite, c'est la victoire de l'illusion et de la vanité. La loi du mérite, c'est la victoire de quelques-uns sur le plus grand nombre. La loi du mérite, c'est la défaite de l'égalité.

J'en connais qui se plaisent à diviser, à opposer, à organiser la compétition des uns contre les autres, qui attisent les égoïsmes et les ressentiments. J'en connais qui attisent cette idée pernicieuse : que chacun trime autant que j'ai trimé, que chacun souffre autant que j'ai souffert ! J'en connais qui défendent l'inégalité des droits, qui font le tri entre les bons et les mauvais pauvres, entre les pauvres étrangers et les pauvres français, comme si la misère pouvait être souhaitée à qui que ce soit, comme si apporter une aide à une personne humaine dans le besoin arrachait quelque chose à la société, comme si la société, au nom de chacune et chacun – car il ne s'agit pas de laisser chacun agir à défaut d'une action collective – pouvait s'épargner le plus élémentaire geste d'humanité, comme si tous n'étaient pas victimes du même mal, du même refus de partager les richesses.

La pauvreté attise la peur ; on n'a qu'une idée en tête, c'est d'y échapper. Mais comment peut-on croire que ceux qui connaissent la pauvreté l'ont choisie ? Le mouvement qui agite notre pays depuis plusieurs semaines porte le refus de la misère, il veut la justice sociale. J'en connais qui ne veulent rien céder, ni le pain ni la liberté, et pas même le plus rabougri commencement de respect. Oui, la première chose qui doit être donnée, c'est le respect. Car la pauvreté, la précarité, c'est d'abord des humiliations, avec tout ce que celles-ci peuvent détruire en chaque être humain. « De ce respect peuvent découler beaucoup de choses », écrit le cinéaste Costa-Gavras dans un petit livre d'ATD Quart Monde se fixant l'objectif d'en finir avec les idées fausses sur la pauvreté. La première chose qui doit être donnée, disais-je, c'est le respect, parce qu'elle appelle tout le reste à sa suite.

Nous vivons dans un monde qui fabrique l'insupportable, qui broie des vies, qui abîme l'humain ; nous vivons dans les mailles insensées du capitalisme qui entrave l'humanité dans son développement, parce qu'il se nourrit des logiques de prédation et de domination ; nous vivons dans un monde où 800 millions de personnes vivent sous le seuil d'extrême pauvreté.

Nous vivons dans un pays où 8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté ; nous vivons dans un pays où même des enfants peuvent se trouver sans logement, où l'on se presse aux Restos du coeur, où des travailleurs et des travailleuses logent dans leur voiture, où des femmes et des hommes montent des abris de fortune jusqu'à réinventer les bidonvilles ; nous vivons dans un pays où l'on coupe l'eau et l'électricité à celles et ceux qui sont dans le besoin.

Nous vivons dans un monde et dans un pays où celles et ceux qui produisent les richesses en voient si peu la couleur, où l'on est appelé en permanence à travailler plus pour gagner sa vie, où l'on ne sait pas si l'on aura encore du travail le mois qui vient, où l'on doit trouver du boulot pour payer ses études… Et comme Victor Hugo, nous sommes « de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère », non pas « diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire », précisait-il, mais bien « détruire ». Car nous vivons dans un monde et dans un pays où l'on pourrait partager autrement le travail et les richesses, dans un monde et dans un pays où la productivité progresse, dans un monde et dans un pays qui a su trouver les voies de grandes inventions sociales, et si ces grands édifices ont été abîmés, si leur élan a été interrompu, ils continuent de produire des effets et d'alimenter notre imaginaire collectif.

Alors, oui, il faut oser aller de l'avant, prendre l'offensive et ouvrir des brèches. Un débat a pris corps autour du revenu universel et du revenu de base. Ces formules recouvrent diverses acceptions et diverses propositions, fondées sur divers diagnostics et poursuivant diverses finalités. Pour certains, il s'agit d'acter la raréfaction du travail, pour d'autres d'amorcer le dépassement du salariat, pour d'autres encore, selon les points de vue, de déconnecter le revenu du travail, de rémunérer le travail gratuit, d'accélérer le « travailler plus pour gagner plus », de compenser la mauvaise rémunération du travail par le capital ou bien d'octroyer un droit fondamental et inconditionnel à vivre. Certains s'inscrivent dans une visée libérale, d'autres dans des quêtes émancipatrices.

Il s'agit plus précisément, dans cette proposition de loi, de rester dans une logique d'aide sociale en fusionnant des aides existantes, pour améliorer leur portée. Le groupe GDR reconnaît à cette démarche trois intuitions positives qui appellent des actes forts.

Première intuition positive : l'automaticité du droit. C'est une question essentielle.

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