Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 9h30
Expérimentation territoriale pour un revenu de base — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

La France est traversée par une crise particulièrement grave, dont le mouvement des gilets jaunes est l'expression la plus cinglante. Oui, aujourd'hui, des Français ne parviennent plus à vivre dignement du fruit de leur travail.

La question que nous évoquons aujourd'hui est donc cruciale. Cruciale, parce que 9 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté. Cruciale, parce que plus de 10 % de nos salariés sont rémunérés au SMIC et ont du mal à en vivre. Cruciale, parce que de nombreux retraités vivent, ou plutôt survivent, avec quelques centaines d'euros par mois. Cruciale, parce que nos agriculteurs font face à une situation intolérable : un tiers d'entre eux gagnent moins de 350 euros par mois.

Lundi, j'étais à Béziers en compagnie de membres de la chambre des métiers et de l'artisanat. Le constat est là aussi dramatique : les chefs des TPE et PME sont à bout. Chaque semaine, en France, deux d'entre eux se suicident – c'est un chiffre que l'on cite peu. Écrasés par les charges, noyés sous la paperasse, ils n'arrivent pas à se payer correctement. Ils se sentent abandonnés par le Gouvernement, qui, selon leurs termes, n'en a que pour les grands groupes. Autant de conditions qui ne peuvent que décourager l'entrepreneuriat, alors que les PME sont, nous le savons, le premier employeur en France.

C'est pourquoi je ne peux que saluer la volonté, au coeur de ce texte, de lutter contre cette paupérisation. Néanmoins, je vous le dis, l'instauration d'un revenu de base est une mauvaise idée. Cela n'apportera aucune des solutions structurelles dont notre pays a besoin. Ce que demandent tant de Français, c'est de vivre de leur travail, et non d'aides sociales et de compléments de ressources.

Disons-le clairement : travailler, ce n'est pas seulement gagner sa vie, c'est donner de la dignité à sa vie. Travailler, c'est donner du sens à son existence.

Bien sûr, des améliorations sont nécessaires. Il faut continuer à lutter contre le non-recours aux allocations et étudier certains cas particuliers qui ne sont pas éligibles aux aides. Un exemple : les congés de proches aidants ne sont toujours pas indemnisés et il ne serait pas illogique que les personnes concernées soient bénéficiaires du RSA. Il reste que faire du revenu de base une aide inconditionnelle et automatique serait un frein à l'insertion de certains, une prime à la démission d'autres et un mauvais signal adressé à beaucoup, notamment aux plus jeunes.

Étendre cette mesure aux moins de 25 ans ? Mais des bourses existent pour les étudiants des familles les plus modestes ! Des personnes de moins de 25 ans ayant des enfants à charge sont éligibles au RSA. Ceux qui ont travaillé pendant deux ans peuvent en bénéficier. Peut-être faudrait-il assouplir les conditions d'éligibilité au RSA « jeunes actifs », mais certainement pas l'étendre à tous.

Votre proposition de revenu de base envoie un mauvais message. Elle ne valorise pas le travail des employés les plus modestes – des études le montrent clairement – et elle déresponsabilise les politiques, qui n'ont plus à coeur de changer les choses. On finira par accepter que des travailleurs aient un salaire insuffisant en le compensant par des allocations. C'est une erreur ; c'est une faute.

Il faut sortir de cette logique. Nous ne sommes pas confrontés seulement à un problème de pouvoir d'achat. Entre la dégradation des services publics, la dévitalisation des centres-villes, la dégradation du lien social, c'est toute une partie de la population qui est marginalisée progressivement.

Créer un revenu de base inconditionnel, c'est passer à côté du véritable enjeu. C'est accepter – je dirai même : c'est cautionner – la marginalisation, l'exclusion de toute une partie de notre population du monde du travail, c'est-à-dire de la véritable dignité sociale.

Bien sûr, nous devons être sensibles, nous devons aider ceux qui ont le plus de difficultés à entrer dans le marché du travail, ceux qui vont de CDD en CDD, de travail précaire en travail saisonnier, mais attention : une fois encore, le travail vous construit, vous donne une colonne vertébrale. Ne laissons pas entendre, même à notre corps défendant, qu'on pourrait vivre sans travailler.

C'est une autre musique qui doit sortir de cette assemblée : que chacun doit pouvoir travailler ; que chacun doit pouvoir vivre de son travail ; que chacun a l'obligation de chercher du travail ; que chacun peut se réaliser dans son travail. Une ode – oui, une véritable ode au travail !

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